La Fondation Émergence, qui œuvre pour l’inclusion de la diversité sexuelle, a mis sur pied un nouveau programme, Famille choisie, pour informer et soutenir les proches aidants LGBTQ+. Et pour qu’ils se reconnaissent comme proches aidants, car nombre d’entre eux sont passés maîtres dans l’art de la discrétion.
« Le rôle de proche aidant renvoie souvent aux couples hétérosexuels et à la « famille biologique », explique Julien Rougerie, chargé de programmes. Souvent, les personnes LGBTQ+ deviennent plutôt les proches aidants de leurs amis, de leur cercle proche, autrement dit de leur « famille choisie ». Par conséquent, elles ne sollicitent que trop peu les ressources et services d’aide. C’est préoccupant, car elles représentent au moins 10 % des proches aidants. »
Pourquoi tant de repli ?
« Tout au long de leur vie, beaucoup d’aînés de cette communauté ont subi de fortes pressions, poursuit M. Rougerie. Les rejets et les préjugés ont laissé des traces. Et plusieurs appréhendent le vieillissement, par crainte de se retrouver isolés au sein d’un environnement comme une résidence pour aînés défavorable à leur différence. »
Selon M. Rougerie, la peur de ne pas recevoir d’aide est bien réelle : « En avançant en âge, plusieurs penchent vers l’idée de retourner dans le placard. Ces personnes mentent ou se réinventent une vie parallèle, et évitent les interactions sociales. Déjà que plusieurs ont toujours été isolées ou possèdent un très petit réseau. »
Des proches aidants en mal de reconnaissance
Dans ce contexte, tout reste à faire pour la communauté LGBTQ+ en matière de proche aidance. « Dans le système de santé et de services sociaux, on ne parle pas de rejet virulent, mais d’un problème d’accueil, d’approche, certes. Il n’y a pas si longtemps encore, les personnes LGBTQ+ étaient traitées dans les hôpitaux comme n’étant pas « de la famille ». »
Dans la société en général, les mœurs et les cultures mettent aussi beaucoup de temps à changer. « Une des bénévoles de la Fondation Émergence me racontait que lorsqu’elle a enterré sa conjointe, les gens du salon funéraire lui ont dit : « On vous déclare personne célibataire au lieu de veuve. » Or, elles étaient des conjointes depuis 35 ans ! Ajoutez à cela l’auto-exclusion que s’infligent moult personnes LGBTQ+, et vous avez une communauté fort vulnérable et difficile à joindre », explique Julien Rougerie.
Un programme sur mesure
Le programme Famille choisie a justement pour objectif de joindre les proches aidants LGBTQ+, de leur faire prendre conscience de leur rôle d’aidant, de les soutenir et de les renseigner sur les ressources dont ils peuvent bénéficier.
Des formations mensuelles sont offertes, tant sur la fiscalité que les mandats de protection, l’écoute active, l’importance de ménager sa compassion pour ne pas s’oublier soi-même, etc. Un programme de parrainage est également proposé pour lutter contre l’isolement. L’idée est de fournir les outils appropriés pour que les proches aidants accompagnent sans se perdre. Et pour que les cha-cha-cha affectifs — un pas en avant et deux en arrière — soient choses du passé !
Pour en savoir plus : fondationemergence.org/famille-choisie, 438 384-1058.
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Jean, proche aidant au long cours
Le témoignage de Jean Lalonde, 70 ans, fait vibrer l’humanité qui se trouve en chacun de nous. Face aux vents contraires, une spirale d’émotions est à l’œuvre.
Depuis 15 ans, Jean fait face au déclin de son grand frère de 90 ans, atteint de la maladie d’Alzheimer. En se penchant sur leur histoire, on peut comprendre qu’il ait mérité toute l’attention, les soins et l’amour de son jeune frère.
« Je suis le cadet de sept enfants, explique Jean. Au décès de mon père, je n’avais que 12 ans. Aurel, alors âgé de 32 ans, a pris la relève. Il est devenu mon père, puis mon grand ami ! J’étais sa famille et il était la mienne. »
La descente
« Ça a été graduel, poursuit Jean. Il est devenu maniaque, phobique, et ça m’insécurisait de le savoir seul dans son logement. J’ai insisté, et il est allé vivre dans une résidence pour aînés avec supervision. Puis, il est devenu vraiment paranoïaque, prétendant que je le volais. Ça m’a secoué ! Depuis six ans, il vit dans un CHSLD et aujourd’hui, il ne me reconnaît plus. Tout au long de ce processus, à ma peine s’est ajouté mon combat avec les services de santé et services sociaux, pour l’évaluer et répondre à ses besoins. De plus, je mets quatre heures aller-retour en transport en commun pour le visiter. J’aimerais qu’on le déplace près de chez moi. »
Chaque fois que le téléphone sonne, Jean croit qu’on va lui annoncer sa mort. « À cette idée, je ressens un sentiment de soulagement vite remplacé par de la culpabilité d’avoir pensé cela. C’est paradoxal, car j’ai à la fois l’impression d’avoir fait mon deuil tout en sachant que la page n’est pas tournée… »
Un rôle exigeant
« J’ai réalisé récemment que je suis proche aidant depuis… longtemps ! Et que cela m’a affecté. Ce sont souvent les gais et les lesbiennes qui s’occupent d’un membre vulnérable autour d’eux, car d’emblée, on les croit plus disponibles. Ainsi, plusieurs mettent leur vie entre parenthèses. Il ne faut pas négliger sa propre vie ! Quand c’est trop dur, mon copain devient mon proche aidant », conclut-il en souriant.