Maison ou résidence : quand les parents et les enfants ne s’entendent pas

Quand les enfants s’inquiètent pour leurs parents vieillissants, il leur arrive parfois d’avoir la conviction qu’ils seraient plus en sécurité en résidence. Or, les parents ne sont pas toujours d’accord. Comment concilier l’angoisse des uns et la volonté des autres ? Trois personnes ont accepté de nous confier l’expérience vécue par leur famille sur cet enjeu particulier. Nous avons ensuite demandé à la travailleuse sociale Annie Gagnon d’apporter son éclairage professionnel sur chacune des trois situations.   

Quand les enfants s’inquiètent

Nathalie nous confie s’inquiéter pour son beau-père de 83 ans depuis que sa belle-mère a dû être admise dans un CHSLD il y a un an. Comme son conjoint est fils unique et que, de plus, ils habitent loin, le couple se sentirait plus tranquille si monsieur, qui peine à se débrouiller seul, acceptait de déménager en résidence. Or, il répond toujours que c’est sa femme qui a besoin d’aide, pas lui. Il va d’ailleurs la voir tous les jours et prend très au sérieux son rôle de proche aidant.

Nathalie se désole qu’il s’en mette autant sur les épaules. S’il était en résidence, il serait en sécurité et pourrait profiter de la vie… Voyant qu’il ne servait à rien d’insister, son conjoint et elle ont cessé de lui parler de résidence… jusqu’à ce qu’elle en découvre une à distance de marche du CHSLD de sa belle-mère. Mine de rien, Nathalie a glissé l’information à son beau-père, qui, à sa grande surprise, est revenu sur le sujet en lui disant que ce serait peut-être une bonne idée !

Le beau-père de Nathalie avait peut-être tout simplement besoin de temps pour s’adapter à sa nouvelle situation avant d’envisager un nouveau changement, estime Annie Gagnon, qui a travaillé 20 ans dans le système public avant de fonder Sérénité, une firme spécialisée en travail social.  Après tout, monsieur a vu sa vie changer radicalement.  Et comme sa priorité est sa femme, il va de soi que la seule résidence qui puisse l’intéresser soit celle qui lui permette de se rapprocher d’elle, ce qu’a fort bien saisi sa belle-fille. Selon l’experte, ce témoignage souligne l’importance d’accompagner une personne à son rythme, en regardant la situation de son point de vue, en respectant ses choix et ses valeurs. Cela demeure le défi de bien des proches, concède-t-elle.

Quand le parent impose son choix 

Le père de Chantal a 97 ans. Selon elle, celui-ci « s’entête » à vivre seul dans sa maison bien qu’il soit malade, visiblement souffrant et en fauteuil roulant. « Même s’il souffre le martyre, il nous répond toujours que tout va bien ! » Tous septuagénaires, Chantal et ses frères et sœurs collaborent donc au maintien à domicile de leur père. Et ce n’est pas faute de lui avoir proposé toutes les alternatives possibles. Même si certains enfants se sentent prisonniers de son choix, tous se sentent coupables de n’être pas plus présents. Chantal est celle qui s’accommode le mieux de la situation car elle ne se gêne pas pour lui dire ses quatre vérités ni pour fixer ses limites quant à ses disponibilités. Toujours avec une touche d’humour…  

Mme Gagnon a souvent observé que les personnes aînées ne se rendent pas toujours compte des répercussions que peuvent avoir sur leurs proches leur choix de rester à domicile. Parce que personne n’ose leur dire. C’est pourquoi elle encourage les proches à exposer clairement leurs limites, d’abord entre eux, puis avec leur parent.  

De toute évidence, dans cette famille, « Chantal communique fort bien avec son père; plutôt que de l’infantiliser, elle le traite d’égal à égal », poursuit la travailleuse sociale. Mais communiquer ses limites n’est pas facile pour tout le monde. « Dans une telle situation, une personne neutre peut être mieux placée pour faire savoir aux enfants comme aux parents ce qu’ils n’arrivent pas à se dire directement. »

Quand un enfant impose son choix 

Lise raconte qu’un an après la mort de son père, un de ses frères a décidé qu’il était temps pour leur mère âgée de 81 ans d’aller en résidence. Pensant bien faire, il a magasiné et choisi seul la résidence qui lui conviendrait, selon lui. « Ma mère a été mise devant le fait accompli, comme mes frères et moi. Elle a déménagé contre son gré et n’a parlé à aucun résident durant deux ans ! », se désole Lise, toujours ébranlée en évoquant ce souvenir. Mais 10 ans plus tard, sa mère a choisi seule une nouvelle résidence et pris toutes les dispositions concernant sa fin de vie sans le dire ni demander la permission à personne, résume Lise, admirative. 

Dans ce cas-ci, le libre arbitre de la mère semble avoir été bafoué, indique Mme Gagnon. « Tant qu’une personne est en mesure de prendre ses décisions, nul n’a le droit de les prendre à sa place. Or, cette dame en était parfaitement capable, comme l’indique la fin de son histoire. » Même en ayant les meilleures intentions du monde, « placer » quelqu’un contre son gré n’est jamais une bonne idée. « J’ai déjà vu des cas où la personne avait cessé de s’alimenter », poursuit la travailleuse sociale. 

La conviction de savoir mieux que l’autre ce qui serait le mieux pour son bien-être est un des traits les mieux partagés de la nature humaine. Mais tout bien intentionnés soient-ils, bien des proches ne se fient qu’à leur propre jugement. La résidence leur paraît être la solution, faute de connaître les solutions de rechange qui pourraient permettre à la personne de demeurer chez elle. « C’est pourquoi je dis souvent que les travailleuses et travailleurs sociaux servent à trouver des  solutions. » Ces spécialistes peuvent aussi servir de médiatrices ou de médiateurs en cas de désaccord entre les enfants et évaluer objectivement les besoins du parent.