Cohabitation aînés et étudiants : pourquoi pas ?

« Je te présente Jessica, ma coloc de 22 ans. » Cette phrase peut sembler inimaginable dans la bouche de quelqu’un de 75 ans. En effet, bien qu’elle soit populaire en Europe, la cohabitation intergénérationnelle entre aînés et étudiants demeure très marginale au Québec. Pourtant, elle a tout pour séduire les uns et les autres.

Au Québec, lorsqu’on parle de cohabitation intergénérationnelle, on pense d’abord aux maisons adaptées pour réunir grands-parents, parents et petits-enfants sous un même toit. Mais elle commence à se décliner autrement : aînés qui accueillent de jeunes chambreurs, étudiants vivant dans une résidence privée pour aînés en échange de bénévolat, projets d’habitation multigénérationnels, etc.

Un match parfait

« Aînés et étudiants peuvent paraître opposés mais ces deux populations se rejoignent sur plusieurs points. Par exemple, une large proportion d’aînés vit de l’isolement et c’est également le cas des deux tiers des étudiants », met en évidence Nathalie Francès, chargée de projet de la récente étude Logement intergénérationnel : sortir de l’exception.

Madame Francès révèle d’autres points communs : la proportion importante du budget consacrée au logement, le désir d’habiter dans des quartiers centraux près des services et le souhait d’être en interaction avec d’autres générations.

Des freins à lever

Constituant une solution à plusieurs enjeux sociaux, la cohabitation intergénérationnelle apparaît donc comme un choix logique, dans un contexte de vieillissement de la population – dont des baby-boomers éduqués en quête d’apprentissages et de partage de connaissances –, de crise du logement et de manque criant de soins à domicile.

Pourquoi alors cette formule ne compte-t-elle pas plus d’adeptes ? D’une part, la cohabitation intergénérationnelle est encore très méconnue au Québec. D’autre part, elle ne convient pas à tous, plusieurs aînés souhaitant par exemple vivre le dernier chapitre de leur existence entourés uniquement de gens de leur âge, dans des résidences privées pour aînés.

« Il y a beaucoup de chemin à faire, note Laïla Audette, dont le projet de maîtrise porte sur la cohabitation intergénérationnelle au Québec. Bien des aînés sont réticents à faire entrer un inconnu chez eux. En fait, il y a des stéréotypes des deux côtés. Le rapport à l’autre doit changer pour faire place à plus d’interactions entre les générations et à plus de solidarité. »

Une autre embûche est le sous-financement chronique des organismes communautaires sur lesquels repose le déploiement de la cohabitation intergénérationnelle.

Des conditions gagnantes

De façon plus large, qu’en est-il des complexes d’habitation intergénérationnels ? L’offre de tels projets résidentiels au Québec est plutôt limitée comparativement à l’Europe. Encore aujourd’hui, la plupart des modèles favorisent le côtoiement des diverses générations, mais privilégient des bâtiments distincts pour chaque clientèle.

Pourtant, il n’est pas très compliqué d’offrir à chaque groupe d’âge un milieu de vie stimulant et réellement intergénérationnel. Et environ 60 % des aînés et étudiants sondés sur le sujet dans le cadre de l’étude Logement intergénérationnel : sortir de l’exception ont affirmé que ce style de vie leur plairait.

La formule serait en quelque sorte une version bonifiée d’une coopérative d’habitation, abritant plusieurs générations dans un même immeuble et favorisant pour les aînés un vieillissement actif axé sur la participation sociale.

« Le premier critère est de concevoir un immeuble aménagé de façon à ce qu’il soit accessible à tous, composé d’appartements indépendants et de grands espaces communs conviviaux. Une autre condition gagnante est la présence d’une personne chargée de créer les premiers liens intergénérationnels et de les maintenir. Cet animateur mettrait notamment en place des comités afin que les résidents se prennent aussi en charge », résume Nathalie Francès.

De ces premiers pas entre jeunes et moins jeunes pourraient découler l’échange de petits ou plus grands services, de part et d’autre et, qui sait, des amitiés très enrichissantes.

