Depuis sa légalisation, de plus en plus de personnes aînées se tournent vers le pot pour soulager des problèmes de santé. Le cannabis est-il un traitement éprouvé ? Bien que pour plusieurs, « l’essayer, c’est l’adopter », des spécialistes nous mettent en garde : la prudence est de mise.
Entretenir le jardin, corder du bois, passer l’aspirateur… Jusqu’à récemment, ces tâches étaient rendues trop difficiles pour Nicole Trottier, 79 ans, dont la qualité de vie était plombée par d’intenses maux de dos. « Les analgésiques qu’on me prescrivait ne me soulageaient pas, se souvient-elle. Et je ne vous parle pas des effets secondaires qui étaient nombreux et désagréables. » Or, la résidente de Palmarolle, en Abitibi, dit maintenant péter le feu.
Qu’est-ce qui a causé ce revirement ? La consommation de cannabis, affirme sans détour cette bénévole dévouée qui siège notamment au conseil municipal. Deux fois par jour, elle ingère une gélule de cannabidiol (CBD) qui contient parfois un soupçon d’un autre cannabinoïde, le tétrahydrocannabinol (THC), pour en potentialiser les effets. Rien pour virer « stone », mais assez pour soulager ses maux. « Deux semaines après avoir commencé le traitement, mes douleurs étaient de l’histoire ancienne. J’étais de nouveau capable de vaquer à mes occupations, raconte-t-elle. J’ai rajeuni de quelques années au moins ! »
Consommation en hausse
Nicole Trottier fait partie d’un nombre croissant de personnes aînées qui consomment du cannabis. Selon l’Enquête québécoise sur le cannabis 2022, 8,5 % des adultes québécois âgés de 55 ans et plus rapportent avoir consommé de la marijuana dans les 12 derniers mois. Plus du double par rapport à 2018 (4,0 %), année de la légalisation au Canada. De plus, plusieurs se tournent sciemment vers le pot pour traiter un problème de santé, ce qui les distingue des autres groupes d’âge.
Malgré tout, la substance demeure honnie, conséquence de dizaines de décennies d’interdiction. « Je ne parle pas [de ma consommation] avec n’importe qui, témoigne Sylvie Nobert, 68 ans, d’Austin en Estrie, qui traite un trouble de stress post-traumatique avec du CBD. Certains médecins refusent encore d’en prescrire, imaginez ! »
Science balbutiante
Le cannabis est-il un traitement éprouvé ? Les professionnels de la santé prodiguent des soins à partir de données probantes. Or, en ce qui concerne l’utilisation thérapeutique du cannabis, ces dernières ne sont pas légion, lit-on dans un outil clinique préparé par le Regroupement de pharmaciens experts en soins palliatifs de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec. « Il s’agit d’une option de traitement possible pour certains patients ayant des problèmes réfractaires », conclut tout de même ce guide publié en 2022.
Marie-Josée Veilleux, pharmacienne au Centre hospitalier de l’Université Laval du CHU de Québec – Université Laval, est l’autrice principale de ce document. C’est la fréquence des questions à ce sujet de la part de patients qui l’ont incitée à scruter la littérature scientifique. « Les patients pour qui le cannabis fait une différence importante sont minoritaires, affirme celle qui travaille surtout en gestion de la douleur chronique. Les histoires à succès sont anecdotiques. »
De tous les usages thérapeutiques possibles pour le cannabis, seule une poignée est appuyée par de la science robuste, comme la diminution des nausées et vomissements induits par la chimiothérapie ainsi que la réduction des spasmes liés à la sclérose en plaques. De plus, « il y a encore un certain désaccord parmi le corps médical quant à ces indications », précise la spécialiste. L’efficacité, lorsqu’elle se vérifie, est indirecte – diminution de la douleur chronique par amélioration du sommeil, par exemple.
Il faut dire que les études cliniques randomisées contrôlées à ce sujet sont rares, le cannabis étant difficile à évaluer avec cet étalon-or de la recherche biomédicale. On parle après tout d’une plante, Cannabis sativa, qui contiendrait plus de 500 composés organiques. « L’état des connaissances pourrait évoluer dans les prochaines années », souligne Marie-Josée Veilleux.
Gare à l’automédication
Néanmoins, plusieurs estiment ne pas avoir le temps d’attendre que le cannabis fasse ses preuves, allant jusqu’à payer ce traitement de leur poche, faute de pouvoir s’en faire rembourser le coût par leur assureur ou la Régie de l’assurance maladie du Québec, qui ne l’approuve et ne le couvre pas. C’est le cas de Sylvie Nobert, qui dépense presque 200 $ par mois pour se procurer du cannabis médical auprès de producteurs autorisés. « Pour quelqu’un qui vit de ses rentes de retraite, c’est très dispendieux », déplore-t-elle.
Il existe d’autres sources d’approvisionnement. Un récent sondage pancanadien auquel ont participé près de 6 000 utilisateurs de cannabis médical indique que plus de la moitié obtiennent leur cannabis sans autorisation, c’est-à-dire à la Société québécoise du cannabis (ou son équivalent) du coin, voire de manière illicite. Cette automédication n’est pas sans risque, insiste Marc-André Hébert, président-directeur général de Solution cannabis médical, qui accompagne des patients admissibles au cannabis médical.
« J’ai entendu des histoires d’horreur de gens qui se sont intoxiqués au cannabis, regrette-t-il. Ils ont fait une erreur de dosage ou l’ont pris en concomitance avec des médicaments [comme des antiplaquettaires]. »
Il ne saurait trop insister : avant de se soulager avec du cannabis, il est impératif de solliciter les conseils de professionnels qualifiés.
La légalisation change la donne
Un sondage réalisé en 2022 pour le compte de Santé Canada indique que 46 % des répondants qui ont consommé du cannabis à des fins médicales depuis octobre 2018 l’ont fait seulement après la légalisation à grande échelle. L’accessibilité simplifiée et la diminution de la stigmatisation figurent parmi leurs motivations.
Près de 80 % des répondants ont déclaré que la consommation de cannabis avait des effets positifs. Une personne sur cinq a mentionné que son état s’était amélioré ou que le problème s’était complètement résorbé et qu’elle avait été en mesure de réduire la prise d’autres médicaments.
Or, le tiers (34 %) des répondants n’ont pas discuté de la consommation de cannabis à des fins médicales avec un médecin ou une infirmière praticienne, notamment par crainte d’être jugé.
Le même projet de recherche indique que la moitié des professionnels de la santé sondés (49 %) ont déclaré que la consommation de cannabis comporte une valeur thérapeutique, tandis que la plupart des autres (45 %) ont indiqué qu’elle est utile au moins une partie du temps. Malgré cela, plus de la moitié (53 %) ont déjà recommandé à un patient de ne pas consommer de cannabis, entre autres en raison du manque de preuves de son efficacité ou de leur propre méconnaissance.
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