C’est un printemps doux-amer pour les fans de baseball du Québec. Il y a 55 ans, les Expos de Montréal lançaient dans l’enthousiasme la première saison de leur histoire. Trente-cinq ans plus tard, ils entamaient dans la douleur une longue marche vers leur dernier retrait. Virage discute de cette fabuleuse épopée avec quatre personnalités qui ont été marquées à jamais par nos Z’Amours.
1968. La Ligue nationale souhaite ajouter deux équipes. La première ira à San Diego. Et la deuxième ? Montréal est finaliste, tout comme Buffalo, Dallas et Milwaukee. Contre toute attente, c’est la métropole québécoise, alors en plein essor, qui est choisie. C’est la stupéfaction.
« J’étais abasourdi, je n’y croyais pas, raconte Jacques Doucet, voix légendaire des Expos à la radio pendant plus de 33 ans. Dans mon esprit, c’était impossible, mais j’ai dû me rendre à l’évidence que c’était bien vrai. »
Premier joueur québécois à être invité au match des étoiles du baseball majeur, en 1966, Claude Frenchie Raymond joue pour les Braves d’Atlanta lorsque le maire Jean Drapeau remporte son pari improbable. Il se souvient avoir réveillé son cochambreur pour lui annoncer la bonne nouvelle après l’avoir aperçue à la une du journal.
« J’étais excité, car je savais à quel point le baseball était un sport populaire à Montréal, affirme le lanceur qui a disputé 12 saisons dans les grandes ligues. J’étais content de pouvoir faire découvrir à mes coéquipiers une ville aussi débordante de vitalité. »
Une demande « loufoque »
Ainsi naissent les Expos de Montréal, première équipe de baseball majeur à élire domicile à l’extérieur des États-Unis. C’est un nouveau marché à conquérir. Et une nouvelle culture à développer.
Durant la saison morte, Frenchie a été appelé à commenter le repêchage d’expansion pour le compte de Radio-Canada, en direct de l’Hôtel Windsor. Le président des Expos, John McHale, ainsi que le directeur général, Jim Fanning, lui font alors une demande assez spéciale : aider à la vente de billets de saison pour la nouvelle équipe.
« J’ai trouvé ça un peu loufoque puisque à ce moment-là, j’appartenais aux Braves, souligne Claude Raymond. Ils ont fait la même demande à Ronald Piché, qui faisait partie des Cubs de Chicago. Nous étions deux joueurs actifs et nous vendions des billets de saison pour une autre équipe ! »
La belle époque
C’est le 14 avril 1969 que les Expos disputent enfin leur première rencontre en sol montréalais. Devant 29 184 spectateurs réunis au parc Jarry, ils viennent à bout des Cardinals de Saint-Louis au compte de 8-7.
Pour Jacques Doucet, les premières années au parc Jarry sont synonymes de beaucoup de bons souvenirs. C’est d’abord à cet endroit qu’il s’initie comme amateur. C’est aussi dans ce modeste stade de Parc-Extension qu’il vit des moments père-fils inoubliables.
« Assister à un match de baseball avec mon père Marcel, c’était quelque chose de vraiment spécial, surtout dans les dernières années de sa vie, confie-t-il. Lors des matchs de baseball, nos langues se déliaient. On avait soudainement plein de choses à se raconter. »
Perry Giannias, grand collectionneur d’objets de baseball et fondateur de l’Expos Fest, était gamin à l’époque. Encore aujourd’hui, ses souvenirs du parc Jarry sont vifs.
« J’y étais avec mon équipe atome. Je devais avoir cinq ou six ans. Il faisait tellement chaud que mes fesses brûlaient sur le banc, mais j’ai rapidement été comblé, se rappelle-t-il. Les noms des joueurs étaient séduisants pour un jeune comme moi : Rusty Staub, Mack Jones, John Boccabella, Coco Laboy… C’étaient des personnalités. »
Une forteresse de béton
Les Expos de Montréal déménagent au Stade olympique lors de la saison 1977. C’est ici qu’une nouvelle génération de fans tombera en amour.
« La première fois que j’y ai mis les pieds, j’avais tellement trouvé ça grandiose, se rappelle Marc Griffin, analyste au Réseau des sports (RDS) et ancien joueur de champ extérieur dans l’organisation des Expos. De voir en vrai les Gary Carter, Tim Raines, Andre Dawson, ce fut un coup de foudre total. Et ça m’a fait rêver. C’est par-dessus tout ce que je voulais faire plus tard : jouer pour les Expos. »
Aujourd’hui âgé de 55 ans, Griffin raconte que son père et lui faisaient la route entre Québec et Montréal une ou deux fois par année pour voir jouer leurs préférés. Il avait même trouvé le moyen de dénicher un billet pour le match des étoiles de 1982, un événement qu’il ne voulait rater pour rien au monde.
