On l’imagine simple, aimable, enjouée, généreuse de son temps et de ses souvenirs, capable d’apprécier les petits bonheurs comme les plus grands et de donner du sens aux épreuves jalonnant la vie. Sage aussi, mais pas trop, du haut de ses 70 ans, un cap fraîchement atteint qui accentue sa propension naturelle à profiter de chaque instant. Eh bien, Édith Butler est tout ça, et bien plus encore. Pour le savoir, il suffit de la laisser se raconter…
Un après-midi aux côtés de cette grande dame, sur la terrasse de sa maison jaune soleil des Cantons-de-l’Est gardée par ses trois chats sphynx, ou près de l’étang de sa magnifique terre de 125 acres, avec en musique de fond quelques ouaouarons jouant des accords de basse, est un véritable privilège.
Avec elle, les anecdotes se succèdent dans un coq-à-l’âne tantôt amusant, tantôt intimiste, mais toujours fascinant. Comment pourrait-il en être autrement venant d’une femme qui a appris à conter des histoires assise sur le comptoir du magasin général de son grand-père, dans le petit village acadien qu’elle allait plus tard contribuer à rendre mondialement célèbre, et dont la population était alors de 600 âmes, dont 102 Butler !
Une guerrière de la vie
Très éprise de la nature, elle peut parler pendant des heures des chevreuils qui viennent lui faire des petits coucous, de sa forêt et de ses prés qu’elle entretient avec amour, au volant de son tractor muni d’une mini-pelle mécanique, son « bras canadien » ! Montrant sur ses bras les vestiges de ses nombreux combats avec des branches, elle s’exclame : « Vivre à la campagne est un sport dangereux ! »
Elle parle aussi volontiers des bâtiments qu’elle a construit de ses mains, dont une chapelle, un garage, une maison d’écrivain et une grange, un don qui lui vient des Godin, la famille de sa mère, aujourd’hui âgée de 90 ans, qui fait encore son pain et cultive encore ses patates ! « Ma mère est mon modèle. Je me dis que si elle peut en faire autant à son âge, moi aussi ! D’ailleurs, j’ai toujours hâte que le soleil se lève le matin, pour entreprendre le projet du jour. J’aime vraiment la vie. »
Son regard s’assombrit soudain lorsqu’elle prononce l’affreux mot « cancer », qui lui a ravi un sein il y a cinq ans. Elle parle aussi de ses douleurs à toutes les articulations, dommages collatéraux des médicaments qu’elle doit continuer à prendre pour tenir l’ennemi à distance. « Je suis comme une amazone, ces guerrières qui se faisaient enlever un sein pour mieux tirer à l’arc. Moi, je suis une guerrière de la vie. »
La retraite, elle n’y songe pas. Cependant, sa maladie l’a amenée à baisser la cadence côté spectacles, qu’elle limite à deux par mois environ, triant sur le volet les demandes pour n’accepter que celles qui lui chantent vraiment. Comme ce spectacle à Saint-Aubin, en Normandie, un village qui a été délivré par 200 Acadiens, dont le seul qui soit encore vivant est originaire de Paquetville.
C’est aussi avec plaisir qu’elle fera de l’animation et chantera ses airs les plus connus lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux FADOQ, au Stade olympique, le 17 septembre. « Ce sera un truc intime. Seule avec ma guitare, je vais raconter mon cheminement aux gens et leur dire comment je vois la vie, à 70 ans. Bien sûr, je vais aussi leur jouer les plus grandes pièces de mon répertoire. »
Elle présente aussi un peu partout son spectacle Si Paquetville m’était conté, un mélange d’histoires personnelles et de chansons, un pur plaisir pour elle, tout comme celui de reprendre ensuite le chemin de sa terre adorée.
Une vie à raconter…et à écrire
Il y a aussi une biographie dans l’air, qu’elle prépare avec son imprésario et amie depuis près de 30 ans, Lise Aubut. « Je veux raconter la petite histoire et non les événements connus de tous : grandes salles, prix, Félix, disques de platine, etc. Par exemple, je ne veux pas mettre l’accent sur le fait que j’ai chanté à l’Olympia de Paris, mais plutôt que je suis tombée en bas de la scène, sur un Suisse. En remontant sur les planches, j’ai tout simplement dit : « C’était bien mieux qu’à la répétition ! »
Son livre fera aussi état de son extrême gêne, étant plus jeune, qui faisait en sorte qu’elle donnait des spectacles sans jamais s’adresser au public entre les chansons. Cette timidité était telle que le titre provisoire de la biographie est La fille qui se taisait.
« En 1974, j’ai fait ma première émission de télé en France, en compagnie de Serge Lama et de Marie-Paule Belle. Pendant trois heures, je n’ai pas placé un mot car il fallait prendre la parole et non seulement répondre aux questions de l’animateur. Lise m’a montré comment faire pour éviter que cela se reproduise, ce qui aurait été catastrophique pour ma carrière naissante en France et dans le reste de l’Europe francophone. Le lendemain, autre entrevue : j’ai parlé tout le long. »
Elle venait de changer sa gêne en bagou. C’est le déclic qu’il lui fallait pour ajouter une corde à sa guitare, se mettre à conter des histoires devant de larges auditoires et propulser sa carrière vers les plus hauts sommets.