À la mort de l’être aimé, déni, colère, tristesse et dépression font partie d’un processus quasi inévitable, qui évolue de façon générale vers l’acceptation du départ de l’autre et de sa propre solitude. Ce cheminement, c’est aussi faire face à la femme ou à l’homme dont les besoins de tendresse et de sexualité renaissent. Oui, le désir après le deuil est possible. Comment aborder cette nouvelle réalité?
« Au début, j’avais la tête dans le sable, confie Louiselle, 72 ans, dont le mari est décédé d’un cancer il y a six ans, après quarante ans de vie commune. J’étais complètement repliée sur moi-même, j’avais des œillères, je fonctionnais comme une automate. Puis, tout à coup, est arrivé un homme qui apparemment s’intéressait à moi, même si je n’avais rien remarqué. Il m’a invitée à souper et j’ai accepté… à reculons. »
Un sentiment de culpabilité
Louiselle, qui s’est peu à peu investie dans une nouvelle relation, a eu l’impression de « tromper [s]on mari ».
Pour Nathalie Parent, psychologue, renouer avec le désir et le sentiment amoureux est très difficile lorsque le conjoint décédé a été le premier amour et le seul que l’on ait connu. « Il y a souvent beaucoup de culpabilité associée à l’attrait que l’on a pour un autre homme, le premier rendez-vous, le premier baiser. Se retrouver au lit avec lui peut même être vécu comme une trahison, tant l’alliance avec la personne décédée demeure forte. »
Avec le recul, Louiselle considère qu’accepter l’invitation d’un autre homme, c’est une chance que la vie lui a offert de se sortir la tête hors de l’eau, ajoutant que vu son âge, elle n’avait pas de temps à perdre. Et la culpabilité dans tout ça? « Pour moi, elle s’est atténuée quand j’ai osé dire à mes proches que je voyais un autre homme. J’avais besoin de leur absolution pour redevenir libre. »
On n’a plus vingt ans…
N’empêche, ce nouveau départ n’a pas toujours été simple, d’autant plus que c’est avec son défunt mari qu’elle avait apprivoisé la sexualité.
« Je ne savais pas comment ça fonctionnait le corps d’un autre homme, je ne savais pas à quoi pouvait ressembler un autre pénis, ni ses réactions. Il me fallait recommencer à zéro sexuellement, avec un nouveau partenaire! »
Et que dire d’avoir à se dévêtir devant un étranger, « un véritable cauchemar », surtout avec un corps vieillissant! « Il faut avoir de l’imagination et se convaincre qu’on a encore 40 ans, tout en se disant que l’autre non plus n’est pas un jeune premier », ajoute Louiselle avec humour.
Le regard des enfants
Dans ce retour à soi, le regard des enfants peut aussi être paralysant. Pas facile pour eux de voir que leur parent décédé est « remplacé ». « Ce fut très difficile pour ma fille, Karine, de voir sa mère accueillir un homme autre que son père dans son lit et dans sa vie », se rappelle Louiselle. « Un sentiment normal que redoutent souvent les parents, confirme la psychologue. Il est en effet très fréquent que les enfants portent un jugement sur celle ou celui qui s’autorise à nouveau une vie affective. »
« Ma fille avait une très grande admiration pour son père, poursuit Louiselle, et je crois qu’elle imaginait la peine qu’il aurait pu avoir en sachant que j’avais retrouvé une forme de liberté. Mais la réalité est que c’est à moi de faire mes choix de vie et de les assumer. » Louiselle s’est permis de redevenir une femme. Pas seulement une veuve, pas juste une mère.
Un regain d’adolescence
Émile a 59 ans lorsque son mari Jérémy demande l’aide médicale à mourir. Malgré leur grande complicité, les deux conjoints n’avaient plus de sexualité depuis quelques années. Et durant la maladie longue et dévastatrice de Jérémy, ils ont pris le temps de parler de l’avenir d’Émile.
« Jérémy m’a clairement dit de continuer ma vie, et cela signifiait sans équivoque les relations amoureuses et sexuelles, raconte Émile. Il m’avait en quelque sorte préparé mentalement à ce que je ne ressente pas de culpabilité. »
Ayant fait une partie de son deuil en amont, Émile a eu des aventures peu après le décès de son conjoint, puis quelques relations à court terme. « Je cherchais un remède à ma peine et ça m’a servi. Mes amis me disaient que je réagissais comme un adolescent. »
Un pas vers l’autre
« Si on a été privé de sexualité dans sa relation de couple et que son conjoint décède, c’est normal que l’on soit émoustillé et que ce regain de libido soit associé à une sexualité juvénile, soutient Nathalie Parent. Le piège, c’est que l’on a parfois perdu l’habitude de séduire ». C’est le cas d’Émile, qui a attendu les avances plutôt que de faire les premiers pas.
« Mais séduire est revenu assez vite et en même temps, j’ai intégré le fait que j’étais redevenu célibataire, dit-il. J’ai pu assister à la renaissance du jeune homme que j’étais, qui tombait en amour au moindre frisson… »
Aujourd’hui, quatre ans après la perte de son grand amour, une nouvelle relation a pris place dans la vie d’Émile. À distance cette fois. Patrice vit à Lyon et le nouveau couple ne se voit pas aussi souvent qu’il le souhaiterait. Une autre forme de deuil…
Pour Louiselle et Émile, rien n’effacera la relation que la mort a fauchée, mais une page du grand livre est maintenant tournée. Et lorsqu’on est rompu au pire, on sait que la vie, avec ses surprises et ses contraintes, est toujours tapie quelque part.