Être proche aidant sans se rendre au bout du rouleau

Une personne sur deux jouera le rôle de proche aidant dans sa vie. La tâche est lourde et trop souvent accomplie en solitaire, à un point tel que plusieurs mettront leur propre santé en péril. Un phénomène qui frappe de plein fouet les aidantes et aidants les plus âgés. 

Depuis quelques années, Carole Simard prend soin de son mari, atteint de Parkinson et de la démence à corps de Lewy, deux maladies neurodégénératives. « Il a besoin d’aide pour beaucoup de choses, dit-elle, comme s’habiller ou prendre ses médicaments. » Après plus d’un demi-siècle de mariage, soutenir son époux au quotidien allait de soi, mais à force de négliger ses propres besoins, la femme de 73 ans a fini par s’épuiser. « J’étais fatiguée et mon moral n’était pas très bon. Mon médecin de famille m’a alors avertie que je risquais de tomber malade, moi aussi, si je continuais comme ça… »

Sa situation est loin d’être unique. En fait, le quart des personnes proches aidantes au pays estiment que leur santé mentale est passable ou mauvaise, selon une étude récente menée par le Centre canadien d’excellence pour les aidants (CCEA). La proportion est encore plus élevée chez les 65 ans et plus. « Comme les aidants âgés fournissent plus d’heures de soins quotidiens, ils sont plus enclins à avoir une moins bonne santé physique et à éprouver plus de fatigue, d’inquiétude, de problèmes de sommeil et de déprime », peut-on lire dans le document.

Plus épuisées, moins soutenues

Bien que ce soient les personnes proches aidantes les plus âgées qui ont les besoins les plus criants, ce sont aussi elles qui sont les plus nombreuses à n’avoir eu recours à aucun service d’aide dans la dernière année, révèlent les données du CCEA. Une situation préoccupante, juge l’équipe de recherche, alors que plusieurs sont à « deux doigts de connaître une situation de crise soudaine, à cause d’un diagnostic ou d’un accident. »

Pourquoi n’obtiennent-elles pas plus d’aide? Les freins sont nombreux. D’abord, il y a les complexités administratives, comme l’explique Julie Bickerstaff, directrice Info-aidant et transfert de connaissances chez l’Appui pour les proches aidants. Selon elle, les différents crédits d’impôts et programmes d’aide mériteraient certainement d’être simplifiés afin d’en améliorer l’accessibilité.

Ensuite, il y a les barrières psychologiques et émotionnelles. Certaines personnes proches aidantes ont honte ou ont vécu de mauvaises expériences, tandis que d’autres ne se reconnaissent tout simplement pas comme telles. « Pour elles, c’est normal de soutenir sa conjointe ou son conjoint, de redonner à ses parents, explique Julie Bickerstaff. Elles n’ont donc pas l’impression que les services offerts s’adressent à elles. »

C’est le cas de Noella Leblanc, qui s’occupe de son époux atteint du Parkinson depuis plusieurs années. « Je n’ai toujours pas l’impression d’être une proche aidante, puisque mon mari et moi sommes ensemble depuis près de 50 ans. C’est aussi le père de mes trois enfants. Nous nous sommes toujours soutenus mutuellement, c’est donc naturel de l’aider aujourd’hui », raconte la septuagénaire, avant de concéder que « laver son mari, ce n’est pas si naturel ». 

Une nouvelle relation

La relation de proche aidance s’installe souvent progressivement, ce qui explique aussi pourquoi certaines personnes tardent à chercher du soutien. « Cela m’a pris du temps avant de réaliser que j’avais aussi besoin de prendre du temps pour moi », se souvient Carole Simard.

« On ne se lève pas un matin en se disant, “je suis maintenant un proche aidant”, opine Esther Parenteau, intervenante chez Les Aidants du Haut-Saint-Laurent, un organisme qui propose des formations, des groupes de partage et du soutien psychosocial. Mais de fil en aiguille, les tâches s’accumulent, si bien qu’on ne réalise pas la charge qu’on a sur les épaules. »

Plusieurs ont aussi tendance à minimiser leur rôle ou « craignent de prendre la place de quelqu’un d’autre », poursuit l’intervenante. Or, chacun a son propre bagage psychologique, ses propres limites. Il ne faut donc pas se comparer ni attendre d’être au bout du rouleau pour demander de l’aide. D’autant plus que le temps d’attente peut être long, prévient Carole Simard, qui affirme avoir dû patienter pas moins de 602 jours avant d’obtenir de l’aide à domicile pour du répit.

Se sentir moins seul

Noella Leblanc a surmonté ses réticences et compte désormais sur l’aide d’un service de répit. Ça lui permet de changer d’air de temps en temps. Tout comme Carole Simard, qui a de plus participé à une formation avec d’autres personnes vivant la même situation qu’elle. « Le simple fait de pouvoir partager sa réalité avec d’autres permet de se sentir moins seul. Se confier, jaser et avoir le soutien d’un intervenant apporte des bienfaits extraordinaires. »

Autrement dit, prendre soin de soi permet aussi de mieux prendre soin de l’autre.  

Une réalité méconnue

Aide domestique à moindre coût, popote roulante, services de répit, soutien psychosocial, groupes d’entraide… Des ressources sont offertes aux personnes proches aidantes à travers le Québec. Pour en bénéficier, encore faut-il savoir qu’elles existent, note Claudia Rouleau, qui, en renfort de son père, a été au chevet de sa mère durant les trente derniers mois de sa vie. « Cela m’a fait réaliser à quel point on manque de préparation pour endosser ce rôle. On n’apprend pas cela sur les bancs de l’école! » À la suite de cet apprentissage, la femme a voulu faire œuvre utile en écrivant Grandir comme proche aidant, 12 clés pour accompagner un être cher. « Chaque chapitre se termine par des références, des organismes à connaître et quelques devoirs à faire pour les lecteurs. » Elle a aussi livré plusieurs conférences dans différents organismes pour mieux faire connaître cette réalité.

Une personne proche aidante, c’est quoi au fait?
Pour être considéré comme un proche aidant ou une proche aidante, il faut simplement aider une personne de son entourage présentant une incapacité temporaire ou permanente de nature physique, psychologique, psychosociale ou autre. Le soutien apporté peut être continu, occasionnel, à court ou à long terme. Source : Politique nationale pour les personnes proches aidantes

Quelques ressources