La libido a-t-elle une date d’expiration?

Monotonie, transformation du corps, forme physique changeante, ménopause et andropause : après 60 ans, le désir est mis à rude épreuve. La libido a-t-elle une date d’expiration? Non, à condition de la stimuler et de déconstruire certains mythes.

Jocelyne et Pierre, tous deux dans la jeune soixantaine, se sont rencontrés il y a dix ans. Elle sortait de quelques années de célibat, lui venait tout juste de traverser un veuvage soudain. À leur grande surprise, ils ont redécouvert ensemble l’ardeur sexuelle de leur jeunesse.

Aujourd’hui, leur réalité est toute autre. Jocelyne se désintéresse de la sexualité, blâmant la chute d’hormones, tandis que Pierre s’excite au moindre toucher.

Pour Pierre, il est difficile d’essuyer des refus à répétition ou d’avoir l’impression que sa conjointe se force. « Elle fait souvent passer d’autres activités avant tout rapprochement sexuel, désire tout boucler en une demi-heure ou me dit “on va le faire pour toi” », confie‑t‑il. Il accepte ce pis-aller, mais le regrette par la suite. Ce qu’il n’ose pas dire, c’est qu’il a parfois envie d’aller voir ailleurs. 

Même malaise du côté de Jocelyne, qui se résout à faire l’amour pour éviter la confrontation et ne pas blesser son conjoint. Ce qu’elle tait, pourtant, c’est son besoin d’admirer son homme et d’oublier tout ce qui les éloigne au quotidien.

Attiser le désir

Des histoires comme celle-là, la sexologue Élise Bourque en entend chaque semaine. « Le déficit hormonal est loin d’être l’unique responsable de la baisse de libido, mais un soutien hormonal peut effectivement être bénéfique pour certaines femmes », explique‑t‑elle. Cela dit, il est clair que l’absence de désir trouve souvent ses racines ailleurs : la routine, le ressentiment, les reproches mutuels, le manque de stimulation ou encore la fatigue.

« Pour attiser son désir, il faut l’alimenter, poursuit la spécialiste. Lire des livres ou des articles sur le sujet, en discuter avec sa ou son partenaire, regarder des films ou des images coquines, nourrir son imaginaire de fantasmes, etc. »

« Les hommes sont plus facilement disposés à avoir une relation sexuelle, tandis que les femmes ont besoin d’un contexte propice à ces ébats », rappelle la sexologue, tout en soulignant que l’inverse existe aussi. « Bien des femmes se plaignent que monsieur n’a plus envie de faire l’amour. Ce désintéressement intervient souvent parce qu’il veut masquer des pannes érectiles, pourtant normales après 50 ans, ou parce qu’il se sent éteint par sa vie de retraité. » 

L’enjeu pour quelqu’un de fringant comme Pierre, c’est d’apprendre à gérer sa libido à fleur de peau en tenant compte de l’appétit inégal de sa conjointe. Le respect, l’écoute et l’empathie sont de mise, tout comme la communication.

Élise Bourque encourage les couples à exprimer leurs insatisfactions et à partager ouvertement les sentiments contradictoires qui les habitent. « La qualité de la relation est garante du maintien de la libido, observe-t-elle. Quand on passe sa vie à critiquer l’autre, à s’obstiner sur des questions futiles, à tenir sa ou son partenaire pour acquis, il est difficile de remettre ses habits d’amants une fois au lit. »

Il faut aussi savoir se donner de l’espace pour mieux se retrouver dans l’intimité. « Si toutes les activités sont faites en commun, par exemple, il n’y a plus de surprises, de renouveau ou d’excitation, fait valoir la sexologue. Il est important d’avoir ses propres champs d’intérêt pour en faire cadeau à la relation. »

Une sexualité libératrice

Claudine, 72 ans, en témoigne sans détour : « Je vis une sexualité libératrice, légère, sans pression ni besoin de performance », confie-t-elle. Elle a rencontré Réjean il y a une vingtaine d’années, après le décès de son mari. Ils ont d’abord cohabité, puis ont choisi de vivre chacun chez soi, un contrecoup de la pandémie. C’est un couple très sexuel qui se visite deux ou trois fois par semaine, malgré quelques aléas de la vie : Claudine se remet d’une chirurgie au genou, et Réjean a parfois recours à la fameuse petite pilule bleue.

« J’aime beaucoup les caresses et Réjean est un bon caresseur », raconte-t-elle tout en confiant un problème de sécheresse vaginale, qu’elle a résolu grâce à un médicament très efficace prescrit par son médecin. « Je ne me prends pas la tête, j’oublie tout et je m’abandonne. À notre âge, on nous dit qu’il faut profiter pleinement du présent; cette règle vaut aussi pour le plaisir. »

Bienvenue aux jouets et aux coussins

Claudine n’est pas la seule à penser ainsi. Une étude anglaise révèle que 86 % des hommes et 60 % des femmes de 60 à 69 ans sont encore actifs sexuellement. Aux États-Unis, deux tiers des 65 à 80 ans s’y intéressent toujours, et plus de la moitié estiment qu’elle contribue à leur qualité de vie, selon un sondage de l’Association américaine des personnes retraitées.

Pourtant, avec les années, les conditions ne sont pas toujours optimales pour vivre une sexualité épanouie. Mobilité réduite, douleurs, surpoids : « Notre corps nous force parfois à réduire ou à modifier l’amplitude de nos mouvements », explique Véronik Gibeau, ergothérapeute. Mais cela ne signifie pas pour autant la fin du désir, insiste la spécialiste, qui a récemment publié Kama Sutra thérapeutique, un guide pratique conçu pour aider à « renouer avec le plaisir et la complicité, tout en respectant son corps, ses articulations, ses limites et son niveau d’énergie. »

« Pour compenser, pourquoi ne pas avoir recours à la stimulation manuelle, aux jouets sexuels, à la masturbation mutuelle si l’agilité est réduite. L’utilisation de petits coussins ou d’oreillers peut aider à soulager les douleurs articulaires, tandis que des rouleaux de serviette peuvent être utilisés pour faciliter l’adoption de certaines positions. »

Même si ce n’est pas très romantique, n’oubliez pas de faire des étirements après la relation afin de bien récupérer. Bref, mieux vaut composer avec sa réalité du moment plutôt que de se lamenter que « plus rien n’est comme avant »!

Pas comme dans les films

Les croyances affectent aussi la libido. On ne s’en sort pas : la télévision et le cinéma montrent une vision idéalisée du désir. Mais la sexualité, c’est plus compliqué que ça! Après la passion, le désir se réfugie souvent dans les bras de la tendresse et on se demande où est passé ce corps autrefois transcendé par la jouissance.

Ce corps, justement, n’est plus ce qu’il était aux heures des premières aventures sexuelles. La libido souffre de ce déclin et plusieurs femmes sont freinées par leur apparence physique.  

« Faire l’amour se vit à travers tous nos sens. Ce n’est pas une expérience où l’on se regarde, c’est une expérience où l’on ressent, précise Élise Bourque. Le désir ne naît pas seulement du regard, il émane d’une connexion plus profonde, d’un attrait qui dépasse le physique. C’est quand une personne se sent écoutée et accueillie. C’est une âme qui en rejoint une autre. »  

La libido a-t-elle une date d’expiration? Pas vraiment. Sans nier qu’elle a tendance à diminuer avec les années, elle peut être restimulée à tous les âges, selon ses propres besoins et l’énergie qu’on souhaite y investir.