Un après-midi sur le quai avec Clémence

C’est tellement une grande artiste qu’on sursaute presque en apercevant une toute petite femme descendre en bordure du lac Memphrémagog, le pas alerte dans des espadrilles blanches de collégienne. Et oubliez la fragilité qu’on pourrait accoler à une personne dans sa 80e année de vie. Le temps de la séance de photos, son quai devient scène. Elle pose comme ça lui plaît, entre deux blagues, se permettant même un juron, l’inattendu ayant le don de faire rire. L’entrevue sera à l’avenant : deux heures savoureuses à commenter le va-et-vient des canards et à entendre parler de la vie comme nul autre ne sait le faire.

« Je ne suis pas une humoriste. Je suis quelqu’un qui mêle folie et poésie sur un fond de vérité, la mienne ou celle que je pique à mes proches », résume celle qui se produira en spectacle quelques fois cet automne, dont à Sherbrooke à l’occasion des Jeux FADOQ.

Aujourd’hui, Clémence « écrit toujours dans sa tête », mais se limite dans les faits à une correspondance quotidienne avec son ami René Jacob, qu’elle envoie par télécopieur, pour le plaisir d’écrire à la main. Et il faut bien aussi diminuer la cadence des spectacles. Ce qui laisse l’artiste avec cette grande question : « Par quoi remplace-t-on tout cet amour reçu du public ? Il n’y a pas de partenaire plus riche dans la vie qu’une salle pleine qui rit. »

Rire pour ne pas pleurer

« Le rire est la politesse du désespoir », a écrit le réalisateur Chris Marker. Clémence abonde dans le même sens et se sent privilégiée d’avoir provoqué dans sa carrière des tonnes d’éclats de rire qui ont fait tant de bien, ne serait-ce que le temps de mettre le malheur sur « pause ».

Elle évoque son célèbre monologue La Jaquette en papier, dont le sujet est dramatique un séjour à l’hôpital mais dont elle a réussi à extirper l’aspect comique : « Assis-toi sur ta p’tite chaise de fer, la craque à l’air, pis espère ». Le plus triste et le plus drôle à la fois, c’est que mis à part les jaquettes qui sont aujourd’hui en tissu, le monologue illustre encore parfaitement le sort que nous réserve notre système de santé !

C’était à l’époque des cabarets…

La pétillante Clémence se souvient avec nostalgie de son maître, Jacques Normand, qui lui a donné sa première chance, au cabaret Saint-Germain-des-Prés, en 1957. Il lui a prodigué ce simple conseil : « Punche en rentrant et punche en sortant ! »

Le reste est intimement lié à l’histoire du showbusiness québécois du dernier demi-siècle, Clémence ayant œuvré tour à tour comme comédienne, animatrice, chanteuse, poète, monologuiste, dramaturge, auteure et dessinatrice. Une véritable artiste, quoi !

On a vécu avec elle ses montées de lait féministes, ses amours, sa ménopause, ses spectacles d’adieu à répétition… On l’a aussi vue être honorée et décorée à maintes reprises, autant de façons de contredire sa chanson la plus populaire voulant qu’on aime mieux Mireille Mathieu !

Une artiste au long cours, donc. D’ailleurs, une version abrégée par Danièle Bombardier de la biographie Notre Clémence Damour et dhumour parue il y a quelques années sous la plume de la regrettée Hélène Pedneault, sera en librairie à la mi-septembre (Éditions de l’Homme, 400 pages, 29,95 $).

Une bataille contre le temps

Les 80 ans qui martèleront en novembre l’automne de sa vie ne sont pas une fierté pour Clémence. Au contraire, elle se bat contre le temps qui passe. « Vieillir, je n’y vois pas grand joie », laisse-t-elle tomber, ses magnifiques yeux bleus soudain embrumés de tristesse. Alors, elle tente de garder la forme le plus longtemps possible, notamment en jardinant et en jouant au tennis quatre heures par semaine.

« Notre société investit trop dans des éléphants blancs et ne s’occupe pas assez des êtres humains. Les aînés devraient finir leur vie dans une belle chambre, entourés de fleurs et de gâteries. Mais ce n’est pas toujours ce qui se produit. La solitude de la fin est terrible », déplore Clémence. Si le fait de vieillir la fait grincer des dents, elle se sent choyée de le faire en présence d’êtres chers et de l’amour de sa vie, Louise, son agente et compagne depuis plus de 40 ans.

Folle… et bien plus !

Clémence a déjà mentionné qu’elle souhaitait que les gens disent d’elle, après sa mort : « Eh, qu’elle était folle ! » Impossible ! On retiendra bien plus de cette grande dame…