Agressions, insultes, gestes d’intimidation : le nombre de plaintes et de signalements en lien avec la maltraitance envers les personnes aînées a explosé au Québec. Et ce ne serait que la pointe de l’iceberg, préviennent les experts.
Le nombre de plaintes et de signalements de maltraitance a triplé en quatre ans, soit de 2018 à 2022, selon les données compilées par La Presse.
Ces cas concernent à la fois les personnes aînées et les adultes en situation de vulnérabilité vivant dans différents types d’hébergement, comme les CHSLD ou les résidences privées pour personnes aînées, ainsi que ceux qui reçoivent des soins à domicile.
Hausse des dénonciations
Même si ce nombre atteint des records, cela ne veut pas dire que la maltraitance est en hausse, nuance Mélanie Couture, titulaire de la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées de l’Université de Sherbrooke. Selon elle, ce serait plutôt l’effet de la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les aînés et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité, adoptée en 2017.
Depuis, les professionnels de la santé et des services sociaux ont l’obligation de faire un signalement aux commissaires aux plaintes et à la qualité des services des CISSS ou des CIUSSS lorsqu’ils ont un motif raisonnable de croire qu’une personne répondant à certains critères, par exemple le résident d’un CHSLD, est la cible de maltraitance de la part d’un proche ou d’un membre du personnel. « Ces chiffres montrent que les gens commencent à savoir que ce mécanisme existe », analyse-t-elle.
Un avis partagé par le président du Regroupement des commissaires aux plaintes et à la qualité des services, Jean-Philippe Payment. Au CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, où il est rattaché, le nombre de signalements est passé de neuf, après l’adoption de la loi, à 197, en 2022-2023. « Je pense que ces chiffres reflètent le fait que nous sommes plus sensibilisés aux questions de maltraitance et que nous devons dénoncer ces gestes. »
Ces données pourraient encore augmenter, conséquence de la pandémie, avertit Mélanie Couture. « Les recherches montrent que les facteurs de risque, comme l’isolement social, la précarité financière ou les problèmes de santé mentale se sont accrus pendant cette période, faisant augmenter les cas de maltraitance. »
Des situations plus fréquentes qu’on le croit
Or, ces plaintes et signalements de maltraitance envers les personnes aînées ne seraient que la pointe de l’iceberg. Ainsi, 5,9 % des répondants de 65 ans et plus vivant à domicile ont déclaré avoir vécu un acte de maltraitance dans la dernière année, selon une enquête de l’Institut national de santé publique du Québec menée en 2019. À l’échelle de la province, cela représenterait près de 80 000 aînés. « Si je me fie à ces données, sur mon territoire seulement, on devrait en théorie compter autour de 1 000 dossiers par année, alors que j’en suis à 200 », estime Jean-Philippe Payment.
De plus, les études montrent que cette proportion grimpe à 10 % au Canada et oscille entre 12 % et 13 % dans le monde, renchérit Mélanie Couture. Selon elle, si cette réalité est sous-estimée, c’est que plusieurs personnes ne réalisent pas qu’elles vivent de la maltraitance. D’autres n’osent pas dénoncer la situation, par crainte de représailles ou pour ne pas nuire à leur proche, explique la chercheuse. « Les personnes peuvent aussi avoir honte ou penser que personne ne va les croire. Il y a plein de raisons qui vont faire qu’on garde cela caché. »
Reconnaître les signes
Il n’est pas toujours facile de reconnaître la maltraitance envers les personnes aînées, puisqu’elle peut prendre différentes formes. Par exemple, infantiliser une personne, l’empêcher de voter en ne lui donnant pas les informations nécessaires, lui faire subir du chantage, la dénigrer, l’insulter ou prendre les décisions à sa place. Autre cas de figure : un médecin qui ignore son patient aîné et ne s’adresse qu’à son proche aidant, illustre Mélanie Couture.
Le Québec reconnaît même la maltraitance organisationnelle, explique Jean-Philippe Payment. Ce serait le cas si une résidence manque de personnel pour offrir les soins adéquats à ses locataires ou si elle nie leur homosexualité. Même chose si les propriétaires n’effectuent pas les travaux nécessaires pour assurer la sécurité des résidents.
Les bons réflexes
Bref, il n’est pas toujours facile d’avoir une lecture juste de la réalité. Au moindre doute, il est possible de contacter de façon confidentielle la Ligne Aide Maltraitance Adultes Aînés (1 888 489-2287). Les intervenants peuvent aider la personne à déterminer s’il y a maltraitance, l’informer sur ses droits, la référer aux meilleures ressources et lui indiquer la marche à suivre pour faire une plainte ou un signalement, détaille Jean-Philippe Payment.
Les commissariats aux plaintes et à la qualité des services constituent une autre bonne ressource, ajoute-t-il. « Dans chaque commissariat, quelqu’un est responsable d’accueillir les personnes subissant de la maltraitance et qui veulent la dénoncer. Elles vont être réorientées au bon endroit, si jamais elles n’ont pas cogné à la bonne porte. » Si la plainte concerne un établissement, les commissaires ont le pouvoir d’exiger que la situation soit corrigée.
Mais surtout, il ne faut pas oublier que personne n’est à l’abri de la maltraitance. Il n’y a donc aucune honte à demander de l’aide, insiste Mélanie Couture. « Si on se sent toujours stressé, qu’on a peur ou qu’on ressent tout le temps un malaise au contact d’une personne, c’est peut-être le signe que quelque chose cloche, note-t-elle. Il faut suivre sa petite voix intérieure. »
C’est quoi, la maltraitance ?
« Il y a maltraitance quand une attitude, une parole, un geste ou un défaut d’action appropriée, singulier ou répétitif, se produit dans une relation avec une personne, une collectivité ou une organisation où il devrait y avoir de la confiance, et que cela cause, intentionnellement ou non, du tort ou de la détresse chez une personne adulte », définit le gouvernement du Québec.
Voici les types de maltraitance :
- psychologique
- physique
- sexuelle
- matérielle et financière
- organisationnelle
- âgisme
- violation des droits