Le gouvernement fédéral envoie une lettre à tous ceux et celles qui viennent d’avoir 64 ans, pour leur annoncer qu’ils seront bientôt admissibles à la pension de la Sécurité de la vieillesse. Cette lettre a l’effet d’un électrochoc chez plusieurs des quelque 100 000 Québécois qui la reçoivent chaque année. Pourquoi ? Parce que c’est la preuve qu’ils sont officiellement vieux ?
« Ça été tout un choc, confie Louise, 66 ans. Heille, la lettre de la pension de vieillesse ! J’étais là quand ma mère a reçu la sienne… Je ne peux pas croire que je sois rendue là ! » « C’est traumatisant, confirme Ginette, 67 ans. Être à sa pension, c’est bon pour les autres. Mais moi…? »
Cinquante nuances de déni
Pour autant, la lettre ne leur a rien appris, ni à l’une ni à l’autre. Alors quoi ? « Entre savoir quelque chose et l’intégrer émotionnellement, il y a toute une marge », explique la psychologue Geneviève Paquette.
Ainsi, lorsque Lucie, 64 ans, a reçu sa lettre, elle n’a pas eu le cœur de poursuivre sa lecture au-delà de la première phrase : « Nous avons le plaisir de vous informer que votre pension… » Elle l’a remise dans l’enveloppe et celle-ci traîne désormais avec d’autres papiers, le temps qu’elle se fasse à l’idée. Pour sa part, Louise, 66 ans, s’est empressée de cacher la sienne dans le fond d’un tiroir. « Je ne me suis pas vantée de l’avoir reçue », admet-elle. D’autres, comme Martine, 65 ans, pratiquent ce qu’on pourrait appeler le déni « lexical » : « J’évite toujours de dire « Sécurité de la vieillesse » ou « pension de vieillesse ». Je dis « rente du fédéral ». Ça fait moins vieux. »
« Le déni n’est pas anormal, observe la psychologue Geneviève Paquette. On veut se protéger car vieillir fait peur. » Au point de craindre tout ce qui se rapporte au vieillissement et à la vieillesse ? C’est ce qu’explique Denise Dubé dans son livre Humaniser la vieillesse (MultiMondes) : « Une société qui valorise traditionnellement l’action, le pouvoir, la vigueur de la jeunesse, plutôt que la contemplation, la réflexion, l’expérience et la sagesse de l’âge ne peut faire autrement que d’éprouver un profond malaise, une répulsion pour la vieillesse… »
D’où l’effet produit par la fameuse lettre que Lucie n’a toujours pas lue, mais dont elle a fort bien saisi le message : l’annonce officielle qu’officiellement elle est vieille !
65 ans : l’âge butoir ?
Cadre dans une grande entreprise et n’ayant pas l’intention de ralentir la cadence, Yolaine, 65 ans, a choisi de reporter sa pension de la Sécurité de la vieillesse à 69 ans. Elle qui croyait ainsi retarder de quatre ans son entrée officielle dans la vieillesse a vite déchanté : « Dès que j’ai eu 65 ans, plusieurs de mes avantages sociaux m’ont été retirés ou coupés de moitié. Chaque courriel de mon employeur à ce sujet a été comme une gifle. Je me suis sentie comme une employée de seconde classe. Pourtant, je suis aussi performante que mes jeunes collègues et, si ça se trouve, en meilleure santé qu’eux. Voulez-vous les garder, les vieux ? », lance-t-elle, faisant référence à la pénurie de main-d’œuvre qui sévit au Québec.
Qu’on le veuille ou non, il semble que 65 ans soit bel et bien l’âge officiel de la vieillesse, non seulement pour l’État et plusieurs employeurs, mais aussi pour certains loisirs organisés. Ainsi, Louis, 63 ans, a appris qu’il lui faudra bientôt présenter un « billet médical d’aptitude à la pratique cycliste » s’il veut toujours participer au Gran Fondo Mont-Tremblant, un événement annuel qui regroupe quelque 2 000 amateurs de vélo.
Peut-on parler d’âgisme ? « Ce qui est sûr, c’est qu’à 65 ans, tu changes de catégorie », laisse tomber Ginette. « Pour te retrouver dans la grande catégorie des 65 ans et plus, comme si avoir 65 ou 90 ans, c’était pareil ! », déplore Lucie. Micheline, 72 ans, renchérit : « C’est dur de comprendre qu’on est à bout d’âge, sur l’autre versant. La lettre me l’a rappelé crûment ».
« De tous les événements inattendus, le plus inattendu est la vieillesse », disait Leon Trostky. De fait, on ne voit vieillir que les autres. Et pour cause, explique la psychologue Geneviève Paquette : « La plupart des gens s’imaginent être plus jeunes qu’ils ne le sont. Mais ce sentiment de ne pas correspondre à son âge n’a rien de spécifique à la vieillesse. Moi-même, quand je pense que je vais bientôt avoir 40 ans, j’ai du mal à y croire ! (Rires) »
De l’émotion à l’action
« La lettre a officialisé mon entrée dans la vieillesse », admet Jean-Pierre, 66 ans. « C’est confirmé ma vieille, là tu es vraiment vieille », s’est dit Louisette, 72 ans.
« Reconnaître qu’on est rendu là n’est pas toujours facile, compatit la psychologue Geneviève Paquette. Mais ce peut être une belle occasion de faire le point sur ce qu’on veut vivre et de poser des gestes concrets pour y parvenir. »
C’est ce qu’a fait Josée, 64 ans : « La lettre m’a fait l’effet d’un électrochoc. J’ai toujours eu tendance à tout remettre au lendemain, surtout les choses que j’aime. Je ne me donnais pas la permission. Eh bien, maintenant, ça y est : je me suis remise à l’aquarelle ! »
Une fameuse lettre… attendue !
On aurait tort de croire que la fameuse lettre ne provoque que des émotions négatives. Parlez-en à Sylvie, 66 ans : « Ce que j’ai ressenti en recevant la lettre ? Une bouffée de joie et un immense soulagement. Voilà qu’on m’annonçait ma liberté prochaine. Le montant de ma pension allait me permettre d’arrêter de travailler. Enfin, je pourrais dire « bye-bye boss ! » »