Robert Charlebois : extraordinaire

Il a beau clamer qu’il est « un gars ben ordinaire » comme il l’a fait magistralement en s’accompagnant au piano lors du dernier gala de l’ADISQ et comme il le fait plus sobrement, assis sur un tabouret, dans son plus récent spectacle 50 ans – 50 chansons ; rien à faire. À 69 ans, cet homme à la carrière phénoménale, dont les chansons portent encore toute une génération et inspirent les suivantes, n’a pas pris une ride sur le cœur. Il prouve à sa façon que l’authenticité transcende le passage du temps. Entretien avec un artiste extraordinaire : Robert Charlebois.

Ça clique depuis 50 ans !

Celui qui connaît encore aujourd’hui beaucoup de succès ici et en Europe, n’est pas à un exploit près. En effet, oser chanter Fu Man Chu ou Ent’ deux joints quand on approche les 70 ans est un pari risqué même si l’on a le privilège d’arborer encore la chevelure abondante de ses belles années. Mais le vieux rocker le relève soir après soir, sans coup férir.

Son spectacle célébrant ses 50 ans de carrière a la particularité de permettre au public de voter préalablement, sur Internet, pour les 25 chansons qu’il souhaite entendre parmi 50 de ses classiques. Des choix qui s’avèrent plutôt déchirants tant Garou, premier du nom, a à son actif un grand éventail de chansons qui, tout comme lui, n’ont pas vieilli.

« Les ailes d’un ange et Lindbergh font toujours partie de la sélection, mais il y a un certain roulement dans les autres, ce qui donne une énergie différente à chaque spectacle et représente un défi, chaque fois qu’on monte sur scène. » Lancé en octobre, et interrompu le temps d’une tournée en France, 50 ans – 50 chansons sera à l’affiche à deux reprises en décembre, puis un peu partout au Québec à partir du printemps 2014.

Entouré de neuf musiciens, l’auteur-compositeur-interprète éprouve un plaisir évident à chanter J’t’aime comme un fou et Les talons hauts, tout en arborant un improbable chandail des Expos. Toutefois, le registre de la sensibilité permet d’apprécier un Charlebois à maturité, qu’on écoute comme on déguste un bon vin. Et qui parfois tire des larmes.

Hymne à la tournée

Le titre J’veux d’l’amour explique en partie pourquoi le vieux routier a encore envie de monter sur scène. « Le public, c’est plus qu’un actionnaire de la compagnie, c’est le grand patron. Sans ce lien privilégié entre l’artiste et son public, il n’y a pas de carrière possible. »

Et lorsque le public permet d’exercer « le plus beau métier du monde », il donne accès à un autre moteur de plaisir, la tournée. « La tournée est ce qui me plaît le plus au monde. J’adore le changement d’accent quand je passe d’un village à l’autre en France. J’aime aller à Baie-Comeau, faire le tour de la Gaspésie. J’aime bouger et changer de place. J’aime l’énergie d’un orchestre content d’être là et qui a hâte de jouer. Être un chanteur et ne plus aimer faire de la tournée c’est comme être un joueur de hockey et ne plus aimer patiner. »

Je rêve… aux Antilles

Et puis, toujours pour contribuer à son bonheur, il y a cette pause de trois mois qu’il s’offre annuellement dans les Antilles, avec la femme de sa vie, au cours de laquelle il aime prendre du bon temps, construire des ponts et des cabanes, et surtout, écrire des chansons. « Durant cette période, pas de télé. Ça me nettoie et ça me laisse du temps pour lire 15 à 20 romans. »

Là-bas, il pratique la pêche en haute mer, la pêche au gros, comme il dit. Gros en effet, puisque les marlins avec lesquels il se bat font plus de 200 kilos. « Pour moi, cette sensation bat celle de la voile, que j’adore aussi. D’ailleurs, je participerai en juillet prochain à un grand championnat de voile, avec des équipiers italiens. »

Chaque âge a son charme, mais…

Avoir au bout de sa lorgnette le chiffre 70 n’effraie pas vraiment ce « penseur original, anarchique et libertaire ». Conscient de sa chance d’avoir été épargné jusqu’ici par la maladie, il croit que chacun est dans une certaine mesure responsable de sa qualité de vie.

« Je suis moi-même un ex-fumeur. Mais quand je vois encore aujourd’hui des gens fumer trois paquets de cigarettes par jour ou se nourrir n’importe comment, ça me choque. Je n’ai pas envie de payer pour l’insouciance de ces gens-là.»

Retraite, bats en retraite !

La retraite ? Pas question ! « J’ai vu trop de gens se mettre un pied dans la tombe en prenant leur retraite, parce qu’ils se sont retrouvés sans but dans la vie et sans rôle dans la société. Pour moi, bâtir et avancer, c’est ça le bonheur. C’est comme ça que je veux vivre et vieillir. »

Prévoit-il cesser un jour de faire des spectacles ? « J’ai déjà dit que j’arrêterais de chanter non pas lorsque je n’aurais plus de voix mais lorsque je n’aurais plus de cheveux ! » Un éventuel spectacle d’adieu n’est donc pas pour demain…

Photos : Sylvain Dumais