Être reçu chez Janette Bertrand est un honneur. Une discussion en tête à tête avec cette grande dame est un privilège. Sa capacité d’écoute, notoire, n’a pas pris une ride et ses propos la campent une fois encore à l’avant-garde. En effet, cette vraie vieille juxtapose « longévité » et « épanouie », « vieillesse » et « plaisir ». Et, du coup, on ose y croire.
Son livre La vieillesse par une vraie vieille (Libre Expression, 24,95 $), qui alterne entre son parcours personnel et ses réflexions générales sur le grand âge, a à nouveau propulsé cette bête de communication à l’avant-scène. Elle ne s’en plaint pas puisque la transmission de son savoir donne encore un sens à sa vie, même à 91 ans.
Une vieillesse à imaginer
« Mon livre ne s’adresse pas nécessairement aux vieux mais plutôt aux gens qui ont peur de vieillir, les baby-boomers par exemple, qui sont dans le déni par rapport à la vieillesse. Ils doivent se demander dès maintenant ce qu’ils vont faire des 30 années qu’il leur reste : tomber dans le piège du chialage ou bien décider d’être heureux et prendre les moyens pour l’être », dit notre seule et unique Janette, fidèle à sa réputation de casseuse de tabous.
Elle met entre autres au défi les baby-boomers d’inventer d’autres milieux de vie que les actuelles résidences pour aînés, qu’elle qualifie de ghettos dorés. Pourquoi pas une formule proche des communes des années 1970 rassemblant sous un même toit plusieurs personnes ou, mieux encore, plusieurs familles de tous âges ?
« La mixité des âges est plus qu’importante. Si on ne côtoie pas de jeunes, on reste fixés sur notre jeunesse à nous et là arrivent les » Dans mon temps « . Or, mon temps de jeunesse à moi c’était la Grande Noirceur et ce n’était pas drôle du tout. »
Se plaindre, pas question !
Elle s’indigne que le Québec soit si peu inclusif de ses aînés et que la société « jette ses choux gras » puisqu’elle ne profite plus de leur bagage extraordinaire dès que sonne le moment de la retraite. Elle fait porter leur juste part de responsabilité à certains vieux qui s’excluent et s’isolent eux-mêmes « en se plaignant constamment et en évitant à tout prix de se donner du trouble, alors que dans ce trouble se trouve le plus beau de la vie. »
« Il me reste trop peu de temps à vivre pour le passer à me plaindre. Bien sûr, j’ai mes moments de faiblesse, mais ils sont de courte durée. Sinon, je fais ce qu’il faut pour que mon chum reste auprès de moi, pour que ma famille soit très unie. C’est complètement con de penser que mes enfants me doivent amour et respect parce que je les ai faits. Ce n’est pas acquis, il faut gagner ça, faire sa chance. »
Aussi, elle suggère de mettre de côté les peurs et les hontes, porteuses d’isolement : peur de déranger, honte de porter un appareil auditif, etc. « J’ai des problèmes de dos terribles. Toutefois, je préfère sortir avec une canne, un déambulateur ou même en fauteuil roulant plutôt que de m’empêcher d’aller au théâtre ou au marché. Je m’en fous des regards. »
Preuve vivante que le mot « battante » n’a pas de date de péremption, Janette insiste sur l’importance de maintenir un sentiment d’utilité tout au long de la vie, car les humains, peu importe leur âge, fonctionnent à la valorisation.
Selon elle, le pire ennemi des retraités est l’inaction. C’est pourquoi, elle suggère aux aînés de se tourner vers le bénévolat ou de nouveaux apprentissages lorsque leur vie professionnelle prend fin. « Une occupation passionnante, c’est le meilleur antidouleur », écrit-elle à ce propos.
Une belle vie, jusqu’à la fin
Cette vieillesse qui rogne toujours un peu plus ses facultés – sauf sa vivacité d’esprit légendaire –, Janette se prend à l’aimer. « La vieillesse est gentille dans le fond, elle nous prépare au deuil de notre vie, en nous envoyant des mini-deuils », peut-on lire dans son plus récent livre.
Janette ne s’en cache pas, elle savoure encore avec tant de bonheur les petits plaisirs de la vie qu’elle espère bien un jour faire partie de ces centenaires lucides et si inspirants. « Mon rêve est d’être comme je suis là, à 100 ans. » Mais qu’importe ce qui l’attend, elle cultive au quotidien la chance d’être en vie et choisit de « montrer qu’on peut vieillir dans la joie et l’amour. »
Affirmer qu’elle a eu une belle vie ? Pas question ! Pour le moment, elle préfère dire qu’elle a une belle vie… avec un grand V.
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Janette et…
Voici quelques morceaux choisis de La vieillesse par une vraie vieille :
Le féminisme : « Nous n’arriverons pas à l’égalité sans l’accord des hommes, sans leur collaboration, leur complicité. Quand vous déciderez-vous, messieurs, à nous aider à être vos égales ? »
La sexualité : « Le défi de la vieillesse est d’accepter de changer sa façon de faire l’amour, d’accepter que ce n’est plus comme avant, mais qu’il peut y avoir du plaisir à partager des caresses et des baisers, de faire la tendresse avec volupté. »
La sagesse : « Je sais plus de choses, c’est certain, mais j’ai encore droit à l’erreur. »
La grand-parentalité : « Je m’estime très chanceuse d’avoir huit petits-enfants et trois arrière-petits-enfants. Je sais ce que je représente : la continuité stable. »
Le charme : « On sait fort bien que ce qui nous attire chez les autres c’est le charme, et le charme ne vieillit pas. »
Le respect : « Je veux qu’on traite les vieillards en humains ayant acquis au cours des ans une expérience qui peut servir aux plus jeunes. Je veux qu’on garde aux vieux du respect. »
Photo : Libre Expression – Julien Faugère