Vieillir sans enfant

Elles sont 25 % au Québec que l’on n’a jamais appelé maman. Bien que les raisons soient multiples – circonstances de la vie, infertilité ou refus de la maternité – le résultat est le même : ces femmes vont vieillir sans enfant. Solitude face à la maladie, non transmission des valeurs, absence de descendance, les enjeux sont nombreux.

Pas d’appel de la maternité

La langue française n’a pas encore trouvé un mot qui les définirait autrement que par la négative : ce sont des femmes SANS enfant, la norme étant de procréer. Mais pour certaines d’entre elles, l’appel de la maternité ne s’est jamais fait entendre.

Claudine, 57 ans, l’avoue franchement : elle n’aurait eu ni la force, ni l’énergie, ni le goût de s’occuper d’un enfant, préférant travailler, voyager et vivre sans restriction. Elle a toujours dit à ses conjoints : « Si tu veux des enfants, oublie-moi ! ».

Son premier face-à-face avec l’impact de son choix a eu lieu autour de la cinquantaine. « Après Claudine, ça s’arrêtera là, dit-elle. Personne ne pourra dire je suis la fille de, ou ma grand-mère était. Cette absence de lien est un peu triste, je l’avoue. » Triste, mais pas la fin du monde, se reprend Claudine, qui a un conjoint et un bon cercle d’amis. On parlera plutôt de tante Claudine, car elle a une relation privilégiée avec ses nièces et neveux.

Tout comme Ariane, qui a réalisé à 35 ans qu’elle n’aurait pas d’enfant, après quelques visites en clinique de fertilité et une fécondation in vitro n’ayant pas produit le résultat souhaité et même rêvé. Après une période de deuil, et en dépit de quelques pointes de nostalgie çà et là, sa vie fut heureuse, riche et passionnante. Le summum de la liberté pour elle : voyager loin et longtemps sans se préoccuper d’avoir à aider ses enfants ou de devoir garder ses petits-enfants.

Un avenir inquiétant

Aujourd’hui jeune soixantenaire, elle envisage l’avenir avec une certaine inquiétude. « C’est en prenant soin de ma propre mère que je me suis demandée qui prendrait soin de moi, raconte Ariane. Ma mère n’attend que nos appels, notre visite, sa vie tourne autour de ses enfants. Plusieurs de mes amis se relaient auprès de leurs parents malades et ça me renvoie à mon éventuelle vulnérabilité. »

On a beau dire que la transmission des valeurs, la descendance et l’héritage préoccupent les femmes sans enfant, mais la question la plus récurrente et la plus douloureuse aussi est sans contredit celle-ci : qui va s’occuper de moi ? Et ce, même si, en règle générale, ces femmes ne croient pas que cette tâche incombe automatiquement aux enfants.

Selon Catherine-Emmanuelle Delisle, thérapeute en relation d’aide et créatrice du blogue Femme sans enfant (femmesansenfant.com), l’une des grandes craintes chez les femmes sans enfant par circonstances, particulièrement celles qui n’ont pas de conjoint, est de mourir seule.

« Si elles sont isolées et fragilisées par la maladie, elles se demandent qui va être là pour défendre leurs droits, qui va s’assurer qu’elles sont bien traitées à l’hôpital, qui va parler en leur faveur si elles sont atteintes d’Alzheimer. Si elles sont en perte d’autonomie, qui les aidera à gérer les questions logistiques : l’entretien de la maison, la préparation des repas, le paiement des comptes. »

Un réseau social diversifié

Pour éviter d’être dans de mauvais draps, au sens propre comme au sens figuré, Mme Delisle propose de développer un réseau social de soutien composé de personnes de tous les âges. Ariane abonde dans le même sens, avec quelques bémols.

« Les amis avec qui on s’est éclaté et on a voyagé au cours de notre vie seront aussi impactés par la vieillesse. Et je ne sais pas à quel point ma jeune amie Stéphanie, 40 ans, voudra s’occuper de moi. C’est dans le cours normal des choses de prendre soin d’un parent vieillissant, mais donner le bain à une baby-boomer malade qui représentait l’éternelle  jeunesse, c’est pas évident », dit celle qui a déjà eu une conversation à ce sujet avec la principale intéressée.

