Vivre en maison intergénérationnelle? Une grand-maman vous dit tout!

Marie-Alice Desmarteau, 61 ans, partage son quotidien avec ses petits-fils, Elliott (trois ans) et Édouard (16 mois), sa fille Karine ainsi que son gendre Guillaume. Argent, intimité, partage des tâches… Cette grand-maman, gestionnaire en semi-retraite, vous raconte sa réalité en maison intergénérationnelle.

Habiter en maison bigénérationnelle, c’est encore peu courant au Québec. D’où vous est venue l’envie d’adopter ce mode de vie?

Karine et moi habitions Sherbrooke. C’est elle qui venait s’assurer que tout allait bien chez moi lorsque j’étais en Floride, l’hiver, ou que j’allais en Belgique visiter mon autre fille. Quand elle est devenue maman, elle a trouvé ce mandat plus exigeant. À la blague, j’ai dit que ce serait plus simple si on habitait au même endroit. C’était lancé à la légère, mais l’idée a fait son chemin des deux côtés.

Ce qui avait été dit à la blague s’est transformé en véritable recherche immobilière. Y a-t-il eu des défis pour trouver LA maison?

J’étais à l’étranger quand j’ai vu une maison à vendre à Magog, dont les dimensions convenaient à deux familles. Encore là, j’ai envoyé le lien vers l’annonce sans trop y croire, mais mon gendre a immédiatement pris un rendez-vous. Ils ont visité la maison en personne, moi à distance. Avec des rénovations, elle était assez grande pour répondre à nos besoins; c’était important pour moi d’avoir au moins un 4 ½. On a donc fait une offre.

Mais on a travaillé fort pour la transformer, puisque ce n’était pas une maison bigénérationnelle à l’origine. Je dois dire que le plus grand défi a été d’obtenir l’autorisation de la Ville. Les municipalités se disent très favorables aux familles, mais les règles varient d’un endroit à l’autre. Et lorsqu’on souhaite y aménager une maison bigénérationnelle, les choses se compliquent. Finalement, on a dû transformer la maison en duplex sur le plan légal. Résultat : ça a coûté pas mal plus cher que prévu.

Quelle a été votre entente pour l’achat?

Sur papier, nous possédons chacun un tiers de la maison. Cela a permis à tout le monde d’accéder plus facilement à la propriété. Il faut aussi penser à bien organiser son testament. Dans mon cas, par exemple, je voulais inclure mon autre fille : si jamais il m’arrivait quelque chose, je ne voulais pas que seule Karine hérite de la valeur de la maison. Il est donc essentiel de prendre des ententes à l’avance.

Comment avez-vous organisé l’espace de vie?

Ma fille et mon gendre, avec leurs deux garçons, ont un logement plus grand que le mien. De mon côté, j’ai mon propre stationnement et une entrée indépendante : c’était important pour nous que chacun conserve son intimité et puisse recevoir sans avoir à passer par l’entrée de l’autre.

La première année, on partageait le même espace extérieur, ce que j’ai trouvé difficile. Je ne pouvais pas sortir ou inviter des amis à souper dehors sans avoir l’impression d’être chez ma fille. On a donc apporté des modifications pour que j’aie mon propre espace extérieur, avec un gazebo. On a même acheté le terrain vague voisin pour avoir plus d’espace!

Mais on a aussi des espaces communs : nous avons des poules, un jardin, nous récoltons nos légumes… Ce sont des activités que nous faisons ensemble et qui nous occupent beaucoup durant l’été.

À quoi ressemble le quotidien?

En général, on passe plus de temps ensemble les fins de semaine, mais on s’adapte selon les horaires de chacun. Je travaille encore sur des mandats, mais la semaine, si j’arrive avant eux, je commence le souper pour que ce soit prêt à leur arrivée. Les repas sont presque toujours en commun, ce qui ne signifie pas qu’on soupe systématiquement ensemble, mais plutôt qu’on prépare un seul repas pour tout le monde. Cela simplifie le quotidien et nous permet de partager les coûts d’épicerie. Il faut ensuite maintenir une bonne communication : parfois, j’ai envie d’être dans mes affaires, alors je descends avec mon assiette. D’autres fois, ce sont eux qui me disent qu’ils aimeraient souper seuls, et il n’y a pas de problème.

Selon vous, cette façon de vivre offre quoi à la famille de votre fille?

