« Vous connaissez la danse hip-hop ? » Dans le sous-sol d’une bibliothèque de l’est de Montréal, 11 femmes et un homme écoutent attentivement les propos de Jeanne Théroux-Laplante, intervenante depuis deux ans chez Prima Danse, un organisme unique en son genre au Québec.
« C’est un style qui est né dans le Bronx, à New York, dans les années 70, explique la jeune femme. Vous allez voir. C’est une danse dynamique qui demande énormément d’énergie… »
Alors que la musique rap commence à résonner dans la salle, chacun se lève et commence à rebondir et se balancer au rythme de la cymbale et de la basse. Visiblement, le groove est dans la place.
S’exprimer autrement
Activité à la fois artistique, physique et ludique, la danse permet simultanément de bouger, de stimuler notre créativité, de renforcer notre estime de soi et de tisser des liens sociaux. Ces multiples bienfaits sont au cœur de la mission d’intervention sociale menée par Prima Danse.
Sa cofondatrice et directrice générale, Katrina Journeau, raconte avoir « toujours cru au pouvoir du mouvement… de s’exprimer autrement que par les mots ».
Né en 2010, l’organisme à but non lucratif (OBNL) œuvre auprès de différentes clientèles dites vulnérables. D’abord chez les jeunes, notamment pour déjouer l’hypersexualisation, puis progressivement auprès des générations plus âgées.
« Avant même la pandémie, on a constaté un gros besoin de socialiser chez les personnes aînées, poursuit-elle. La COVID-19 l’a amplifié. » Pour briser leur isolement, l’OBNL est « allé à leur rencontre », offrant des ateliers dans divers milieux de vie, comme des HLM et des résidences privées pour aînés, et ce, dans plusieurs régions de la province. Parfois des séances uniques d’une heure, d’autres fois, des cours qui s’échelonnent sur une période de 5 ou 12 semaines.
« On s’est rendu compte que la musique leur faisait du bien pour la mémoire, la cognition. On allait susciter des émotions. C’était vraiment touchant. » À son deuxième atelier, ce n’est pas Jaqueline Morneau, 83 ans, qui dirait le contraire.
« C’est difficile. Il y a un mouvement, puis un autre, puis un autre… C’est bon pour la coordination, puis aussi pour la mémoire. À nos âges, on n’a pas le choix, il faut travailler ! »
Bouger… à son rythme
On ne le répétera jamais assez : bouger est essentiel pour maintenir une bonne qualité de vie en vieillissant. Or, plus de 21 % des 65 ans et plus se disent peu actifs, tandis que près de 38 % se disent carrément sédentaires, selon le plus récent Portrait des personnes aînées au Québec publié par l’Institut de la statistique du Québec.
Gaby Ialenti fait partie du deuxième groupe. « De l’exercice, je n’en fais pas », lance-t-elle candidement. Pour celle qui s’est inscrite aux ateliers pour « sortir de la maison et rencontrer des gens », la danse est devenue l’occasion d’enfin faire une activité physique. « C’est tout mon corps qui bouge, mes muscles qui se réveillent… »
Tamara Journeau, autre intervenante chez Prima Danse, souligne l’importance de l’effet d’entraînement au sein des groupes.
« C’est arrivé quelques fois que des gens nous disent : “Ça fait longtemps que je ne me suis pas levé de ma chaise !”. Avec la musique, les exercices proposés, l’énergie qui se crée entre tout le monde… Ils avaient vraiment envie de participer à ça. Même en une heure, c’est remarquable l’évolution qu’on peut constater. » Sa collègue Jeanne hoche la tête. « Peu importe les mouvements qu’on propose, tout est adaptable pour répondre aux besoins de tout le monde. Chacun peut mettre ses propres limites. Chacun s’encourage. »
Sans pression
Pas question de mettre la performance en valeur. Oubliez les chorégraphies complexes. Ici, la participation et l’exploration priment.
« Tout le monde peut taper des mains, tout le monde peut plier les genoux. À partir de là, on vous amène vers la danse sans que vous vous en rendiez compte, fait valoir Katrina. On est loin d’un cours traditionnel. Il n’y a pas de droite, de gauche, d’avant, d’arrière. Il n’y a pas de limite ni de cadre. »
« C’est beaucoup dans la création, même dans l’improvisation, indique pour sa part Tamara. Les gens peuvent bouger comme ils en ont envie. Parfois, ça peut faire peur, on n’est pas forcément habitué à se laisser aller. Mais finalement, ça fait du bien. »
Un sentiment que partage Mme Ialenti : « Je pense que le but, c’est d’essayer. Je suis rigide. Si le haut bouge, le bas reste fixe et vice versa ! Je ne réussis donc pas ce que les autres font, mais c’est pas grave ! Je le fais pour le plaisir de la danse, de la musique. »
Cette manière de mettre l’accent sur l’être plutôt que la réussite est fondamentale dans l’intervention sociale par la danse. Et selon la cofondatrice de Prima Danse, cette approche est de plus en plus populaire. En exemple, Katrina Journeau indique que des CIUSSS l’ont approchée, que Boucherville a déboursé pour des interventions dans toutes les résidences de son territoire, et qu’une subvention du fédéral lui a permis d’offrir ses services au Saguenay. Ce genre d’intérêt pourrait permettre à l’organisme de s’étendre encore plus à la grandeur du Québec.
« L’expression “intervention sociale par l’art”, on la voit de plus en plus dans les appels de projets. Ça va aller en grandissant ; la demande est là. »
À entendre les rires dans le sous-sol de la bibliothèque montréalaise, le rythme des requêtes risque fort bien de s’accélérer.