Champion du monde, à 77 ans

Marcel Jobin a été décrit de bien des façons au cours de sa vie. Fou en pyjama. Champion canadien. Olympien. Recordman. Chevalier de l’Ordre national du Québec. Les qualificatifs d’une vie accomplie, oui, mais d’abord et avant tout d’une vie active.

Il y a aussi ce surnom qui lui colle à la peau depuis 60 ans, un surnom qui accroche l’imaginaire autant qu’il révèle certains préjugés du passé. Marcel Jobin, le fou en pyjama.

Depuis le 25 mars dernier, le fou en pyjama est aussi auréolé de l’étiquette de champion du monde. Relisez bien la dernière phrase. Champion du monde. À 77 ans.

Un triomphe qui est survenu au 3000 m marche olympique chez les 75 ans et plus, lors des Championnats du monde en salle à Torun, en Pologne. En janvier, Marcel Jobin lui-même n’aurait pas parié sur ses chances de quitter la Pologne avec une médaille d’or autour du cou. Affecté par une pneumonie le jour de son 77e anniversaire, l’athlète a été contraint au repos forcé pendant près de deux mois. Et la récupération a été ardue.

« Deux semaines avant mon départ en Pologne, j’ai testé mes capacités physiques lors d’un entraînement. J’ai dû arrêter après seulement 400 m », confie Marcel Jobin.

De l’appréhension et de l’incertitude, voilà ce qui habitait la légende de Saint-Boniface dans les instants précédant le coup d’envoi du 3000 m à Torun. Mais on n’efface pas 60 ans d’expérience d’un coup de balai. Surtout pas quand on a été invaincu de 1969 à 1984 sur 20 km au Canada.

« Petit à petit, j’ai commencé à distancer mes rivaux. Je suis heureux de ce résultat, surtout après l’hiver difficile que j’ai connu. La victoire est meilleure quand tu ne t’y attends pas », avoue l’infatigable marcheur.

Cette victoire avait toutefois été préparée avec minutie. Pas juste sur quelques mois, mais bien sur plusieurs décennies.

Un fou… acharné

Tout l’historique d’une carrière bien remplie se trouve à l’intérieur d’une pièce dans la résidence du septuagénaire de la Mauricie. Un petit écriteau au-dessus de la porte avise le visiteur qu’il entre dans le jardin secret de Marcel Jobin, son temple de la renommée bien à lui.

Marcel Jobin a tout gardé, absolument tout. Il suffit de regarder l’impressionnante collection de trophées et de médailles qui meublent l’espace pour comprendre que cette légende de la marche olympique a marqué l’athlétisme au Canada de bien des façons. Un avant-gardiste, sans l’ombre d’un doute.

« J’ai commencé à courir à une époque où les gens ne faisaient que jouer au hockey ou au baseball. Quand je me suis consacré à la marche olympique en 1968, on me trouvait fou de marcher sur le bord de la route avec mes souliers de couleur et mon suit en coton ouaté », se rappelle-t-il.

Certains y voyaient de la folie, mais il s’agissait plutôt d’un acharnement à l’entraînement, de façon quotidienne, sans cesse, encore et encore, et ce, malgré les semaines de travail de 40 heures comme homme d’utilité chez Alcan.

« On m’a lancé des roches pendant que je marchais. Un automobiliste sur deux me criait : « Tasse-toé de la route ». Dans le fond, les gens n’avaient pas tort de dire que j’étais fou. Ça prend de la folie pour faire ce que j’ai fait », relativise-t-il.

Il aurait pu présenter à ses détracteurs un argument de taille, la liste de ses meilleurs chronos :

  • 3 km marche : 11 m 34
  • 5 km marche : 19 m 54
  • 10 km marche : 40 minutes
  • Marathon de marche : 3 h 09
  • 50 km marche : 3 h 47

Aujourd’hui, les gens ne rient plus de lui. Ils marchent avec lui. Ils courent avec lui. Ce changement de perception est survenu lors des Jeux olympiques de Montréal en 1976. Une sortie de l’ombre instantanée et inattendue.

« J’étais soudainement devenu Guy Lafleur. Les gens me reconnaissaient. On m’applaudissait. J’avais envie de pleurer de joie », se remémore le premier Canadien à avoir marché le 50 km sous la barre des quatre heures.

Il finira 23e au 20 km à Montréal. Il participera également aux Jeux de Los Angeles en 1984. Cet été-là, à 42 ans, il arrêtera de marcher, mais pas de courir. Il se qualifiera pour le marathon de Boston, s’assurant ainsi que l’activité physique continue d’être une partie importante de son quotidien.

Des retrouvailles et une trilogie

Michel Parent connaît Marcel Jobin depuis 1976. Cet entraîneur d’athlétisme a encadré le parcours du double olympien. Le temps sépare quelque peu les deux hommes à la fin de la carrière d’athlète de Marcel Jobin. Lors d’une soirée de retrouvailles, au Centre Claude-Robillard, ils définissent un plan d’action qui deviendra une trilogie : les championnats du monde en Espagne en 2018, ceux en Pologne en 2019 et ceux de Toronto en 2020.

« Je veux prouver que ce n’est pas l’âge qui fait que t’es fini. Je veux motiver les gens à bouger. Tu meurs quand tu arrêtes de grouiller. »

Son complice de toujours rappelle la portée sociale de son protégé, comme en témoigne l’Académie sportive Marcel-Jobin, un organisme sans but lucratif faisant la promotion de saines habitudes de vie. Mais ce n’est pas son plus grand héritage.

« Marcel, c’est un bâtisseur du sport amateur au Québec. Il a défoncé des portes. Il s’est battu pour faire reconnaître la marche olympique. C’est un p’tit gars ordinaire qui a fait des choses extraordinaires. C’est ça son héritage », déclare Michel Parent.

Ne soyez pas donc pas surpris de croiser à nouveau le fou en pyjama sur les routes de la Mauricie dans les prochains mois, lui qui a l’intention de se préparer pour Toronto en marchant 70 km par semaine à partir de septembre. Lui, ce bâtisseur en constante mouvance, avec un héritage en perpétuelle construction.

Photo : Sylvain Mayer