Madame Francès note qu’une contribution gouvernementale serait nécessaire pour couvrir les coûts supplémentaires que représenteraient ces espaces communs et l’embauche d’un animateur, afin que le loyer puisse être abordable. Il s’agirait alors d’un réel investissement, compte tenu des bienfaits sans prix des liens intergénérationnels et des coûts engendrés par l’isolement.

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Avoir 20 ans… et 115 colocataires aînés

La résidence privée pour aînés Les Marronniers, à Trois-Rivières, fait figure de précurseur en hébergeant gratuitement des étudiants en échange de 10 heures de bénévolat par semaine auprès des résidents. Une initiative gagnant-gagnant qui est là pour rester.

« Je ne pensais jamais créer des liens d’amitié aussi proches avec des aînés », confie l’étudiante Maude Gagné, qui a habité aux Marronniers en 2018-2019, tout comme Joliane Plante. C’est à regret qu’elles ont dit au revoir à leurs colocs aux cheveux blancs, leurs études les menant ailleurs.

Le loyer gratuit a joué en faveur de l’adoption de ce style de vie plutôt inhabituel pour des étudiantes, tout comme le désir de côtoyer cette clientèle avec laquelle les deux jeunes femmes avaient des atomes crochus.

« La proximité a fait fondre tous les préjugés, des deux côtés », observe Maude, qui n’a jamais compté ses heures de bénévolat.

Des bienfaits inespérés

Pas question que cette initiative importée des Pays-Bas ne s’éteigne après l’an 1. « Nous procédons au recrutement de deux nouveaux étudiants », disait en juin Gaëtan Daviau, directeur général de la résidence Les Marronniers.

Il raconte que la présence de ces deux lumineuses étudiantes a eu des impacts inespérés, en plus d’un vent de jeunesse indéniable. « Une résidente avait décidé de se laisser aller. Joliane est allée la voir. Un déclic s’est fait et elle a repris goût à la vie. Des personnes à mobilité réduite se sont aussi mises à participer à certaines sorties en disant : ʺSi les filles y vont, j’y vais !ʺ », relate M. Daviau.

L’idée a fait son chemin dans d’autres résidences. Gaëtan Daviau incite propriétaires et directeurs généraux à passer outre aux considérations strictement financières et à accueillir elles aussi des étudiants. « Le coût n’est rien en comparaison des bienfaits pour les aînés », conclut-il.

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Étudiant cherche coloc d’âge mûr

Le jumelage entre étudiants et aînés a la cote en France, où plus de 6 000 binômes aux grands écarts d’âge sont constitués annuellement. Des organismes sans but lucratif tels que Combo2Générations tentent de faire décoller la formule chez nous.

« Nous avons effectué deux jumelages cet été, dont l’un entre Angelina, une femme de 97 ans et Dounia, une Québécoise d’origine algérienne qui termine sa maîtrise en ergothérapie », dit fièrement Denise Tessier Trudeau. Elle s’est lancée dans cette aventure avec sa belle-fille en devenant partenaire en sol québécois de l’organisme français Ensemble deux générations.

Leur mission : mettre en lien des aînés ayant une chambre de trop avec des étudiants qui, en échange, assureront une présence ou leur rendront de petits services.

Plusieurs formules (logement gratuit, économique ou solidaire) sont proposées aux personnes de 60 ans et plus, selon le degré de présence et d’aide souhaité de la part de l’étudiant. Les seuls frais pour les aînés sont ceux, minimes, de la visite à domicile permettant de tracer le profil de l’étudiant recherché. Un suivi est également effectué après les jumelages.

« Nous manquons de candidatures d’aînés demeurant dans un rayon de 30 minutes en transport en commun d’un cégep ou d’une université », précise Mme Tessier Trudeau. Pour informations : combo2generations.com ou 438 387-3777.

Aînés et immigrants

Par ailleurs, on trouve au Québec des services et organismes communautaires dédiés en partie à la cohabitation intergénérationnelle, dont La Maisonnée, à Montréal, axée sur le jumelage entre aînés et immigrants (lamaisonnee.org, 514 271 3533).