Après le vocabulaire lié à la pandémie, on se familiarise avec effroi avec un autre mot : féminicides. Avec un « s », car au moment d’écrire ces lignes, on en comptait déjà 14 au Québec en 2021. C’est l’expression ultime de la violence conjugale, qui se présente sous 1 000 visages, avec ou sans rides.
« La violence conjugale englobe toutes les formes de violence entre partenaires intimes et touche toutes les générations. En tant que telle, la violence conjugale fait aussi partie des formes de maltraitance dont les aînés peuvent être victimes », résume Claudine Thibaudeau, travailleuse sociale et responsable du soutien clinique à SOS violence conjugale.
Une vulnérabilité accrue
Le profil des plus jeunes babyboomeuses victimes de violence conjugale se dessine à peine. Par contre, on sait déjà qu’à partir de la soixantaine, les femmes présentent une vulnérabilité accrue à la violence conjugale sur certains aspects.
« On remarque une plus grande difficulté à dévoiler le cycle de la violence et à y mettre fin, notamment en raison de valeurs comme l’obéissance, de l’importance du mariage, de la pression des proches, etc. De plus grandes pertes sont associées au fait de quitter leur conjoint et l’âgisme freine leur accès à un emploi », explique Nathalie Sasseville, professeure à l’Unité d’enseignement en travail social de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQÀC).
Ces femmes sont également plus vulnérables en raison de l’effet cumulatif des actes de violence physique, psychologique, sexuelle ou autres. « Ce contexte se traduit souvent par des maladies chroniques qui les rendent encore plus dépendantes de leur conjoint. La violence peut alors se transformer en négligence, en menaces, etc. », ajoute Mme Sasseville.
Quand la violence se perpétue…
La directrice de la Clinique universitaire de travail social de l’UQÀC met en lumière que dans la majorité des cas, ces femmes ont vu et vécu de la violence étant jeunes, à l’époque où c’était complètement tabou. Elles n’ont pas appris à reconnaître la violence ni à s’en protéger.
« La plupart des trajectoires de femmes qu’on analyse sont constituées de deux à trois relations violentes successives. D’ailleurs, chez les femmes aînées et même chez les jeunes, un des facteurs de risque majeurs de violence est d’en avoir déjà vécu », révèle Mme Sasseville.
C’est assez !
Ni l’âge ni aucune raison ne justifie de demeurer dans un contexte marqué par une escalade de violence. Toutefois, briser ce cycle ne signifie pas nécessairement de porter plainte à la police ni de quitter son conjoint pour de bon.
« Les maisons pour femmes victimes de violence conjugale sont méconnues. On y offre notamment des services externes pour aider les femmes à comprendre la dynamique de leur relation et à mettre des scénarios de protection en place. Au bout du compte, elles décident de tout », explique Hélène Langevin, directrice générale de la Maison Simonne-Monet-Chartrand.
Madame Langevin indique que les femmes de 50 ans et plus sont les bienvenues dans les maisons d’hébergement, au même titre que les jeunes mères. « Si elles ont besoin d’aide ou de soutien, qu’elles soient en danger ou pas, elles ont accès à un endroit sécuritaire, peu importe leur âge. Ça peut être pour une pause, une transition, ou le temps de se reconstruire. »
Dans les faits, les femmes d’âge mûr sont très minoritaires dans les maisons d’hébergement et aucune ne leur est complètement dédiée. « Il ne faut pas que les femmes se privent pour autant de cette main tendue ni qu’elles s’abstiennent en raison des préjugés sur les maisons d’hébergement. Oui, il y a partage d’espaces communs et oui, on y a un lit mais pas une chambre à soi. Par contre, les femmes ne manquent de rien et le personnel est qualifié », fait valoir Mme Langevin. Elle ajoute que les échanges sont riches entre femmes de différents âges.
La question qui tue
En terminant, y a-t-il moyen de reconnaître un homme violent avant d’être sous son joug ? « Il n’y a pas de signes évidents, sans quoi les femmes ne tomberaient pas dans le panneau. Le contrôle et la violence s’installent au fil du temps, de façon habile. Toutefois, si un nouveau partenaire décrit en termes agressifs son ex-femme et dit par exemple qu’elle l’a accusé faussement de violence conjugale, pour moi, c’est un drapeau rouge », conclut Claudine Thibaudeau, de SOS violence conjugale.
***
« Le premier jour du reste de ma vie »
– Marguerite Labrie
La violence conjugale frappe à tout âge. Et à tout âge, on peut s’en sortir. Le récit de vie de Marguerite Labrie en est la preuve.
« Le premier jour du reste de ma vie, c’est le jour où j’ai décidé de partir, de quitter mon conjoint des 54 dernières années. J’avais 74 ans, c’était en octobre 2013.
« Durant toutes ces années de mariage, j’ai entretenu le discours intérieur suivant : je ne peux pas le quitter j’ai quatre enfants, je ne peux pas le quitter je vais briser la famille, je ne peux pas le quitter il va changer, je ne peux pas le quitter que vont dire les gens, je ne peux pas le quitter il a tout l’argent, je ne peux pas le quitter je n’ai pas le droit d’être heureuse (merde) et je n’ai pas le droit de penser à moi (re-merde).
« Mon point de bascule a été lorsque ma petite-fille m’a fait prendre conscience que je vivais de la violence conjugale.
« Je n’ai jamais regretté d’avoir tout quitté. J’ai trouvé de l’aide à la Maison Simonne-Monet-Chartrand. Les anges qui y œuvrent ont été d’une écoute exceptionnelle et m’ont guidée tout au long de ce difficile processus de reprise en charge de ma vie. Elles m’ont littéralement sauvé la vie.
« Les huit dernières années m’ont apporté tellement de joie et d’amour avec mes enfants et mes petits-enfants. Je profite pleinement de tout et surtout de ne plus vivre dans la peur. Je n’aurais jamais pensé retrouver ça.
« À toutes celles qui liront ces lignes :
- Il n’est jamais trop tard pour être heureuse.
- Non, vous ne briserez pas la famille, de toute façon elle était déjà pas mal amochée.
- Oui, le viol ordinaire existe (lire Janette Bertrand sur le sujet).
- La peur n’est pas une bonne raison pour quitter ni pour rester. Ce qui compte, c’est le goût de vivre. Point. »
***
Est-ce de la violence conjugale, ça ?
L’un des premiers pas pour s’affranchir de la violence conjugale est de la reconnaître et de la nommer. C’est pourquoi SOS violence conjugale a mis en ligne l’automne dernier un test d’autoévaluation interactif en 25 questions permettant d’identifier si l’on vit une ou plusieurs formes de violence conjugale.
Preuve de la pertinence de cet outil, des dizaines de milliers d’internautes s’en sont déjà servis pour mettre des mots sur leur réalité ou aider un proche à le faire.
Pour accéder au questionnaire, cliquez ici.
***
À l’aide !
La porte d’entrée vers toutes les ressources, où qu’on soit au Québec, est SOS violence conjugale : sosviolenceconjugale.ca, 1 800 363-9010. Alors que les proches peuvent s’y informent sur comment aider, les femmes victimes de violence conjugale y trouvent un espace pour dire ce qui ne va pas, être écoutées sans jugement et se sentir moins seules. Elles peuvent aussi être dirigées vers une maison d’hébergement pour du soutien externe ou pour obtenir une place.
Si l’on sent un danger imminent, il faut composer le 9-1-1.