S’aimer sans vivre ensemble

Jadis, le chemin des couples était tracé : si les fréquentations se passaient bien, on habitait ensuite sous le même toit, en union libre ou en tant que conjoints mariés. Aujourd’hui, de plus en plus de couples d’âge mûr préfèrent vivre chacun chez soi. Par choix et pour de bon.

Au Canada, les données quantitatives les plus fiables et les plus récentes au sujet des non cohabitants proviennent de l’Enquête sociale générale sur la famille de 2011. Celle-ci a dénombré 1,9 million de Canadiens de 20 ans et plus vivant en couple chacun chez soi, aussi appelés « non cohabitants ».

« Quantifier les couples non cohabitants est assez compliqué, car cela renvoie à la conception qu’on se fait du couple et à une certaine subjectivité. Les contours du couple non cohabitant sont flous », explique  le démographe Arnaud Régnier-Loilier.

L’Enquête révèle deux faits importants qui caractérisent la tranche d’âge des 60+. Le premier est que la proportion de personnes qui adoptent ce style de vie est en hausse, ayant passé de 1,8 % en 2001 à 2,3 % en 2011. Le deuxième est que ce type de relation, qui représente souvent une étape transitoire pour les jeunes adultes, est toutefois permanent chez la majorité des plus âgés. En effet, 70 % des personnes de 60 ans et plus dans cette situation avouent ne pas avoir l’intention de résider un jour avec leur conjoint.

Les raisons ? Pour certains, le lieu de travail ou le désir d’indépendance motive ce choix, alors que pour d’autres, l’idée de former une famille reconstituée représente un obstacle trop grand à cette étape de leur vie.

Yvan et Danielle : liberté et désir

Yvan, 58 ans et Danielle, 52 ans, sont en couple depuis plus de trois ans et s’aiment à la folie. Ils étaient tous deux divorcés au départ et ont décidé de conserver chacun leur maison, où ils vivent toujours avec leurs enfants respectifs.

Pour Yvan, il s’agit du meilleur des deux mondes : « C’est un luxe qu’on peut se payer à notre âge, et qui permet de garder une relation saine », assure-t-il. Il y voit une façon d’éliminer la routine et de conserver une certaine forme de liberté dont il a besoin. De plus, ses enfants sont beaucoup plus vieux que ceux de sa conjointe et il n’a pas envie d’avoir l’impression de revenir dix ans en arrière.

Cette tendance du chacun chez soi apporte son lot d’avantages : manger ce que l’on veut quand on veut, ne pas entendre ronfler toutes les nuits, choisir ses émissions de télévision, ne pas imposer un nouveau partenaire de vie aux enfants, etc.

Danielle constate aussi que c’est une excellente façon d’activer le désir : « On a plus hâte de se voir, chacune de nos rencontres devient un événement en soi. Parfois, j’ai un peu l’impression de vivre comme un couple d’étudiants et c’est parfait ainsi. »

 

La famille d’abord

D’autres personnes décident de vivre une nouvelle relation amoureuse sous des toits différents principalement pour des raisons familiales. C’est notamment le cas de Martine, récemment divorcée. Ses priorités, ce sont ses adolescents. Elle souhaite leur donner un bon cadre de vie et leur laisser le plus possible leurs repères. « Ça ne m’apparaît pas raisonnable d’imposer une situation compliquée au futur beau-père », commente Martine.

Veuf, Paul-Émile a lui aussi choisi la non-cohabitation, après avoir vécu 55 années avec une femme qui représentait tout pour lui et ses enfants. « C’est lourd de se retrouver seul au quotidien », avoue-t-il. Toutefois, il apprécie que sa nouvelle amoureuse et lui puissent vivre chacun dans leurs propres affaires, tout en s’adonnant à des activités communes. De plus, cette situation ne choque pas ses enfants, ce qui est très important à ses yeux.

Des pour et des contre

Mais il n’y a pas que du bon à vivre séparément. Il devient par exemple plus difficile d’entreprendre des projets communs, ce qui est souvent considéré comme la base d’un couple solide. Aussi, le poids financier accru lié à ce style de vie peut s’avérer une source de stress et, éventuellement, de discorde.

Toutefois, selon l’Enquête sociale générale sur la famille de 2011, pour 37 % des couples de 60 ans et plus vivant chacun chez soi, le désir d’indépendance l’emporte sur les autres considérations, y compris l’argent.