Au fil des saisons, nos Z’Amours font naître et grandir l’espoir chez les adeptes de balle grâce à d’éclatantes victoires. Et le public est au rendez-vous ! En 1979, le club attire plus de 2 millions de personnes pour la première fois depuis sa fondation. Au tournant des années 1980, autour d’un million de paires d’oreilles par match écoutaient le réseau radiophonique Télémédia.
« Dans une certaine mesure, on pourrait aisément comparer les matchs des Expos de Montréal avec les grands rendez-vous comme Les Beaux Dimanches ou La Petite Vie. Un lien important se tissait », fait valoir Marc Griffin.
« Le plus beau sport au monde »
Les liens se tissaient aussi dans les estrades. Pour quiconque est tombé amoureux à un moment ou un autre de ce sport, le baseball a quelque chose de rassembleur.
Contrairement au hockey – un jeu qui est toujours en mouvement – le baseball comprend des temps morts qui permettent de discuter du match, mais aussi de tout et de rien, de rigoler et de réfléchir. « Le baseball, c’est relaxant, estime Jacques Doucet. Tu t’assois, tu jases avec les gens autour de toi que tu ne connais pas. De belles amitiés se développent autour du baseball. »
« Il était facile de trouver son compte lorsqu’on assistait à une partie des Expos, insiste pour sa part Claude Raymond. Premièrement, c’est plus abordable que le hockey; on peut facilement y inviter sa famille ou une bande d’amis. Ensuite, au baseball, tout le monde devient un gérant d’estrade. Personnellement, je trouve que c’est le plus beau sport au monde. »
Le douloureux départ
L’année 2024 marque le triste 20e anniversaire de la dernière saison des Expos de Montréal avant le transfert de l’équipe vers Washington. Une perte immense selon plusieurs.
« Il n’y a personne qui va me dire qu’il y a eu des éléments positifs reliés au départ des Expos, martèle Marc Griffin. Il y a 30 villes dans le monde qui peuvent se targuer d’avoir une équipe du baseball majeur. Montréal a perdu ce privilège. À ce jour, j’estime que nous n’en avons pas fait suffisamment pour garder les Expos au Québec. »
C’est un sentiment que partage Perry Giannias. « C’est dommage, parce qu’à Montréal, le baseball fait partie de notre ADN. Des grands noms sont passés ici, dont le grand Jackie Robinson. Nous devons être fiers de cet héritage. Le baseball, ça devrait être aussi fort que le hockey. »
Pour Claude Raymond, le deuil n’est pas terminé.
« Le 29 septembre 2004 restera à jamais la journée la plus triste de ma carrière, confie celui qui faisait partie du personnel d’instructeurs des lanceurs des Expos à cette époque. J’ai beaucoup pleuré et aujourd’hui encore, lorsque le printemps se pointe le bout du nez, je sens qu’il manque quelque chose à Montréal. »
Le rêve de revoir une équipe du baseball majeur au Québec s’est probablement dissipé à jamais. Mais les souvenirs de ces étés magiques demeurent, à l’image de ces casquettes au logo unique portées par des milliers de jeunes nés après le dernier retrait de nos Z’Amours.
Vos Z’Amours
Dans un appel à tous, Virage vous avait demandé de nous raconter vos souvenirs des Expos. Voici quelques-unes de vos réponses.
« J’étais au parc Jarry avec mes grands-parents le 20 juillet 1969. J’avais 12 ans. Mon grand-père m’a montré comment comptabiliser le pointage, ce que j’ai toujours fait par la suite à chacun des matchs auxquels j’ai assisté. Cette journée magique est gravée dans ma mémoire. Outre le fait que les Expos ont gagné, il y a eu l’annonce que Neil Armstrong venait de marcher sur la Lune ! Les Expos me manquent… » – Sylvie Ayotte
« Je me souviens de mes premiers matchs au parc Jarry en 1969. Les sièges dans les bleachers [estrades populaires] coûtaient cinquante sous à l’entrée ! Nous étions toujours du côté gauche, surnommé « Jonesville », car le voltigeur qui était de ce flanc, Mack Jones, envoyait toujours la main aux enfants. Ce furent des temps magiques pour moi qui avais 13 ans. » – Daniel Dufort
« L’été 1973. Chaque jour, je la voyais passer pour s’acheter un café au restaurant du coin. Elle m’intriguait. Un jour, je lui ai demandé si elle aimerait m’accompagner à une partie de baseball. Expos contre Phillies. Je lui ai assuré qu’un autre couple serait avec nous. Rendu au parc Jarry, en voyant la grande foule, je lui ai pris la main pour ne pas la perdre. Le 31 mai 2024, nous célébrerons 50 ans de mariage… » – Vincent Pigeon
« En 2004, lors du dernier match au Stade olympique, j’étais là avec des milliers de gens qui, comme moi, avaient la mort dans l’âme. Nous assistions à l’agonie de notre équipe. J’avais 46 ans et le ti-cul en moi était rempli de tristesse. Ayant toujours été fidèle, je me sentais abandonné. » – Sylvain Laquerre