Tête-à-tête santé avec la ministre McCann

Passionnée de santé depuis toujours et de politique depuis un peu plus d’un an, Danielle McCann, ministre de la Santé et des Services sociaux (MSSS), parle du réseau de la santé comme d’un patient en mal de soins adéquats. Elle tente de traiter cette énorme machine à coup d’investissements massifs et d’un plan axé sur l’accès. Sa promesse : d’ici la fin du premier mandat caquiste, cette réforme aura un impact « spectaculaire ».

« Je ne suis pas dans le blâme, je suis dans les solutions », répétera plusieurs fois cette femme simple et dynamique. « Graduellement » est un autre terme qu’elle emploiera souvent pour inciter les Québécois à prendre leur mal en patience. En effet, il faut plus qu’un claquement de doigts pour remettre sur pied ce réseau plutôt mal en point, bien qu’il accapare 45 % du budget de la province.

Un apprentissage en accéléré

Ex-pdg de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, Danielle McCann a repris du service en politique après quatre années à la retraite. « Les trois premiers mois de vie politique, l’apprentissage était énorme. Je n’avais jamais vécu quelque chose comme ça », se souvient-elle.

Heureusement, elle connaissait déjà le réseau de la santé et des services sociaux sur le bout des doigts. Durant sa carrière de 30 ans comme gestionnaire, cette travailleuse sociale de formation avait vu poindre des solutions, à commencer par la nécessité de mieux prendre soin du personnel. Désormais, elle se trouve aux commandes pour tenter de les mettre en œuvre.

L’accès en trois temps

Elle note que s’il y a déjà eu des réformes des structures dans le système de santé, une réforme de l’accès est du jamais vu. « Les pays qui ont un bon système de santé sont les pays qui ont une première ligne forte, dans les cliniques, les CLSC les GMF [groupes de médecine familiale], les pharmacies, etc. », fait-elle remarquer.

Cette réforme repose sur plusieurs éléments, dont la possibilité pour les infirmières praticiennes spécialisées (IPS), les « superinfirmières », de poser un diagnostic pour les maladies courantes, sans se référer à un médecin, comme ça se fait depuis au moins dix ans en Ontario. Ça pourrait représenter au moins 25 % de gain de temps pour les IPS. Il y en a actuellement 800 à travers la province et il y en aura 2 000 en 2023.

« Cette ouverture du Collège des médecins est une petite révolution au Québec. Elle permettra une grande avancée en matière d’autonomie professionnelle. Et il y en aura d’autres », annonce la ministre, qui vise l’adoption du projet de loi en ce sens au printemps 2020.

Le décloisonnement permettant à certains professionnels de la santé d’effectuer une plus grande variété d’actes médicaux touchera aussi les pharmaciens, un autre projet de loi ayant été déposé à cet effet. « Ailleurs au Canada, ça fait des années que les pharmaciens peuvent, par exemple, vacciner la population. Si les 7 000 pharmaciens québécois répartis dans 2 000 points de service pouvaient vacciner, on pourrait augmenter la couverture vaccinale contre l’influenza qui n’est que de 38 % chez les personnes ayant une maladie chronique, ce qui est inacceptable », dit la députée de Sanguinet.

« L’autre élément, qui est notre objectif numéro 1 en santé et services sociaux, c’est le changement vers un mode de rémunération mixte des médecins de famille, une mesure qui aura un impact majeur sur l’offre de services. On a des tables de travail là-dessus avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, et ça avance. À la fin de notre mandat, nous souhaitons que tous les Québécois qui le désirent aient un médecin de famille et qu’ils puissent voir un médecin ou un membre de son équipe dans les 36 h », rappelle-t-elle.

Pour elle, c’est fondamental que ces choses-là soient faites rapidement. « Ce n’est que du rattrapage, car le Québec est en retard de plusieurs années sur la majorité des provinces canadiennes », souligne-t-elle.

Fini les coupes dans les soins à domicile

Et qu’en est-il des soins à domicile ? La ministre McCann ne pourrait être plus claire : « Il n’y en aura plus de coupes dans les services directs de maintien à domicile. On va plutôt hausser le maintien à domicile. »

Un investissement de 280 M$, annoncé dans le dernier budget, a d’ailleurs été détaillé récemment.

« C’est presque une cause pour moi que les gens restent à domicile avec les bons services. Les hôpitaux aussi devront s’ajuster aux aînés, avec des solutions novatrices. »

Épouse, mère, proche aidante…

En fin d’entrevue, il faut la ramener à l’ordre à plusieurs reprises avant qu’elle ne parle un peu d’elle. De sa complicité avec Angelo, son mari depuis 36 ans. De sa fierté, sa fille Andréa, chercheure en santé publique. De son rôle de proche aidante auprès de sa mère et de sa belle-mère, toutes deux nonagénaires, dont elle se sent privilégiée de prendre soin. De son rêve de devenir grand-mère, un jour. De ses amis, qui sont fondamentaux dans sa vie, et qu’elle se promet de voir davantage durant le temps des fêtes, son agenda de ministre étant autrement débordant d’engagements.

Après cette brève incursion dans sa sphère personnelle, la discussion dévie à nouveau sur un sujet plus naturel pour elle : le réseau de la santé. « J’ai rencontré récemment une infirmière qui a pris sa retraite à 75 ans. Elle était à Info-Santé. Durant sa carrière, elle a aidé des milliers de personnes. C’est beau, hein ! »

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« On a besoin des retraités de la santé »

La pénurie de main-d’œuvre, particulièrement criante dans le secteur de la santé, est un frein à la réforme de l’accès que le gouvernement est à mettre en place. Pour abattre cet obstacle, l’une des cartes dans le jeu de la ministre McCann est de courtiser les retraités de la santé.

« On travaille actuellement à améliorer les conditions de travail dans le réseau, en embauchant du personnel et en faisant de gros investissements. Mais il est clair que le retour au travail des retraités de la santé fait partie de l’équation », fait valoir la ministre de la Santé et des Services sociaux.

« Vous pouvez encore changer les choses car vous savez où sont les solutions. Venez nous enrichir de vos idées, venez le temps que vous souhaitez le faire, venez à temps partiel si vous le préférez, venez nous donner du temps pendant quelques années pour nous aider à remettre notre réseau complètement sur les rails. Ça va encourager nos jeunes, ça va les appuyer », insiste-t-elle, parlant du contexte actuel comme d’une « corvée nationale pour le bien-être de notre population ».

Mais encore faut-il leur offrir des conditions de travail adéquates. « On a pris l’engagement d’éliminer le temps supplémentaire obligatoire dans notre premier mandat. De plus, les établissements font tout ce qu’ils peuvent pour donner des conditions qui conviennent aux retraités qui reprennent du service, dans le cadre des conventions collectives », rappelle-t-elle.

« Une des plus belles choses qu’on peut faire dans notre vie, c’est de travailler à la santé de la population », conclut-elle. D’ailleurs, c’est animée de cette conviction que Mme McCann a elle-même troqué son statut de retraitée contre celui de ministre de la Santé et des Services sociaux.

Photo : Bruno Petrozza – Maquillage : Véronique Prud’homme