De plus en plus d’entreprises se lancent dans la course aux gérontechnologies, de nouvelles technologies qui améliorent la vie des personnes aînées et de leur entourage. Et pour cause: l’un des plus profonds changements démographiques de l’histoire est en cours.
Au premier coup d’œil, le panneau ressemble à un interrupteur au style vaguement futuriste. Il s’agit plutôt d’un terminal à écran tactile connecté à une plateforme d’intelligence artificielle.
Mis en marché par l’entreprise montréalaise Evey, cet assistant personnel pour la maison monitore les signaux ambiants, les analyse, puis identifie les risques associés à des comportements inhabituels ou imprudents. Le système peut détecter une chute ou une fuite d’eau, même remarquer que vous avez oublié de prendre l’un de vos médicaments… Il peut ensuite intervenir de son propre chef, en temps réel.
Il permet aussi aux résidents de démarrer une communication vidéo avec une simple commande vocale, de même que de contrôler une foule d’objets connectés dans le domicile.
« Notre mission est de favoriser l’autonomie des personnes âgées, aussi bien à domicile que dans les résidences privées pour aînés », résume Keaven Martin, chef de développement de produits et de l’expérience utilisateur chez Evey.
M. Martin cite en exemple les Habitations Bordeleau, situées à Saint-Charles-Borromée. Plus de 200 logements y sont équipés d’Evey.
«Le personnel voit sa charge de travail s’alléger, ce qui lui permet de se concentrer sur des tâches qui apportent une réelle valeur ajoutée», fait valoir M. Martin.
Le système mis au point par l’entreprise peut aussi améliorer l’efficience énergétique, en ajustant l’éclairage et le chauffage, par exemple.
Anticiper le futur
Des systèmes comme celui d’Evey s’inscrivent dans la tendance des gérontechnologies, un mot-valise composé de « gérontologie » (la science du vieillissement) et de « technologie ». Il désigne notamment les techniques et procédures innovantes visant à aider les personnes aînées à préserver leur autonomie ou à pallier certaines déficiences.
Applications pour mobiles, piluliers connectés, vêtements intelligents, appareils robotisés : les gérontechnologies se développent à vitesse grand V. Le défi n’est plus seulement d’en créer de nouvelles, mais plutôt de les déployer dans des environnements réels, comme dans les résidences privées pour aînés (RPA) et les CHSLD, ou dans les domiciles des aînés et de leurs proches aidants.
C’est entre autres pour accélérer cette mise en marché de gérontechnologies « accessibles, abordables et conviviales » que le gouvernement du Canada a récemment annoncé un investissement de 47 M$. L’argent servira à soutenir un réseau pancanadien d’entreprises et de centres de recherche, piloté par deux consortiums, MEDTEQ+ et Age-Well, spécialisés dans ce créneau.
« Cela signifie que jusqu’à 100 jeunes pousses seront financées d’ici les cinq prochaines années. On ne peut pas avoir un signe plus clair de l’intérêt en faveur de l’agetech [gérontechnologie] », se réjouit Pascale Audette, associée fondatrice et directrice de AgeTech Capital, une société d’investissement privé qui a vu le jour l’année dernière.
À sa tête, des gens d’affaires du Québec qui veulent favoriser l’émergence d’entreprises innovantes pour « assurer un meilleur avenir aux personnes âgées dans une société plus cohésive et diversifiée », peut-on lire sur son site. Mais encore ?
« Il y a une occasion financière à saisir, certes. Mais, il y a surtout des mentalités à changer quant à l’avancée en âge », élabore Pascale Audette. Elle décoche au passage une flèche aux « publicitaires qui n’en ont que pour les 25 à 50 ans », ce public cible idéalisé qui serait – à tort – le seul à être branché et connecté.
Choc démographique
Au Québec, une personne sur cinq est maintenant âgée d’au moins 65 ans. En 2061, ce sera environ une sur trois, soit près de 3 millions d’individus.
« Il n’y aura pas assez de places dans les CHSLD et les Maisons des aînés pour accueillir tous ceux qui en auront besoin, prévient Keaven Martin, d’Evey. De toute façon, ce sont des milieux de vie qui ne conviennent pas à tous. »
Raison de plus, comme Evey le fait depuis peu, de vendre sa technologie aux particuliers et plus seulement aux RPA. Le recours aux solutions innovantes pensées spécifiquement pour combler les besoins des personnes âgées deviendra vraisemblablement la norme dans les prochaines années.
Selon une étude de l’Association américaine des personnes retraitées, les 50 ans et plus compteront pour 39% du produit intérieur brut (PIB) mondial d’ici 2050, soit une contribution de 118000 milliards de dollars.
« Le choc démographique est le plus grand défi du 21e siècle, après la crise environnementale, affirme Lyne Landry, associée au sein de la firme AgeTech Capital. Il va nous falloir l’attaquer de tous les angles possibles, parce que ça va tous nous toucher. »
Wellbe, Cubigo et Rest Less ne sont que quelques exemples d’entreprises spécialisées en gérontechnologies qui profitent déjà du marché bien établi dans ce secteur. D’autres s’ajouteront; les besoins sont criants et le demeureront.
En chiffres
78 %
C’est le pourcentage de Canadiens qui veulent vieillir à domicile, selon un sondage national publié en 2021. Ils ne sont en revanche que 26% à penser pouvoir le faire, notamment à cause du coût élevé des adaptations des habitations, révèle ce même coup de sonde qui parle d’un «écart au vieillissement chez soi ».
426 MILLIONS
C’est le nombre de personnes âgées de 80 ans et plus que devrait compter l’humanité d’ici 2050, rapporte l’Organisation mondiale de la santé. C’est un chiffre trois fois plus élevé qu’en 2020.