Jusqu’à tout récemment, il était acquis qu’on réglait ses dettes avant de prendre sa retraite. Surtout son hypothèque. Le monde a bien changé.
Les aînés endettés sont bien plus nombreux qu’avant. Ainsi, chez les 56-65 ans, l’endettement a augmenté de 28,7 % entre 2016 et 2021, selon Equifax. Pour la même période, il a bondi de 47,5 % chez les 66 ans et plus.
Les experts parlent souvent de « bonnes » et de « mauvaises » dettes. La première est l’hypothèque (car elle est appuyée par un actif). Les dettes de consommation forment la seconde (cartes et marges de crédit, prêts personnels).
Selon diverses études bancaires concernant les ménages retraités canadiens, les « mauvaises » dettes représentent la seule source d’endettement pour 57 % d’entre eux. Cette proportion tombe à 20 % pour ceux qui ont seulement une dette hypothécaire et 23 % pour une combinaison de « bonnes » et de « mauvaises » dettes.
Les temps ont changé
Autrefois, on payait ses dettes avant de dire « bye-bye boss ». Pourquoi y a-t-il désormais autant de retraités endettés ? « Le mode de vie a changé, comparé aux générations précédentes, qui n’avaient pas autant accès au crédit que celles d’aujourd’hui, estime Johanne Le Blanc, conseillère budgétaire chez Option Consommateurs. L’accès à la propriété ne s’effectue plus de la même façon. »
Ainsi, le nombre de marges de crédit hypothécaires a augmenté de 40 % depuis 2011, selon l’Agence de la consommation en matière financière du Canada. Leur popularité a permis d’étendre le crédit sur une plus longue période que les hypothèques traditionnelles.
« Les consommateurs ne comprennent pas nécessairement leur fonctionnement, reprend Mme Le Blanc. Ils voient ce type de crédit comme une façon d’accéder à un certain confort ou style de vie ou de le conserver. »
Certains besoins jugés superficiels il n’y a pas si longtemps sont désormais considérés comme essentiels : le téléphone intelligent, la mode rapide (fast fashion), l’ordinateur personnel, le voyage annuel dans le Sud, le spa à la maison… Certains services n’existaient pas au tournant du siècle, comme l’Internet haute vitesse et la télé ou la musique en continu (streaming). Et les gens achètent des maisons de plus en plus grandes, des voitures de plus en plus grosses, et chaque membre de la famille banlieusarde a son véhicule à la porte.
Un contexte difficile
« Dans un monde idéal, ce n’est pas souhaitable d’avoir une hypothèque à la retraite, mais chaque situation est unique. Si ça permet à certains de se loger à coût raisonnable, sans affecter leur budget, ce n’est pas la fin du monde. Mais ce n’est pas le cas pour l’ensemble », ajoute Johanne Le Blanc.
D’autant plus que l’inflation a fait bondir les paiements hypothécaires, ce qui affecte nombre de retraités. Ainsi, 15 % des dossiers d’insolvabilité concernaient des personnes de 65 ans et plus en 2021, selon le Bureau du surintendant des faillites (comparé à 10 % en 2014).
Fin 2022, le Journal de Montréal interviewait un syndic autorisé en insolvabilité qui rapportait que parmi sa clientèle, une personne sur 10 avait 65 ans et plus.
Ces situations ne sont pas toutes liées à un train de vie hors de contrôle ou à de l’insouciance. Un divorce, la maladie ou un décès entraînent souvent des conséquences dramatiques sur les finances des retraités ou préretraités. D’autres n’ont pas épargné suffisamment pendant leur vie active.
« Faire faillite à 70 ans, ce n’est pas la même chose qu’à 40 ans, commente Johanne Le Blanc. Les années qui restent sont les plus précieuses. C’est frustrant de restreindre son style de vie à la retraite. »
Des pistes de solution
La faiblesse des taux d’intérêt pendant 20 ans, jusqu’à la pandémie, a dopé l’endettement. Mais cette époque où l’argent était emprunté à des taux quasi gratuits est révolue. Les taux d’intérêt devraient demeurer bien plus élevés qu’avant, et ce, pour longtemps.
Les préretraités endettés devraient envisager de sabrer leurs dépenses et restreindre leur train de vie, pour payer leurs dettes et cotiser le plus possible à leur REER.
Pour plusieurs, ce virage salutaire sera compliqué.
« Certains devront ajuster leur style de vie, d’autres repousser la date de la retraite, explique Johanne Le Blanc. On n’en sort pas, il faut effectuer une planification budgétaire pour connaître sa marge de manœuvre réelle et mieux comprendre l’état de ses finances pour planifier adéquatement sa retraite. Il ne faut surtout pas improviser. »
Le meilleur moyen d’y arriver ? Johanne Le Blanc suggère de consulter un conseiller ou un planificateur financier. « Il faut tenir compte de plusieurs facteurs, comme la fiscalité, les rendements et la longévité, pour prendre des décisions conformes à nos objectifs. Car la retraite, ce n’est pas juste assurer les besoins de base ou un confort raisonnable. C’est d’avoir des projets et des loisirs qui maintiendront une bonne santé mentale. Une retraite Netflix, ce n’est pas génial… »