
Prisonniers de nos écrans et accrocs à nos technos, nous ressemblons de plus en plus à des junkies, toujours en quête de doses numériques plus fortes. Or, cette dépendance au monde virtuel met en jeu la santé physique et mentale de notre espèce, prévient Boucar Diouf, dans un nouveau livre qui plaide pour une « reconnexion » aux racines du monde naturel… et de notre humanité.
« Chaque fois que les besoins de base d’un individu sont comblés, son cerveau est récompensé par la dopamine, explique l’auteur de Déconnecter, en entrevue avec Virage. Plus il en reçoit, plus il en a besoin pour obtenir les mêmes effets. On appelle ça l’habituation hédonique. »
Et ça, les géants du capitalisme numérique le maîtrisent parfaitement. À leur grand profit… et à nos risques et périls.
« On devient des junkies de la dopamine », met en garde le biologiste, aussi humoriste. Chaque like, chaque jeu sur tablette, chaque achat en un clic déclenche une récompense chimique.
« Et quand je dis “on”, j’inclus tout le monde, car la problématique est planétaire et touche les enfants, mais aussi les adultes », poursuit-il. La preuve : sa grande sœur âgée de plus de 70 ans qui, au Sénégal, ne se lasse jamais de regarder des vidéos de chats… « Elle est toujours là-dedans, même en famille. On lui dit : “eille, c’est parce qu’on est avec toi, là…” »
Des vidéos toujours plus courtes, qui défilent toujours plus vite. « Je les vois dans mes spectacles, les ados qui sortent leur téléphone, poursuit-il en riant. Peut-être que c’est parce que je suis plate, mais quand même ! »
C’est sans compter l’intelligence artificielle qui nous flatte dans le sens du poil en nous offrant de faire les efforts intellectuels à notre place.
Le coût de la gratification
Toutefois, cette gratification immédiate n’est pas gratuite, rappelle l’animateur, qui évoque l’image d’un prédateur dispersant un troupeau pour l’affaiblir. « Il faut être conscient qu’on veut t’isoler du groupe, toi, un animal social, pour avoir une emprise totale. Pour que tu cliques sur un lien et qu’on te vende quelque chose qu’on va te livrer à la maison. »
Plus on clique, plus on reste seul. Plus on est seul, plus on clique. Et pas besoin d’avoir la tête à ChatGPT pour comprendre que ce cercle vicieux ne peut que mener au cul-de-sac. « Les animaux sociaux ont besoin de se sentir, de se parler, de se chicaner, et même de mémérer. Une tablette, ce n’est pas mauvais, mais si on ne fait que se brancher, on délègue notre socialisation aux ordinateurs et au capitalisme numérique. »
Résultat : solitude accrue et anxiété. « Pensons au chien, qui est lui aussi un animal social. Si on ne lui parle pas, il vire crackpot. Pendant la pandémie, tout le monde était collé aux réseaux sociaux et on a vu se développer une épidémie de problèmes de santé mentale. »
Ces risques sont aggravés par les algorithmes. « Qu’est-ce qui marche ? La méchanceté, le racisme et l’intimidation, par exemple, génèrent beaucoup plus de trafic ». Le conspirationnisme aussi… avec toutes les conséquences que ça implique.
Les racines du bien
Est-ce que les jeux sont faits ? Dans son livre, Boucar Diouf se garde de sombrer dans le fatalisme. Sachant pertinemment que la technologie ne fera pas marche arrière (l’IA est là, qu’on le veuille ou non), il plaide pour un usage empreint de plus de sobriété numérique et de discernement.
« Il s’agit d’en être conscient et de se dire de temps en temps : je déconnecte mon cerveau, je prends des pauses », dit-il, saluant l’interdiction récente du cellulaire à l’école.
Dans son essai, il vante aussi les vertus du bain de forêt, expliquant comment la nature apaise notre psyché. Respirer l’air forestier, sentir le bois et les plantes, bouger en plein air : autant de remèdes naturels à nos maux virtuels. « La seule présence dans la nature nous fait du bien », insiste-t-il. Certains parlent même de thérapie par la forêt, aussi appelée sylvothérapie.
On peut donc dire que les racines, au sens propre comme au figuré, peuvent être bénéfiques pour notre santé et nous aider. En ce sens, les grands-parents ont un rôle à jouer en enseignant aux jeunes l’importance de la contemplation et de la patience. « J’ai entendu Gilles Vigneault dire qu’il faut enseigner aux enfants l’art de s’ennuyer. La créativité naît de l’ennui. »
Cette revalorisation des liens intergénérationnels, c’est aussi celle du vécu et du savoir-faire qui se développe au fil des années, et non au fil des vidéos TikTok. « Historiquement, le prestige venait avec l’expérience, exprime Boucar Diouf. Quelqu’un de prestigieux était quelqu’un qui avait vu neiger. »
Peut-être vaut-il mieux inviter les plus jeunes à oublier un peu leurs likes et à passer une heure avec papi ou mamie pour les écouter raconter leurs souvenirs. La récompense pour cette « reconnexion » pourrait être beaucoup plus grande qu’une dose de dopamine.
Déconnecter : pour se rebrancher aux racines de notre humanité, un livre de 175 pages écrit par Boucar Diouf, est publié aux éditions La Presse.