 Une certaine tranquillité d’esprit. Par exemple, j’aide parfois ma fille lorsque mon gendre travaille plus tard. Comme hier, je l’ai aidée à coucher les enfants. Il m’est aussi arrivé de prendre le relais quand les petits sont malades et doivent rester à la maison.

Je dois avouer que je ne me souvenais pas à quel point cette période de la vie était intense! De loin, je me disais que ce n’était pas si pire, mais quand on est dans l’action, qu’on rentre de sa journée à 17 h après l’arrêt à la garderie et que le souper n’est pas prêt, c’est intense! Avec du recul, je me dis que j’aurais aimé recevoir ce genre d’aide quand mes filles étaient jeunes. Alors, aujourd’hui, je fais pour eux ce que j’aurais apprécié qu’on fasse pour moi.

Et vous, qu’est-ce que cette formule vous apporte?

Pour moi, c’est rassurant de savoir que quelqu’un est là, juste à côté. L’an passé, par exemple, j’ai eu une pneumonie. Ma fille et mon gendre m’ont préparé de la soupe et ont pris soin de moi… On s’entraide aussi mutuellement, chacun selon ses forces. Guillaume s’occupe de l’entretien extérieur, il répare les choses, et moi, je m’occupe des fleurs… Dans notre cas, vivre en maison bigénérationnelle, ça aide tout le monde!

Je dirais, finalement, que ça brise ma solitude. Je travaille, j’ai des projets et des amis, mais qui ne sont pas nécessairement à proximité. Et comme je suis célibataire, partager mon quotidien avec la famille de ma fille fait vraiment une différence pour moi. Mes petits-fils me font confiance comme s’ils me considéraient comme un troisième parent. Parfois, ils viennent me dire qu’ils sont tristes ou fâchés. Je les écoute, je valide les interventions des parents, je les console… J’ai la chance de les voir grandir, d’être proche d’eux, et j’apprécie ces moments.

Quels conseils donnez-vous aux familles qui songent à ce mode de vie?

Je pense que le plus important, c’est d’avoir une belle relation avec son enfant, mais aussi avec son ou sa partenaire, et de sentir que tout le monde est en accord avec la cohabitation. Il est essentiel de bien s’entendre au départ et de bien communiquer. C’était notre cas. Sinon, je ne l’aurais jamais fait!

Comme grand-parent, il faut aussi être prêt à respecter leur façon d’éduquer les enfants. Les choses évoluent d’une génération à l’autre : il faut être capable d’en discuter pour que tout le monde suive la même ligne.

C’est véritablement une vie en commun, on ne peut pas se soustraire à ça. Je ne recommanderais donc pas cette formule à quelqu’un qui ne veut pas être dérangé. Quand on est à la maison et que les petits-enfants veulent nous voir, il est difficile de leur dire non. On leur apprend à cogner, mais s’ils savent qu’on est de l’autre côté de la porte, ils ne comprennent pas pourquoi on ne serait pas disponible pour eux. Il faut savoir apprécier leur présence, sinon, ça ne fonctionne pas.

Comment voyez-vous l’avenir?

On parle souvent ensemble de notre avenir. J’aurai éventuellement besoin de moins d’espace, tandis que les enfants en auront besoin de plus en grandissant. La maison peut encore être transformée : on a choisi un endroit évolutif, et on reste ouverts à tout pour que chacun s’y sente bien!

Populaire, la maison bigénérationnelle?

Pénurie de logements, hausse du coût de la vie, accès difficile à la propriété, solitude : l’habitation en maison intergénérationnelle peut offrir une solution à bien des maux. Pourtant, au Québec, cette formule demeure encore peu répandue.

Les données sur ce type de propriété restent limitées, mais selon Radio‑Canada, en 2020, les maisons bigénérationnelles représentaient environ 2 % de l’offre totale de maisons unifamiliales, une hausse de 43 % par rapport aux deux années précédentes.

À l’échelle du pays, les ménages intergénérationnels figurent d’ailleurs parmi ceux dont la croissance est la plus rapide, selon un rapport de l’Institut Vanier de la famille, un groupe de réflexion consacré à l’amélioration du bien-être des familles.

Le prochain recensement, prévu pour 2026, permettra de vérifier si la tendance se poursuit.

Depuis plusieurs années, la FADOQ plaide pour une diversification de l’offre en matière de logement, dont un développement accéléré de ce type de d’habitation. L’organisation demande notamment au gouvernement provincial de mettre en place un programme de soutien pour la conversion ou la construction de maisons résidentielles en maisons intergénérationnelles.