Dix ans après avoir prêté vie à Martha, dans un roman épistolaire auquel 100 000 Québécois étaient abonnés, voilà que Marie Laberge lui prête sa voix dans une version audio de ces lettres, leur donnant un caractère encore plus intimiste.
« Des nouvelles de Martha, c’était une petite folie que j’avais envie de faire, pour toutes sortes de raisons, dont celle de me rapprocher de mes lecteurs. J’ai été bouleversée par la confiance que les gens avaient en moi de s’abonner à une chose qui était inédite. J’ai reçu beaucoup d’amour tout d’un coup et j’ai travaillé très fort pour le mériter. »
Pour elle, ce projet a été « 1000 fois plus de travail qu’écrire un roman ». D’abord parce qu’il fallait écrire les lettres en double, puisque la nécessité d’avoir un style différent pour les hommes et pour les femmes s’est imposée dès le départ. « Après tout, on ne raconte pas son premier baiser de la même manière à son père et à sa mère ! »
En plus, il fallait soutenir l’infrastructure afin que tous les abonnés reçoivent une lettre à leur nom à toutes les deux semaines pendant trois ans.
L’enregistrement des CD a lui aussi été toute une aventure pour l’auteure, qui a renoué avec la comédienne en elle pour interpréter les lettres. « L’intimité de l’audio est en cohérence avec Martha. J’ai aimé lui donner cette finalité-là. »
À qui s’adresse la version audio, lancée le 10 septembre ? « J’espère éveiller un intérêt chez ceux qui n’ont pas connu Martha. Je crois aussi que bien des anciens abonnés voudront m’entendre lire les lettres. » La version audio totalisant quelque 40 heures d’écoute est disponible au marielaberge.com, pour hommes et pour femmes, en format numérique et en CD.
« Solide sur mon 67 »
Si la charmante fleuriste Martha n’a pas pris une ride depuis que les lecteurs ont appris à la connaître, Marie Laberge a vieilli d’une décennie dans l’intervalle. Qu’importe, puisque à 67 ans, elle a toujours autant d’énergie et qu’elle jouit d’une très bonne santé physique et mentale.
« Quand j’étais toute jeune, je croyais que lorsque je serais vieille, je ne serais plus capable d’avoir de la concentration et des idées neuves. Or, les deux choses ne sont pas du tout en baisse ! Je me sens solide sur mon 67. »
« Vieillir m’amène une conscience aiguë que chaque projet que je vais entreprendre, je le veuille vraiment. Parce qu’il n’y en a pas tant à entreprendre encore. Le temps qui m’est donné n’est pas éternel et j’en ai moins devant que derrière. »
Cet état d’esprit l’amène à rejeter l’idée de créer une suite aux Nouvelles de Martha ou d’écrire un autre roman épistolaire. « Je veux plonger dans de nouvelles sphères. »
Sur sa table de chevet
Qu’est-ce qui trône sur la table de chevet de l’écrivaine la plus lue et la plus vendue au Québec ? Des livres ! Au moment de notre entretien, il y avait Le lambeau de Philippe Lançon (Gallimard) et Correspondance (1944-1959), d’Albert Camus et Maria Casarès (Gallimard). « Il y a d’autres livres aussi mais puisqu’ils ont un lien avec le projet d’écriture que j’entreprendrai à l’automne, vous n’en saurez rien… »
Il faudra donc patienter le temps qu’il faut avant de faire connaissance avec les personnages qui trottent présentement dans la tête de cette auteure à la plume et à la chevelure distinctives.
Pour en finir avec l’âgisme
En fin d’entrevue, Marie Laberge quitte l’univers feutré de la littérature pour dénoncer le sort que notre société réserve aux aînés. « Il y a 20 ans, on disait certaines phrases à propos des femmes qui maintenant seraient complètement déplacées. Que j’ai hâte qu’il en soit de même pour certaines phrases sur les gens âgés. Il faut qu’on se rende compte à quel point on diminue les gens qui ont pris de l’âge, à quel point on leur prête une confusion mentale qu’ils n’ont pas, qu’on les infantilise, qu’on ne les écoute pas et qu’on refuse leur rythme. C’est ce qui fait que bien des gens d’un certain âge se sentent jetables. »
Un tel âgisme la choque profondément et lui fait honte, comme société. « Nous sommes mûrs pour une Révolution de l’âge, afin qu’on comprenne que prendre de l’âge n’est pas perdre pied. »
Photo : Michel Cloutier