
La génération X est encore souvent perçue comme oubliée. Pourtant, elle a marqué notre société en réinventant les rapports sociaux, en multipliant les expériences et en contestant le modèle traditionnel du travail. Ses membres entament aujourd’hui leur sixième décennie avec des vécus et des défis bien différents de ceux de la génération précédente.
Nés entre 1962 et 1980, à quelques années près, on caractérise habituellement les membres de la génération X comme étant pris en sandwich entre les baby-boomers, ayant vu le jour au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, et les millénariaux, ou Y, qui ont grandi dans le monde numérique.
« Le concept même de génération X est apparu pour désigner les hommes nés dans les années 1960 qui ont eu du mal à s’insérer dans le marché du travail dans les années 1980, explique Charles Fleury, docteur en sociologie. Les derniers baby-boomers venaient d’entrer et les dernières places ont été comblées. »
En règle générale, chaque génération peut s’appuyer sur les acquis des précédentes pour construire son avenir et ainsi améliorer sa qualité de vie par rapport à celle de ses parents.
« L’idée de mobilité sociale était très présente, et on a dit aux X d’aller à l’école parce que ce serait rentable, que de meilleurs emplois les attendraient, explique M. Fleury, cosignataire de l’étude Vieillissement de la génération X au Québec : vers un report de la retraite? publiée en 2016 dans les Cahiers québécois de démographie. Au moment de sortir de l’école et d’aller sur le marché du travail, ça ne s’est toutefois pas vraiment passé comme prévu. »
Prendre le temps d’expérimenter
Génération oubliée, donc? « Il faut éviter de généraliser, souligne le professeur en relations industrielles à l’Université Laval. Après tout, les X ont fini par obtenir de bons emplois et même de meilleurs salaires que leurs prédécesseurs. Il leur a simplement fallu plus de temps. »
« Ce retard a aussi eu pour effet de bouleverser les autres jalons de leur vie. Quitter le nid familial après des études universitaires, se marier et avoir des enfants, tout ça a eu lieu plus tard pour les X, mais pour des raisons davantage culturelles qu’économiques », ajoute M. Fleury, qui a aussi signé La génération X au Québec : une génération sacrifiée? en 2006.
« C’est surtout que les X ont voulu prendre le temps de vivre des expériences, dit-il. Cette génération est aussi la première à remettre en question le modèle de travail où on entrait très jeune chez un employeur auquel on demeurait fidèle jusqu’à la retraite. Plusieurs ont occupé différents emplois. Les membres de la génération X seraient ainsi les pionniers d’un nouveau modèle de travail, plus précaire et marqué par le travail à temps partiel, temporaire et à forfait. »
Les femmes enfin émancipées
Parce que les femmes ont été plus nombreuses à intégrer le marché du travail, et donc à améliorer leur qualité de vie, le spécialiste conclue que ce n’est finalement pas toute la génération X qui a été « oubliée ».
« Peut-être est-ce parce que les conditions de vie des femmes étaient encore très mauvaises chez les baby-boomers! », lance-t-il.
« Le discours de la génération X selon lequel “on fait donc pitié” a été tenu principalement par des hommes, poursuit M. Fleury. Ce sont eux qui ont été désavantagés en comparaison avec ceux de la génération précédente. »
Comme les femmes ont intégré le marché du travail à partir de l’époque des baby-boomers, et avec le temps qu’il faut pour mettre en place des réformes sociales, on peut affirmer que celles de la génération X ont pu bénéficier de nombreuses avancées pour faciliter la conciliation travail-famille, dont un réseau de services de garde abordable. La Loi sur l’équité salariale a, pour sa part, été adoptée en 1975, en même temps que la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, garantissant aux femmes un salaire égal pour une tâche identique.
Néanmoins, la charge mentale attribuable aux tâches domestiques demeure majoritairement sur leurs épaules. « Le fait que les deux membres du couple travaillent a permis aux ménages d’améliorer leurs conditions de vie, mais c’est encore sur les femmes que repose la gestion des tâches ménagères, pour la plupart », constate M. Fleury.
« Les femmes ont vu leur temps de travail rémunéré augmenter considérablement, mais l’augmentation du travail domestique chez les hommes n’a pas cru de manière proportionnelle », nuance-t-il.
La retraite? Oui!
Même s’il ne s’est pas concrétisé pour l’ensemble des baby-boomers, le rêve de Liberté 55 et de la société des loisirs continue d’habiter les X.
« Leur arrivée plus tardive sur le marché du travail ne s’est pas traduite par un désir d’y demeurer plus longtemps, bien au contraire », souligne M. Fleury.
« Ce qu’on prévoit, c’est que certains membres de la génération X ayant les moyens nécessaires vont partir à la retraite très tôt, peut-être même avant quelques baby-boomers, explique-t-il. Cette génération veut prendre sa retraite rapidement et éviter de travailler jusqu’à 70 ans. »
Pourquoi? « Parce que les X arrivent au seuil de la retraite à bout de souffle, avance M. Fleury. Le temps de déplacement au travail s’est allongé et les tâches se sont intensifiées. En effet, même si les emplois sont moins physiques qu’auparavant, les exigences psychologiques sont devenues très fortes. Surtout, les X ont le sentiment de ne pas mériter moins que les autres. »
Si certains membres de la génération X pourront partir à la retraite comme ils le souhaitent, d’autres devront attendre. Un texte à lire ici.