Il y a quelques décennies encore, les gens travaillaient à temps plein, puis prenaient leur retraite définitive à 65 ans. Point à la ligne. Aujourd’hui, ce qui était la norme est devenu l’exception, la tendance étant plutôt aux carrières prolongées et aux retours en emploi après la retraite « officielle ». Portrait des nouveaux travailleurs d’expérience et d’un monde du travail qui tarde à refléter leurs aspirations.
« Une nouvelle réalité émerge : une proportion de plus en plus significative de travailleurs prennent leur retraite volontairement ou à la suite d’une mise à pied, puis reprennent du service, souvent après quelques mois à peine. Pour 40 % d’entre eux, la dimension financière justifie ce retour sur le marché du travail alors que pour les autres, l’incitatif est le manque de vie sociale ou de défi », résume Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à l’École des sciences de l’administration de la TELUQ, économiste spécialisée en organisation du travail et directrice de l’Alliance de recherche université-communauté sur la gestion des âges et des temps sociaux.
En effet, une analyse de Statistique Canada révèle que 68,3 % des Canadiens et 63,7 % des Canadiennes âgés entre 50 et 65 ans au moment de prendre leur retraite après avoir occupé un emploi à long terme, sont revenus sur le marché du travail au cours de la décennie suivante. Deux sur trois !
Le grand saut… à nouveau
Ainsi, beaucoup de personnes de 50+ cherchent un emploi, car aux futurs-ex-retraités s’ajoutent bon nombre de chômeurs âgés de 50+, victimes de restructurations ou de fermetures d’entreprises. Ils se présentent aux employeurs éventuels en meilleure santé que la génération précédente au même âge et plus scolarisés.
Le retour en emploi est plus facile pour les personnes qui détiennent un niveau d’éducation supérieur et ont occupé des postes de cols blancs. D’ailleurs, une proportion accrue de diplômés universitaires parmi la génération actuelle des 35-44 ans laisse présager un taux d’emploi en hausse parmi les travailleurs expérimentés d’ici 10 à 20 ans.
Toutefois, décrocher un emploi est plus difficile pour les personnes peu qualifiées, ayant œuvré dans le secteur manufacturier et accusant un retard par rapport aux nouvelles technologies. C’est ainsi que de façon générale, on retrouve un taux de chômage supérieur et une période de chômage plus longue chez les 55+ que chez les 25-54 ans.
Le maître-mot : « flexibilité »
Au moment de refaire le saut dans le monde du travail, certains travailleurs créent leur propre entreprise ou réorientent leur carrière. D’autres ciblent un emploi à temps partiel ou occasionnel. Ils recherchent un emploi intéressant et stimulant, mais la flexibilité est une composante essentielle de l’équation.
Or, ils se butent à un monde du travail déconnecté de ce désir de souplesse d’horaire, lequel rejoint d’ailleurs celui des travailleurs plus jeunes, qui accordent beaucoup d’importance à la conciliation famille-travail.
« Il existe une divergence entre les aspirations des travailleurs âgés et les stratégies poursuivies par les entreprises », peut-on lire dans le rapport de projet Attirer et retenir les travailleurs âgés : le rôle de la flexibilité, d’Ali Béjaoui.
Diane-Gabrielle Tremblay abonde dans le même sens. Elle cite en exemple la gestion à court terme, qui consiste à couper dans les frais, observée dans les grandes entreprises et le secteur public. « On laisse aller les gens et on ne se rend compte qu’après des connaissances et des compétences perdues », déplore-t-elle.
« Les employeurs doivent prendre conscience que les 50+ peuvent encore être performants et productifs, qu’ils peuvent contribuer pleinement à la prospérité des entreprises », indique Alain Marchand, professeur titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal.
Pour l’instant, les entreprises demeurent figées dans des blocs de 35 ou 40 heures par semaine plutôt que de revoir l’organisation du travail, de proposer le télétravail, la réduction des heures de travail, des vacances plus longues ou des horaires plus souples, afin que les 50+ puissent aussi jouer leur rôle de proche aidant, par exemple.
L’expérience, un atout indéniable
Selon les experts consultés, l’âgisme n’est pas systématique au moment de retenir tel ou tel candidat en entrevue. L’âge peut être bien vu pour un poste de gestion, moins pour un travail physique. « Surtout lorsque son niveau de scolarité est bas, un travailleur d’expérience doit être prêt à s’adapter et à apprendre de nouvelles façons de faire. Souvent, il doit aussi piler sur son orgueil et accepter une diminution de salaire, quitte à faire valoir ses compétences plus tard », explique Jean Bergeron, recruteur.
Les compétences acquises au fil des ans sont d’ailleurs les principaux atouts dans le jeu des chercheurs d’emploi de 50 ans et plus. À cela s’ajoutent la fiabilité, la stabilité en emploi, la loyauté, etc.
« Si leur savoir-faire est indéniable, leur savoir-être joue aussi en leur faveur, c’est-à-dire leur facilité à socialiser, leur façon adéquate de s’adresser aux clients, leur souci de bien les servir, de les vouvoyer, etc. Pour ces raisons, ils sont très appréciés dans le commerce de détail, la restauration et l’hôtellerie », résume Diane-Gabrielle Tremblay.
Dessine-moi un marché du travail
Alors qu’il y a 3,2 millions de Québécois de 50+, que le pourcentage de travailleurs âgés est en augmentation parmi la population active et qu’ils demeurent plus longtemps qu’auparavant sur le marché du travail, comment convaincre les employeurs de changer leurs façons de faire et d’ouvrir toute grande la porte à des travailleurs de 50, 60 ou 70 ans ?
« Le gouvernement devrait mener une campagne de sensibilisation et tenir des sessions de formation destinées aux employeurs afin de changer les perceptions à l’endroit des travailleurs d’expérience », suggère Diane-Gabrielle Tremblay.
Pour sa part, Alain Marchand estime que le gouvernement devra aussi légiférer, mais qu’il est important auparavant d’avancer la recherche, afin de mieux comprendre les facteurs de risque et de protection en jeu dans le maintien en emploi des travailleurs d’expérience.