L’hiver en Floride : temps durs pour les snowbirds

Inflation, changements climatiques, spéculation immobilière : il faut allonger de plus en plus de billets verts pour se payer le luxe de passer l’hiver en Floride. Le rêve ensoleillé devient-il hors de portée du commun des snowbirds ? Témoignages.

En 2011, Michel Charest s’est acheté une maison mobile à Deerfield Beach, une ville située dans le sud de la Floride, entre Boca Raton et Pompano Beach. Même s’il possède son toit, il doit payer chaque mois pour la location du terrain où il est installé. Or, en une seule année, le prix a grimpé de 160 $ US par mois. En dollars canadiens, cela représente une hausse annuelle de plus de 2 500 $. Avec tous les autres frais qui augmentent, il devient difficile d’absorber les dépenses.

« Ma conjointe et moi avons coupé dans notre budget restaurant et mis une croix sur les sorties qui ne sont pas gratuites. Heureusement, il y a plusieurs activités sur place », mentionne celui qui préside le club social de l’endroit où il réside.

Pour boucler son budget, le couple a loué sa maison un mois l’an dernier. Ce sera le double l’année prochaine. « Mais cela augmente nos primes d’assurance et entraîne des coûts supplémentaires, pour le ménage par exemple », explique le retraité.

On observe une augmentation généralisée de la valeur des terrains et des immeubles, ainsi qu’une flambée des taxes et des assurances

Michel Séguin, éditeur du magazine Carrefour Floride

Les taxes bondissent

Pendant une dizaine d’années, Suzanne Boulerice louait une résidence sur la côte ouest de la Floride. Son budget lui permettait de s’offrir du luxe, avec chambres à coucher multiples, piscine creusée couverte et vue sur le canal. Or, la pandémie et le passage d’ouragans destructeurs ont fait bondir les prix.

Devant cette flambée, la Québécoise s’est tournée vers l’achat d’un condo à Pompano Beach pour continuer de passer l’hiver en Floride. « C’est certain que c’est moins luxueux que ce que nous avions l’habitude de louer, mais c’est quand même très bien et c’est un investissement. » Ce qui ne l’a pas mise à l’abri des fluctuations de prix pour autant. « Quand nous avons acheté en 2022, nos taxes étaient de 1 700 $ US et, pour la prochaine année, ils nous annoncent 5 629 $ US. Wow ! J’ai appelé pour me plaindre et contester cette augmentation. »

Le hic, selon elle, c’est que certains Américains peuvent obtenir une réduction de leur compte de taxes, ce qui n’est pas le cas des snowbirds.

Ces histoires ne sont pas des exceptions à la règle. En effet, on observe une augmentation généralisée de la valeur des terrains et des immeubles, ainsi qu’une flambée des taxes, observe Michel Séguin, éditeur du magazine Carrefour Floride. Ce qui fait gonfler la facture tant pour les propriétaires que les locataires. « On voit plusieurs terrains de maisons mobiles qui sont vendus à fort prix à des promoteurs immobiliers qui y construisent ensuite des complexes de cinq, six, sept ou dix étages. » Résultat : les options abordables pour se loger se font de plus en plus rares.

Le coût pour passer l’hiver en Floride, soit quatre mois, a drôlement changé par rapport à ce qu’il était il y a quatre ou cinq ans

Gilles Charbonneau

Des primes qui triplent

Autre phénomène qui affecte les snowbirds : les changements climatiques. L’augmentation du nombre et de l’intensité des ouragans, ainsi que la montée des eaux poussent les compagnies d’assurances à augmenter leurs primes. Gilles Charbonneau en sait quelque chose. Comptable à la retraite, il s’est impliqué dans la gestion du complexe de 21 immeubles où il habitait à Fort Lauderdale. « Pour assurer une seule des tours, comptant 40 appartements, la prime est passée de 15 000 $ en 2020, à 35 000 $ en 2022 et à 43 000 $ pour 2023, ce qui revient grosso modo à 1 000 $ par unité. » Chaque propriétaire doit aussi assurer l’intérieur de son condo, ajoute-t-il. « Juste pour les assurances, cela coûte autour de 2 000 $ par année. »

Ce qui s’ajoute à d’autres augmentations. « Le coût pour passer l’hiver en Floride, soit quatre mois, a drôlement changé par rapport à ce qu’il était il y a quatre ou cinq ans. Et quand tu es propriétaire, tu paies les taxes, les frais de condo, les assurances, tu paies tout pour 12 mois. Au final, ça commence à faire cher. » Tout compte fait, Gilles Charbonneau a vendu l’an dernier le condo qu’il possédait depuis 16 ans. Maintenant, il loue plusieurs mois par hiver et teste d’autres destinations soleil.

Même son de cloche de la part de Lise Roy. Elle a vendu le condo qu’elle possédait depuis 14 ans pour s’acheter un véhicule récréatif. L’hiver dernier, son conjoint et elle se sont installés dans un camping situé à Mission, au Texas. « Louer un terrain pour trois mois nous coûtait moins cher que pour un seul mois en Floride. Et cela permet de découvrir autre chose ! » Elle a aussi constaté que l’endroit était prisé des Québécois. L’expérience a été si concluante qu’ils prévoient s’y poser pour un deuxième hiver.

Un rêve encore abordable ?

Malgré la situation, les retraités québécois n’ont pas déserté le pays des oranges, selon la rédactrice en chef du journal francophone Le Soleil de la Floride, Denise Dumont. « On voit que les Québécois changent leurs habitudes en écourtant leur séjour ou en migrant vers le nord de l’État, plus abordable. »

Un point de vue que partagent plusieurs snowbirds, comme Suzanne Boulerice. « Je pense qu’il faut faire des concessions, trouver des solutions. Par exemple, certains vendent leur condo et le louent ensuite trois ou quatre mois par année, quand c’est possible. D’autres achètent avec un autre couple ou mettent leur unité en location. Mais il faut parfois faire certains deuils », concède-t-elle.

« La Floride offre des choses qu’on ne peut reproduire ailleurs. Elle est accessible, on y parle français et on est sur le même fuseau horaire que le Québec, plaide Denise Dumont. Et il y a tellement de possibilités pour s’occuper, en dehors de la plage et du soleil. »

De quoi faire briller encore le rêve du Sunshine State