
On dit parfois qu’acquérir de nouvelles connaissances est plus facile à l’aube qu’au crépuscule de la vie. Rien n’est plus faux. Il n’y a pas d’âge pour apprendre
Francine Dufour est une étudiante modèle. Même si aucun des deux à trois cours qu’elle suit chaque session ne comporte de travaux et d’examens, la résidente de la région de Québec noircit des pages et des pages de notes. « Cela me force à suivre l’exposé du professeur, à synthétiser ses propos, puis à les consigner par écrit », explique celle qui étudie à l’Université du 3e âge de l’Université Laval.
Depuis sa retraite en 2016, la femme de 67 ans a suivi 53 cours, dont toute une série consacrée à l’apprentissage du piano — « j’aime tout particulièrement le répertoire jazz ». Pourquoi? Pour le simple plaisir d’apprendre! « J’apprends sur tout un tas de sujets qui m’intéressent depuis toujours, mais auxquels je n’avais pas le temps de me consacrer », témoigne celle qui estime « réaliser un rêve ».
Le cerveau, ce muscle
Comme Francine Dufour, nombre de personnes à la retraite se mettent au chant, à la sculpture, à la programmation informatique… Mises bout à bout, ces anecdotes inspirantes prouvent qu’il n’y a pas d’âge pour acquérir de nouvelles connaissances.
« Il est faux de prétendre que les jeunes apprennent mieux que les personnes aînées », confirme Isabelle Lussier, directrice de la recherche et de l’intervention chez Lucilab, un projet philanthropique de promotion de la santé du cerveau par les saines habitudes de vie.
Ce mythe en dit long sur notre méconnaissance des fonctions cognitives. Le bagage de connaissances générales que nous possédons sur le monde — ou mémoire sémantique — tend par exemple à augmenter avec les décennies plutôt qu’à diminuer.
A contrario, la capacité à se souvenir des événements vécus et à les replacer dans leur contexte — ou mémoire de travail — s’amenuise bel et bien avec le vieillissement. De là la tendance chez plusieurs à oublier les prénoms ou à égarer leurs lunettes de lecture.
« Davantage d’indices sont nécessaires pour faire remonter un épisode du passé, vulgarise la neuropsychologue de formation. Éprouver une plus grande difficulté à encoder des informations est un phénomène normal. »
Olivier Beauchet, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et directeur du laboratoire AgeTeQ, insiste sur ce dernier point. « Ce qu’on désigne comme étant des pertes cognitives traduit en fait une moindre rapidité d’exécution des tâches, nuance-t-il. Il n’y a pas lieu de s’en inquiéter. »
Les circuits neuronaux impliqués dans ces tâches ont heureusement le potentiel de se consolider à tout âge. À la condition, bien sûr, d’être stimulés. « Le cerveau demeure malléable tout au long de la vie, explique Isabelle Lussier. C’est ce qu’on appelle la neuroplasticité. »
Cela s’explique par le renforcement des connexions existantes entre les neurones ainsi que par la création de nouvelles liaisons. « Un peu comme les muscles, on peut entraîner le cerveau. Plus on l’utilise, meilleur il devient. »
B.a.-ba.
Voilà pour la théorie. Mais, concrètement, comment s’y prendre? Il faut tout d’abord s’efforcer de sortir de sa zone de confort, seule manière d’augmenter son capital cognitif au lieu de se fier sur son vieux gagné.
« Vivre sur ses acquis est dangereux; ces derniers diminuent petit à petit pour finir par disparaître », met en garde Olivier Beauchet. Autrement dit, place aux nouvelles activités, qui sont autant d’occasions de muscler ses méninges en réalisant des apprentissages inédits.
Le choix des activités en question doit se faire en fonction des centres d’intérêt et de la personnalité des individus. Bridge, poésie, photographie… Ce qui est stimulant pour l’un peut ne pas du tout fonctionner pour l’autre, et vice-versa. « Le plaisir doit primer avant tout! Sinon, ça ne sert à rien et c’est même contre-productif », affirme le gériatre et neurologue. C’est bien connu : quand on aime ce qu’on fait, motivation et persévérance sont au rendez-vous.
Dernier conseil : favoriser la diversité. Si remplir des grilles de mots croisés est certes une activité intellectuellement exigeante, ne faire que ça s’avère insuffisant. De là d’ailleurs l’efficacité relative des jeux cognitifs censés protéger de maladies neurodégénératives comme l’Alzheimer.
« Comme en matière d’épargne, on vise un portefeuille d’activités diversifié, indique Isabelle Lussier. Cela doit en outre comprendre des interactions avec d’autres personnes. »
Francine Dufour, en tout cas, l’a bien compris. Sa fréquentation de l’Université du 3e âge de l’Université Laval coche la vaste majorité de ces cases. « Je me cultive, je me mets au défi, je tisse des liens d’amitié… Bref, je me développe comme une personne à part entière », conclut-elle.
L’importance de la prévention
Apprendre, c’est bien, à condition de s’en donner les moyens. En effet, entretenir des relations significatives, bouger tous les jours et manger de manière équilibrée sont autant de manières de favoriser de meilleurs apprentissages cognitifs. Selon un rapport de la revue savante The Lancet publié en 2020, douze facteurs de risque — comme l’isolement social, mais aussi l’obésité et la consommation excessive d’alcool — sont à l’origine de 40 % des cas de troubles neurocognitifs dans le monde. Bonne nouvelle : tous sont modifiables.
La plus petite des grandes universités
L’Université du 3e âge de l’Université Laval offre un programme d’activités varié pour les 50 ans et plus. L’hiver dernier, on pouvait par exemple découvrir la vie en Nouvelle-France, apprendre les rudiments de la langue de Cervantès ou s’initier à des courants éthiques majeurs comme l’utilitarisme et le libertarisme. Preuve du grand succès que la formule connaît depuis 40 ans, plusieurs cours affichent complet moins de cinq minutes après l’ouverture des inscriptions. Pour en savoir plus, on consulte sa page Web au uta.ulaval.ca.
Notons que plusieurs autres universités québécoises proposent une formule similaire, telles que l’Université de Sherbrooke, l’Université du Québec à Trois-Rivières, etc.