Si la crise des opioïdes avait un visage, on lui donnerait spontanément celui d’une personne toxicomane d’une vingtaine d’années. Or, les aînés sont plus nombreux encore à être hospitalisés pour cette raison. Et il y a beaucoup de décès à la clé.
« Il y a deux crises des opioïdes. Il y a celle qu’on entend dans les médias, qui concerne les toxicomanes qui vivent dans la rue et consomment des drogues illicites contenant du fentanyl. Et il y a celle, plus répandue, touchant des aînés qui traitent leur douleur chronique avec des opioïdes prescrits par leur médecin, qui en sont dépendants sans le savoir et qui trop souvent font des surdoses accidentelles », explique Chantal Levesque, responsable de programmes et chargée de cours à la Faculté de l’éducation permanente de l’Université de Montréal.
Trop d’opioïdes…
Il est vrai que l’explosion du nombre d’ordonnances d’opioïdes aux aînés fait elle aussi la manchette de temps à autre. Et pour cause : entre 2014 et 2017, elles ont augmenté de 34 % chez les personnes de 65 ans et plus ! Le nombre de jours d’hospitalisation et le taux de mortalité associés aux intoxications aux opioïdes sont eux aussi en forte croissance. Au Canada, 2e prescripteur d’opioïdes dans le monde après les États-Unis, nous sommes bel et bien face à une épidémie invisible touchant en particulier les aînés.
Par ailleurs, si rien ne change, la hausse sera exponentielle dans les années à venir, en raison du vieillissement de la population et de l’un de ses corollaires, les cas de plus en plus nombreux de maladies chroniques ayant une composante de douleur.
L’accoutumance guette ceux qui prennent ces puissants analgésiques sur une longue période. Une dépendance s’installe aussi insidieusement, d’autant plus que les médicaments sont moins démonisés que d’autres substances et que les utilisateurs en sous-estiment le risque puisque les médicaments ont été prescrits par un médecin.
Ajoutez à cela l’efficacité partielle des traitements pharmaceutiques ainsi qu’une mauvaise gestion de la douleur et voilà que le décor est campé pour un film dont les victimes sont des personnes toxicomanes qui s’ignorent et dont la scène finale se déroule souvent aux urgences.
…Et trop de douleur
« En voulant gérer un problème, celui de la douleur chronique, on en a créé un autre. C’est en partie parce que les fabricants d’opioïdes ont présenté ces médicaments comme une panacée et ont sous-révélé les risques associés à leur utilisation », commente Mme Levesque, détentrice d’une maîtrise en santé publique.
Par ailleurs, les médecins sont davantage sensibilisés aux dangers des opioïdes, mais ils ont peu de solutions de remplacement à offrir à leurs patients qui ont mal. De plus, ils n’ont pas été formés pour gérer la douleur chronique autrement qu’avec des opioïdes.
Se trouve-t-on alors devant un problème insoluble ? Non. Mais de l’avis de Chantal Levesque, il faut d’abord et avant tout que les patients diminuent leurs attentes par rapport au traitement de leur douleur chronique.
« Il faut amener les gens à accepter l’idée que la douleur fera partie de leur vie, qu’elle ne disparaîtra pas à 100 %. Il est préférable de viser une réduction du niveau de douleur permettant de reprendre les activités de la vie quotidienne, à l’aide d’une combinaison d’approches », avance Mme Levesque.
Vers les approches complémentaires
Ainsi, des approches complémentaires, telles que l’ostéopathie, la chiropratique, l’acupuncture, la massothérapie, la nutrition, la psychothérapie, le yoga et la méditation, gagneraient à être davantage envisagées.
« Beaucoup de gens croient encore qu’il n’existe pas de données probantes sur les approches complémentaires. Pourtant, de nombreuses études scientifiques démontrent aujourd’hui leur efficacité. Il est prouvé qu’elles permettent de réduire ou même d’éliminer la prise de médicaments », fait valoir Mme Levesque.
En ce qui a trait aux pratiques telles que le yoga, pour lesquelles il existe moins de données scientifiques, elle ajoute : « On sait que ça améliore la situation. Et, de toute façon, c’est quoi le risque, à partir du moment où le professeur est bien formé ? »
La solution passerait donc par la santé intégrative, soit une combinaison des approches thérapeutiques conventionnelles offertes par le réseau de la santé et des approches complémentaires. C’est d’ailleurs ce que prône l’Organisation mondiale de la santé.
Malgré le fait que les deux-tiers des Québécois utilisent déjà les approches complémentaires et que les médecins réclament des formations à ce sujet afin de pouvoir informer à leur tour leurs patients, le Québec accuse un certain retard par rapport aux autres provinces canadiennes et aux États-Unis sur le chemin menant à la santé intégrative. Un rattrapage s’impose puisque dans l’intervalle, la surmédication rend trop d’aînés malades…
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Les opio… quoi ?
Les opioïdes sont des analgésiques surtout utilisés pour soulager la douleur aiguë (après une blessure ou une chirurgie) ou chronique. Ils sont prescrits sous différentes formes : timbres, comprimés, gélules, vaporisateurs nasaux… Les médicaments suivants appartiennent à cette famille :
- fentanyl;
- morphine;
- oxycodone;
- hydromorphone;
- codéine.
Il faut absolument éviter :
- d’en prendre plus que la dose prescrite;
- d’utiliser un médicament opioïde prescrit à quelqu’un d’autre.
Source : canada.ca/opioides
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Des faits troublants
- 66 % des Canadiens de 65+ prennent plus de cinq médicaments sous ordonnance et 27 % en prennent plus de 10, ce qui fait grimper les risques d’interactions médicamenteuses.
- Les aînés sont plus vulnérables aux répercussions indésirables des médicaments car leur cerveau est plus sensible aux effets des médicaments, ceux-ci restent plus longtemps dans leur corps et ils ne sont plus éliminés aussi efficacement par le foie et les reins.
- Même des médicaments en vente libre pour favoriser le sommeil ou contrer les allergies peuvent aggraver les effets secondaires des opioïdes.
- Les chutes, les troubles cognitifs et la dépression font partie des effets secondaires des opioïdes.
Sources : ccdus.ca et reseaudeprescription.ca