Écrivaine, chanteuse, comédienne et conférencière, Louise Portal œuvre dans le milieu culturel québécois depuis plus de 50 ans. Elle signe le deuxième d’une série de quatre textes exclusifs à Virage.
Je me suis éveillée, enveloppée d’une sorte de voile. Je n’arrive pas encore à mettre des mots sur cet état qui m’habite, logé en mon âme. Je me sens endeuillée. De qui ou de quoi ?
Mystérieusement apparaît une silhouette au loin. Mon actrice ! Celle en moi qui a été une actrice depuis plus de 50 ans. Je l’observe se déplacer lentement, un peu perdue, anonyme, dans un paysage métamorphosé. Elle avance… Quasi muette, une valise à la main. Je la reconnais, cette valise… la valise aux oublis ! Elle contient tous les projets, les rôles avortés, les déceptions, les résignations. Mon actrice est encore belle, mais la vieillesse a ralenti son pas. Quelques frissons parcourent son corps. Elle manque de cette chaleur, celle de sa famille artistique qui a vu s’éloigner tant de camarades, partenaires, artisans, plusieurs vers d’autres cieux.
Voilà les mots qui logent en mon âme. Ils viennent de surgir sous ma plume et mon cahier les accueille avec soulagement. Mon cœur fragilisé par la perte reprend du souffle. Celui de l’espérance en la vie.
Le pouvoir des mots
J’écris, chaque jour, telles une prière et une méditation, afin d’exorciser les pensées parasites, chassées par la puissance régénératrice des mots qui possèdent ce pouvoir d’évacuer la peine et de faire naître l’acceptation de ce qui est.
Ces temps de passage, de transition, ne sont pas aisés à vivre. Ils bousculent nos repères. On les cherche et ils ont disparu. Il est nécessaire d’en découvrir, d’en instaurer de nouveaux, qui feront appel à notre source profonde, à cette eau pure d’expression, de don de soi. On réalise qu’elle était dormante et lorsque l’agitation de toute une vie ralentit, elle rejaillit à nouveau pour nous abreuver, cette fois plus spirituellement.
Les mots me donnent toujours accès à cette source. La mienne. La vôtre ? Allez-vous y puiser parfois ? Comment vous sentez-vous ? Prendre le temps d’inscrire sa pensée en quelques phrases ouvre le cœur, laisse entrer le vent du changement, invite au voyage intérieur.
Le voile, le deuil, s’est dissipé. Le paysage de ma vie devient plus lumineux. La source coule et les mots devenusdes oiseaux s’envolent, et le printemps renaît au bout de mes doigts.
Mon actrice fait une halte. Elle s’assoit au bord d’un filet d’eau, boit à la source. En elle, tout s’apaise. Elle remercie pour ce qui a été. Son regard se projette vers l’avenir avec confiance. Celle de renouer un jour avec sa famille de saltimbanques, au théâtre, au cinéma, à la télévision. Poursuivre cette vocation amorcée alors qu’elle avait 15 ans.
« Les mots sont les passants mystérieux de l’âme », disait Victor Hugo. À plus de 70 ans, en voilà quelques-uns qui ont suffi à me redonner le courage de continuer d’avancer.
