Quand s’écouter devient un cadeau

Le temps des fêtes apporte son cortège d’obligations familiales, parmi lesquelles les visites à une personne de notre parenté de qui nous ne sommes pas toujours proches. Du coup, la hantise de ne pas savoir comment meubler la conversation fait qu’on y va à reculons. Comment faire de cette visite un chouette moment ?

« Le visiteur n’est pas un monstre de ne pas avoir envie de faire cette visite ! (Rires) Mais il doit commencer par admettre son malaise s’il veut être en mesure de trouver des outils », souligne Hélène Béliveau, thérapeute en relation d’aide.

L’un de ces outils est d’en parler à son entourage, pour mieux constater qu’on n’est pas seul à éprouver ce type d’embarras. « Au besoin, c’est permis de demander à un membre de la famille ou à un ami de nous accompagner. Lors de la visite, il est aussi possible de nommer l’inconfort, en disant, par exemple : ʺÇa fait longtemps qu’on ne s’est pas vus, je ne sais pas par où commencer…ʺ Montrer une vulnérabilité appelle une réponse vraie.  L’important, c’est d’être authentique », rappelle Mme Béliveau.

Devenez détective de vie

Mais comment échapper à l’échange de banalités dans lequel on s’empêtre trop souvent et passer à un autre niveau ? « On peut partir d’un constat anodin comme le fait qu’il neige, pour demander ensuite : ʺQuel est ton plus beau souvenir d’hiver ?ʺ, suggère Hélène Béliveau.  L’important est de se mettre en posture de curiosité, puis d’écoute ».

On peut aussi se permettre une question plus intime, telle que « Qu’est-ce que la vie t’a appris? », voire une question existentielle, du genre « Penses-tu qu’en mourant, on comprend le sens de la vie ? » On devient alors détective de vie. Même si l’on est réticent à poser certaines questions, rares sont les gens qui n’aiment pas qu’on s’intéresse à eux. Et rares sont ceux qui n’ont pas quelque chose à raconter.

La curiosité comme boussole

Au risque d’être indiscret ? « Si on ne se mêlait que de ce qui nous regarde, il n’y aurait plus de conversation possible, assure Theodore Zeldin, historien et sociologue de la conversation. On communique véritablement quand on partage des expériences personnelles, pas quand on transmet de l’information », rappelle-t-il dans son livre Les plaisirs cachés de la vie (Fayard, 2014).

Zeldin s’étonne de cette croyance selon laquelle une conversation doive toujours se faire de façon spontanée, sans réflexion préalable, comme s’il fallait toujours improviser. On prépare bien nos questions pour notre garagiste ou notre médecin ? Pourquoi ne réfléchirions-nous pas d’avance aux questions qu’on aimerait poser à la personne visitée ? On serait ainsi curieux des réponses ! En cette matière, « La curiosité est ma boussole », écrit Zeldin, qui ajoute qu’il lui est impossible de se considérer comme pleinement vivant s’il ne connaît que ses propres pensées.

 S’oublier deux secondes

S’écouter mutuellement et connecter avec l’autre en partageant nos expériences, n’est-ce pas ce qu’on recherche tous ? Mais pour ce faire, encore faut-il s’oublier deux secondes. Il faut savoir se taire en se retenant d’intervenir à tout propos. Sans penser à sa prochaine réplique, mais en offrant toute son attention. On n’oublie jamais ceux qui nous écoutent vraiment. Comme l’a si bien dit le romancier Charles Juliet : « Écouter l’autre, c’est le faire exister ».

Et si ça ne fonctionne pas ? « Surtout, on ne se tape pas sur la tête !, prévient Hélène Béliveau. La rencontre n’a pas à être parfaite. Il faut d’abord s’honorer d’y être allé. Et se féliciter d’avoir tenté de faire les choses différemment. C’est déjà beaucoup ! »

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L’histoire d’Hugo et Huguette

Hugo se fait violence chaque année pour aller visiter sa tante Huguette. Cette fois-ci, il a décidé de suivre les conseils d’Hélène Béliveau et de Théodore Zeldin.

  • Ma tante, je suis nul pour la conversation. Alors, j’ai cherché des questions sur Internet. J’en essaye une : qu’est-ce que la vie t’a appris ?
  • Méchante question ! Qu’est-ce que tu veux savoir au juste ?

Hugo réfléchit un moment.

  • J’aimerais savoir ce que la vie t’a appris sur toi.
  • Pourquoi tu veux savoir ça ?
  • Pour rien. Oublie ça.
  • Qu’est-ce qu’il y a ?

Silence d’Hugo.

  • Je suis en train de me séparer pour la 3e fois, ma tante. Sérieux, on dirait que je n’apprends pas : je choisis toujours une femme qui ne me convient pas. C’est quoi, mon problème ?

Les deux réfléchissent. Huguette brise le silence.

  • Jeune, j’étais convaincue qu’il fallait que je vive avec quelqu’un pour être heureuse. Mais tu sais quoi ? Je suis mieux toute seule. Peut-être que t’es comme ça, toi aussi ?

Hugo fronce les sourcils.

  • Ça prend du temps, se connaître, glisse Huguette. Quand j’étais jeune, on nous disait qu’il ne fallait surtout pas s’écouter. C’est pas mal ça ma réponse à ta question : la vie m’a appris à m’écouter.

Tout à l’heure, Hugo va repartir de chez Huguette le cœur plus léger qu’à l’arrivée. Comme le dit Zeldin, chaque rencontre est l’occasion « d’élargir la vie » et Hugo vient d’en faire l’expérience. Quel beau cadeau, n’est-ce pas ?

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