« Célicouple » : quand l’amour a deux adresses

Célicouple. Ce mot-valise réfère à deux personnes qui vivent à mi-chemin entre le célibat et le couple. Ce schéma relationnel serait de plus en plus fréquent, adopté par des personnes qui se veulent engagées, fidèles et amoureuses, mais qui ferment la porte à l’idée de partager un jour leur demeure avec l’être aimé.

« Lorsque j’ai rencontré Xavier, je sortais d’une relation de 30 ans plutôt traditionnelle, avec maison en banlieue, enfants, vacances en famille, raconte Doris. Je ne tenais clairement pas à reproduire ce modèle. Après avoir tenu l’équilibre familial à bout de bras, au prix de plusieurs sacrifices, j’aspirais maintenant à un autre genre de vie : être libre… tout en ayant un amoureux. » 

C’est aussi à cela qu’aspire son amie, Claire. Séparée depuis cinq ans, elle a connu de courtes relations avant de croiser Bruno sur un site de rencontres… le dernier jour de son abonnement ! Si lui ne cherchait pas une « relation de week-end », elle ne voulait pas partager son quotidien avec un homme, s’amusant d’ailleurs à dire que ni Brad Pitt ni Georges Clooney n’auraient passé le test de la cohabitation ! Bruno a bien senti qu’il n’avait guère plus de chance qu’eux et, amoureux fou, il a rapidement fait le deuil d’un couple vivant sous le même toit. C’était il y a un an et leur vie s’est organisée depuis autour d’un rythme harmonieux pour les deux. 

Les deux amies sont formelles : oui, elles sont heureuses d’être de nouveau amoureuses, mais non, elles ne vivraient pas avec leur nouvelle flamme. Leur idéal amoureux est plutôt d’être importante pour quelqu’un, envoyer et recevoir des textos affectueux ou coquins, passer de beaux week-ends avec la personne aimée et que de leur éloignement naissent des retrouvailles passionnées.

L’amour, comme dans la vingtaine

Dévouées depuis longtemps, certaines femmes ne semblent plus vouloir remonter sur le trône de la reine du foyer.

Yoland Perreault, psychologue depuis une quarantaine d’années, a pu constater dans sa pratique que la majorité des femmes développent du ressentiment au sein du couple, trouvant très inéquitable le partage des tâches et des responsabilités, en plus de se faire prendre à leur propre jeu en voulant rendre toute la maisonnée heureuse.

« Maintenir cet équilibre est traditionnellement l’affaire des femmes et implique beaucoup de renoncements, précise-t-il. Au moment de s’investir avec une nouvelle personne, certaines femmes souhaitent maintenant vivre le côté lumineux d’une relation, comme on l’a souvent connu autour de la vingtaine, alors qu’on sortait, on s’amusait, on prenait des vacances ensemble, puis on retournait dans ses terres. »

Doris n’en démord pas, ses moments de solitude lui permettent de se ressourcer et la distance d’apprécier davantage son amoureux. Il ne faut pas négliger, selon elle, le temps passé à désirer la présence de l’autre. Et puis, comme elle vivait seule depuis un an, elle avait développé des habitudes qu’elle ne voulait pas briser.

­­­« Vivre ensemble à 25 ans, c’est bâtir un village affectif et relationnel, avoir des enfants, installer le clan, préparer son avenir, explique Yoland Perreault. On n’en est plus là lorsqu’on entre, par exemple, dans la soixantaine. »

« Rien ne me fait plus plaisir que de voir Bruno débarquer le jeudi soir avec des victuailles glanées au marché Jean-Talon. C’est alors la fête qui commence, raconte Claire. Et je pense que mon plaisir est aussi grand lorsque je me retrouve seule le lundi matin. Je redeviens moi. J’apprécie tellement perdre le fil du temps en me plongeant dans un bon livre, sans avoir à souper à une certaine heure ! Mes amies qui vivent avec leur conjoint affirment que rien ne les empêche d’avoir chacun leurs activités, mais qu’être en couple exige tout de même certains compromis. Moi, je ne crois pas que ce soit essentiel à l’amour. »

Une adaptation difficile

C’est un constat que partage Martin. À l’aube de la cinquantaine, sa compagne et lui ont décidé de s’installer ensemble dans un nouvel appartement. En amour depuis deux ans, il leur semblait naturel de franchir le seuil de la vie commune. La « lune de miel » fut belle… mais de courte durée.

« Je n’ai jamais eu d’enfants, ni même de relations à long terme. Alors, j’ai pris l’habitude de travailler autant que je le veux, de partir en voyage sur un coup de tête, de faire mes activités préférées quand bon me semble, sans prévenir qui que ce soit. C’est le contraire pour elle. Elle avait fondé une famille… elle était habituée aux compromis. » 

L’adaptation fut difficile. Trop difficile. Martin s’ennuyait de son indépendance tandis que sa conjointe avait l’impression de devoir quémander sa présence. L’insatisfaction des deux partenaires a eu raison de leur projet. Ils ont bien tenté de continuer leur relation en faisant domicile à part, mais le mal était fait. La rupture s’est concrétisée quelques mois plus tard.

« L’expérience de la vie nous a appris la difficulté de partager les mêmes intérêts et les mêmes horaires que l’autre, de s’adapter à ses enfants, sa famille et ses amis, car vivre à deux, c’est vivre à 25 !, soutient Yoland Perreault. Quand on habite chacun chez soi, les conflits reliés aux obligations de toutes sortes sont moindres. Envisager de faire maison à part survient quand la construction de sa vie est terminée, et qu’on en récolte les fruits. »

Doris et Claire n’auraient pu mieux exprimer le sentiment de plénitude qu’elles ressentent depuis qu’elles conjuguent deux visions qui leur semblaient auparavant contradictoires, soit l’amour et la liberté. Martin est quant à lui de retour sur les applications de rencontres. Il souhaite ouvrir à nouveau la porte à l’amour, mais la ferme à double tour à la cohabitation : « Je me rends compte que je veux une amoureuse, pas une conjointe ».