L’art de fleurir à la retraite

À l’âge où ils avaient enfin atteint une liberté financière, une bande d’amis de longue date sont devenus colocataires. Leur motivation : se cultiver une retraite sur mesure, en plein air.

Tout ceci a commencé par un coup de foudre amical, il y a de cela bien des lunes. La bande de copains aux allégeances humanistes rêvait de briser les stéréotypes trop souvent associés au vieillissement. Voilà la graine qui a fait germer la Route des gerbes d’Angelica, un organisme à but non lucratif (OBNL) voué à la culture florale, à l’agrotourisme et à la production agroalimentaire, à Mirabel.

« On a décidé de créer un jardin qui nous ressemble, version un milliard de fois plus grand que ceux qu’on avait dans nos cours ! Aucun de nous n’avait de diplôme en horticulture, mais nous sommes tous des passionnés ! », glousse Lucilia Albernaz, directrice générale de l’OBNL.

Des autodidactes passionnés

Après avoir mené des carrières florissantes dans des domaines divers, les 20 autodidactes ont mis la main à la pâte pour créer des jardins thématiques et musicaux répartis sur 7,5 acres.

Si bien que la Route des gerbes d’Angelica est devenue une destination touristique familiale reconnue à Mirabel. Les jardins et les circuits en forêt se transformant au gré des saisons ont attiré plus de 185 000 visiteurs depuis 2010. L’organisme remplit aussi une vocation humanitaire. Les membres fondateurs parrainent des jeunes en difficulté, nourrissent des familles dans le besoin, siègent à des comités régionaux, etc.

« Me retrouver dans une résidence pour aînés ? Non merci ! », soutient Thérèse Lavoie, qui a quitté son Saguenay natal pour vivre et travailler à temps plein avec ses amis. « J’avais envie de faire quelque chose de plus pour la société », dit-elle, cisaille à la main. À 72 ans, Thérèse est l’une des abeilles qui veillent à la santé des jardins.

Les camarades, aujourd’hui âgés de 56 à 88 ans, avaient avant tout besoin de s’épanouir en nature. « Comme machiniste, j’ai travaillé à l’intérieur toute ma vie, dans des environnements pas toujours agréables », témoigne Alain Bellemare. Aujourd’hui, teint hâlé et sourire aux lèvres, il arpente le domaine avec ses outils pour entretenir et réparer la machinerie.

Vivre en commun… comme au cégep !

Pour faire éclore ces fleurs et ces belles idées, il fallait d’abord mettre la main sur un lopin de terre. « On a vite constaté que les terres agricoles étaient très dispendieuses. Neuf d’entre nous ont décidé de vendre leur maison et de redevenir colocataires, comme au cégep ! » s’exclame Lucilia Albernaz. À 61 ans, elle partage son toit avec son conjoint et ses meilleurs amis, dans une maison sise sur leur domaine de 94 acres.

Les partenaires qui ont préféré conserver leurs habitations respectives ont un statut de membres externes, mais demeurent copropriétaires de la terre et de l’entreprise sociale.

Une décennie de démarches communes a précédé la création de la Route des gerbes d’Angelica : coaching par des psychothérapeutes, chant, théâtre, location de chalets, voyages style sac à dos. « On a pu frictionner nos caractères et voir jusqu’où on était capables d’aller », illustre Mme Albernaz, qui admet que ce style de vie ne convient pas à tout le monde.

Le projet suscite d’ailleurs beaucoup de curiosité, et même de préjugés. « La vie en communauté est souvent associée à la commune hippie des années 1970 ou aux sectes », constate Mme Albernaz. Elle utilise plutôt la formule « vivre en commun » pour décrire le modèle de cohabitation qu’ils ont imaginé, à mille lieues de ces stéréotypes.

En effet, l’intimité est préservée dans cette grande maison de trois étages, deux cuisines et autant de salons. Chacun possède sa chambre, est libre de vaquer à ses occupations et conserve son indépendance financière. Seule règle à laquelle les colocataires tiennent mordicus : partager au moins un repas par jour.

Vieillir bien entouré

Vivre en commun comporte de nombreux avantages, à commencer par faciliter la vie quotidienne, estime Mme Albernaz, qui a laissé un confort qu’elle juge aujourd’hui superflu. Et si ce fameux confort se trouvait plutôt dans le vivre ensemble ?

« Ça fait 13 ans que je n’ai pas fait d’épicerie ! Et lorsque je termine ma journée, le souper est prêt », se réjouit la directrice générale. Se savoir bien entouré est aussi très réconfortant, surtout lorsqu’on avance en âge. « Il y a toujours quelqu’un pour prendre soin de l’autre », ajoute-t-elle. Un soutien mutuel qui s’est avéré bien précieux en contexte de pandémie.

Le temps a donné raison au groupe qui, après 13 ans de complicité, compte encore 16 des 20 membres fondateurs, dont 10 habitent la maison. Leur union est scellée par une charte notariée et signée par tous les membres. La capitaine résume ainsi l’essence de cette communion : « Quand tu nourris tes rêves, tu ne vieillis plus. Nous, on vit dans nos rêves ! »

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À visiter

  • gerbesdangelica.com
  • 450 258-1648
  • Tous les jours, de 10 h à 17 h, jusqu’à la fin septembre
  • Achat de billets en ligne ou sur place
  • 28,75 $ par auto