Culture trad, d’une génération à l’autre

La culture trad au Québec, c’est l’histoire d’un flambeau qui se passe d’une génération à l’autre. Depuis toujours, les passeurs de tradition, par l’oralité ou la relation maître-apprenti, forment la relève. Cap sur la transmission d’un patrimoine plus vivant que jamais.

Au fil des décennies, le maître-accordéoniste Raynald Ouellet est devenu l’un des plus grands bâtisseurs et ambassadeurs du milieu de la musique traditionnelle québécoise. Membre du groupe Éritage, il a joué au Canada, aux États-Unis, dans plusieurs pays d’Europe et d’Afrique.

Ce parcours exceptionnel a toutefois débuté modestement, dans la région de Montmagny. C’est là qu’il a appris de façon informelle les rudiments de son instrument, alors qu’il visitait ses oncles maternels.

« Avant l’arrivée de la télé, c’était la plus belle façon de se désennuyer, se remémore le virtuose. Tout le monde apprenait à l’oreille, par essais et erreurs. On développait notre mémoire musicale. » 

Cet apprentissage s’est poursuivi ainsi, en écoutant et en observant. En exemple, il évoque ces gens en ville qui jouaient des mélodies sur leur balcon, ainsi que ces accordéonistes et violoneux que son grand-père engageait pour animer les fêtes à la maison, surtout lorsque la visite « venait des États ».

L’élargissement de son répertoire s’est ensuite fait grâce à la rencontre de grands accordéonistes québécois comme Yves Verret, Philippe Bruneau et Marcel Messervier.

Raynald Ouellet a reçu plusieurs prix et distinctions, dont la Médaille de l’Assemblée nationale. Photo : Manon Dumas

Un vent de renouveau

Puis est venu son tour de léguer l’héritage. D’abord en enseignant à un élève à la fois chez lui, puis à de petits groupes à l’École internationale de musique de Montmagny, dont il a été l’un des fondateurs.

Raynald Ouellet estime avoir transmis ses connaissances à plus d’une centaine de personnes, de tout âge. Parmi elles, Alexandre Patry.

Ce jeune homme avait trois ans quand il a découvert l’accordéon. « Je produisais des sons et du vent », raconte-t-il. À six ans, il jouait son premier morceau grâce à l’écoute assidue d’un lecteur cassette et aux enseignements de son père. Et puis, à 10 ans, il devenait l’élève de Raynald Ouellet.

Alexandre a maintenant 18 ans et fraye son propre chemin dans le monde de la musique trad. En plus de se produire au Carrefour mondial de l’accordéon, il reçoit de plus en plus d’offres pour jouer dans les veillées. Il vient aussi de succéder à son ancien prof pour enseigner l’accordéon à l’école de musique.

« La marche était haute, concède le musicien. J’ai sept élèves âgés de 6 à 60 ans. Aucun n’est issu d’une famille d’accordéonistes et en une semaine, s’ils pratiquent à la maison, ils peuvent jouer un premier morceau simple. »

Des disciplines qui ont la cote

Selon Antoine Gauthier, directeur général du Conseil québécois du patrimoine vivant (CQPV), le milieu de la musique traditionnelle connaît un essor important depuis une décennie. « Il y a 10 à 15 ans, explique-t-il, les veillées de danse publiques, organisées et récurrentes existaient surtout à Montréal et à Québec. Il y en a beaucoup plus maintenant. » Pour s’en convaincre, il suffit de consulter la carte interactive publiée sur le site du CQPV. Des veillées de danse folklorique se déroulent à l’année, de Gatineau à Gaspé.

Du côté des peuples autochtones, la transmission du patrimoine est tout aussi bouillonnante. Pensons au maître Charles-Api Bellefleur, porteur de la tradition innue, qui raconte aux plus jeunes les légendes de sa Nation dans sa langue natale, l’innu-aimun, et ce, accompagné de son tambour sacré, le teueikan.

Des actions structurantes visent par ailleurs à pérenniser la passation du savoir. L’émergence de festivals dédiés à la musique folklorique en est un exemple. La diffusion des modules TRAD 666, qui permettent aux enseignants du secondaire d’intégrer la musique traditionnelle québécoise dans les cours qu’ils donnent à leurs élèves, en est un autre. Et c’est sans compter le nouveau magazine Culture Trad Québec, une publication au design moderne qui cherche à plaire à un public jeune et branché.

« On a besoin d’aide »

Normand Legault en connaît beaucoup sur la culture trad. « On ne danse pas les mêmes types de danses dans la région de Québec qu’en Outaouais », explique-t-il au sujet des nombreuses nuances régionales qui existent dans la province.

Normand Legault est gigueur, câlleur et spécialiste de la danse traditionnelle. Photo : Danielle Giguère

À partir des années 1970, cet ethnologue partage ses connaissances dans les festivals, soirées de danse et ateliers de formation, parfois à des centaines de personnes.

Selon lui, « la relève est là, les mentors aussi ». Il cite en exemple les nombreux camps estivaux de danse traditionnelle qui rassemblent parents, grands-parents et petits-enfants.

« Il ne nous reste maintenant qu’à soutenir financièrement les organismes qui chapeautent les activités, qu’il soit question de danse, de formation ou de festivals, commente-t-il au sujet de l’avenir du patrimoine vivant. Il faudra nous équiper aussi. On a besoin de systèmes audio, de salles assez grandes et ventilées pour accueillir 150 à 200 personnes, de beaux planchers qu’on aura le droit de marquer de nos souliers… Le temps des pelouses croches sur lesquelles on posait des feuilles de plywood est terminé. »

Et pourquoi ne pas inviter ces porteurs de tradition dans les grands festivals ? Pourquoi ne pas les diffuser sur les chaînes radio… et pas seulement le 31 décembre ?

La flamme du trad est donc bien vivante. Avec un peu plus d’oxygène, elle pourrait se transformer en feu ardent.

En savoir plus

Pour trouver une veillée de danse, connaître les maîtres de traditions vivantes ou encore lire le magazine Culture Trad Québec, allez au patrimoinevivant.qc.ca.

Le CQPV s’est inspiré d’une initiative de l’UNESCO pour créer le programme Maîtres de traditions vivantes. Ce dernier « vise à reconnaître des artistes et artisans au talent exceptionnel qui maîtrisent une pratique ou une technique transmise de génération en génération ». À ce jour, seulement 10 personnes ont obtenu cette reconnaissance.

Photo principale : Vitor Munjoz