À 73 ans, Raymond Bouchard est l’incarnation même de la zénitude. Il y a longtemps, pour trouver une solution à son angoisse, il s’est tourné vers le zen. De cette pratique, il a conservé une étonnante capacité à saisir l’instant. Alors qu’il se permet maintenant de trier sur le volet les projets professionnels, il profite de la vie en donnant la plus entière préséance au moment présent.
Planifier sans se priver
Pour avoir beaucoup travaillé par le passé, Raymond Bouchard aurait pu négocier difficilement le changement de rythme qui s’est imposé dans sa vie professionnelle. Il n’en est rien. Ces dernières années, il a tourné quatre longs métrages en Europe dont Les profs 2, un grand succès dans la francophonie.
« Je vis encore là-dessus, admet-il pour aborder les questions pratico-pratiques, mais j’achève… (rires) L’argent n’a jamais créé d’angoisse chez moi. Même lorsque j’étais jeune et que je n’en avais pas, je m’en fichais. J’essaie de prévoir l’argent dont j’ai besoin chaque année pour maintenir mon niveau de vie, sans trop travailler. Ça ne m’angoisse pas, mais pour la première fois de ma vie, je calcule un peu… » (rires)
Heureusement, de beaux défis s’offrent encore à lui. Il y a quelques années, on lui a même proposé de jouer une femme au théâtre, et pas n’importe laquelle : Lady Bracknell dans L’Importance d’être Constant, d’Oscar Wilde. « C’était ma première femme en carrière, s’amuse-t-il. Et les gens ne me reconnaissaient pas ! Je choisis mes projets. Comme je ne fais plus grand-chose, je me dis en préretraite. L’été prochain, nous reprendrons la pièce Représailles. C’est très drôle, le public se bidonne. Faire rire les gens, y a-t-il quelque chose de plus merveilleux par les temps qui courent ? »
Une nature contemplative
L’acteur cultive l’art de ne rien faire avec un talent manifeste. « J’ai décidé de prendre du temps, explique-t-il. Je ne fais plus que ce que j’ai vraiment envie. Mes filles ont toujours été ma priorité et elles le sont plus que jamais. Je ne m’inquiète pas dans la vie, sauf pour elles. Pour le reste, j’ai envie de vivre pleinement l’instant présent. Je ne m’ennuie jamais. Prendre mon café en mangeant mon orange le matin, c’est le paradis pour moi ! Ces petits moments de la vie sont si importants. Il faut prendre le temps d’en jouir. Au fond de moi, je suis plutôt paresseux. Je me considère comme un contemplatif. Le fait de n’avoir rien à faire me transporte au 7e ciel ! J’aime me lever le matin sans savoir ce qui m’attend. Je ne suis pas un être angoissé, même si je l’ai été par le passé. »
Il adore la musique classique et en écoute à tous les jours. « Sur Stingray Classica et Mezzo Live HD, il y a toujours quelque chose de beau à voir : des opéras, de grands chefs, de grands orchestres. Je lis beaucoup, ça m’a toujours intéressé. Je joue à des jeux sur mon ordinateur qui exigent qu’on fasse marcher ses neurones. C’est mon rythme. Je l’ai mérité. J’ai l’impression de m’être botté le cul toute ma vie. Ceci étant dit, je n’ai jamais été un workaholic. Je pouvais m’arrêter quelques jours sans problème. »
Les bienfaits du zen Soto
Ce grand philosophe a d’abord souffert avant d’en arriver à trouver une solution à sa névrose d’angoisse. Si Raymond a traversé des années particulièrement difficiles, il vit dorénavant en paix.
« J’étais terriblement angoissé, admet-il sans détour. Je connais ça, les thérapies. Il fallait que je trouve une manière de vivre qui ait du bon sens. Je me suis mis à chercher. C’est le zen Soto qui m’a sorti de cette situation. Un mois après avoir débuté ma pratique, je marchais sur la rue et je me suis senti heureux pendant quelques minutes. Quand tu vis en enfer, c’est intéressant de ressentir cette accalmie. Je me suis dit qu’il ne fallait pas que j’analyse ce qui venait de m’arriver, mais que je devais continuer à méditer. Dans le zen, il faut s’asseoir et ne rien faire. Ça ne sert à rien d’essayer de comprendre avec sa tête. Ce n’est pas intellectuel, il faut l’expérimenter. À la longue, quand on répète matin et soir, ça vient naturellement. Je suis complètement dans l’instant présent et cet espace s’agrandit de plus en plus. »
Raymond vit seul et ne s’en plaint pas. « Vivre seul n’égale pas nécessairement solitude, nuance-t-il. Je ne sais pas vivre autrement. Le silence m’interpelle énormément. Je peux passer des jours sans parler. Rester chez nous un samedi soir ne me dérange pas du tout, au contraire ! »
Diabétique depuis 50 ans
Malgré l’intensité de sa vie spirituelle, Raymond ne néglige pas son corps. Diabétique de type 1, il s’impose une discipline de vie nécessaire au contrôle de la maladie.
« Je suis diabétique depuis 50 ans, dit-il. C’est ma condition. Peu de gens ont passé 50 ans à l’insuline, même s’il y en a de plus en plus. J’ai quelques problèmes de santé, mais ils sont stationnaires. Lorsque j’étais plus jeune, je suis parti en Europe avec ma poche de seringues. Ce n’était pas une situation optimale pour un diabétique. Il n’y avait pas de glucomètre, le contrôle était plus difficile à exercer. Je vivais comme un nomade, je dormais dans mon camion. Si on ne fait pas attention, on paye pour. Il y a 20 ans, j’ai eu des pontages. Maintenant, je fais attention. J’ai ma pompe à insuline, je fais régulièrement des tests de glycémie. J’aime la vie et je veux vivre le plus longtemps possible. »
Photo : Bruno Petrozza