« Mon avenir me préoccupe aussi, avoue Claudine, tout en constatant que plusieurs parents autour d’elle ont peu ou pas la visite de leurs enfants. Pour moi c’est une évidence : je paierai quelqu’un pour les services dont j’aurai besoin et je pourrai aussi compter sur mon conjoint. »

Concrètement, une partie du réconfort peut arriver du champ gauche. « Une éventualité qui m’encourage, et je ne le dis pas de façon cynique, c’est l’aide médicale à mourir, soutient Ariane. Je crois que d’ici dix ans, ses conditions d’accessibilité seront élargies. Nous les baby-boomers, qui avons contrôlé notre vie, pourrons aussi contrôler notre mort et partir quand on le jugera bon. »

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Des bons côtés

Il ne faudrait pas croire que l’absence d’enfant ne suscite que des inquiétudes. Il semble aussi y avoir des bons côtés à cette situation. Par exemple, rien n’oblige avec l’âge à entretenir des liens familiaux obligatoires et souvent conflictuels, sans compter que l’on s’évite la déception liée aux enfants qui « ne viennent pas nous voir ».

Cette liberté donne aussi plus de temps pour s’occuper de ses parents. C’est le cas de Claudine qui, ironiquement, devient peu à peu la mère de sa mère, actuellement confrontée aux premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer.

L’instinct maternel, autrement

De plus, même en l’absence d’enfant, le désir de transmission est très fort, et peut être une dimension importante de l’instinct maternel, qui peut être comblé autrement. Ariane : « J’aurais aimé aider un enfant à s’accomplir, à se développer, mais je l’ai fait avec mes employés pour qui j’ai été un mentor incroyable, en essayant de comprendre leur potentiel et de les aider à s’orienter. Ce que j’appellerai cet instinct maternel s’est aussi manifesté auprès de mes neveux et nièces et des enfants de mes amis. »

Claudine, de son côté, l’a fait dans l’entreprise familiale. « J’ai le sentiment d’avoir transmis mes valeurs à des employés qui pourraient un jour prendre ma relève. »

Le retour de l’esprit communautaire

Par ailleurs, la vie communautaire, qui a connu ses heures de gloire dans les années 1970, pourrait décliner de nouvelles vertus pour les baby-boomers inquiets de leur avenir, dont les femmes sans enfant. Laurence Charton, socio-démographe et professeure à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), observe le désir de créer des maisons collectives intergénérationnelles.

« Elles pourraient se regrouper dans des maisons auto-gérées par exemple, comme c’est le cas de la Maison des Babayagas, à Montreuil, en France. Le bâtiment compte 21 logements pour femmes de plus 60 ans et quatre pour des jeunes de moins de 30 ans. Cette initiative de maison intergénérationnelle pourrait devenir une réponse à l’isolement. »  

Car vieillir sans enfant, c’est pour plusieurs femmes vieillir avec ses bonnes vieilles amies et affronter cette nouvelle période de la vie avec ses éternelles complices. L’amitié est d’ailleurs souvent plus sereine que les relations familiales, qui parfois se sont érodées avec le temps.

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Pas maman… ni grand-maman

Si ne pas avoir eu d’enfant est un choix personnel, cette entaille dans l’arbre généalogique a aussi des répercussions sur leurs propres parents, qui ne seront pas grands-parents, du moins pas grâce à elles. Pas facile car dans notre société, un groupe d’âge parle de ses enfants et l’autre de ses petits-enfants !

« Autant il y avait une pression de conformisme quand ces femmes n’ont pas eu d’enfant, autant certaines femmes sans enfant par circonstances  peuvent se sentir exclues aujourd’hui en tant que « non grand-mère », explique Catherine-Emmanuelle Delisle. Notre société pro-nataliste les renvoie illico dans un autre schème non reconnu par la société, et elles deviennent celles qui sont sans petit-enfant. »