Vous voilà en 2024. Cette année, vous voulez manger mieux, bouger plus, arrêter de fumer, améliorer vos relations interpersonnelles… ? Pour tenir vos résolutions du Nouvel An, oubliez la carotte et le bâton. C’est plutôt le plaisir et la quête de sens qui vous mèneront à des changements durables, explique Jacques Forest, psychologue, professeur à l’UQAM et coauteur du livre Libérer la motivation.
Virage : La prise de résolutions est une tradition bien ancrée dans notre société. Selon vous, est-ce un bon moyen d’entamer un processus de changement ?
Jacques Forest : Le début de l’année, c’est souvent un prétexte favorable au questionnement. Il y a un courant social qui se crée autour de cette date pour faire le point et repartir à neuf. Si vous souhaitez tirer profit de ce momentum pour changer certains comportements, super, bonne initiative, allez-y. Néanmoins, le problème que je vois avec les résolutions du Nouvel An, c’est qu’on peut penser qu’il n’y a qu’à ce moment-là de l’année que l’on peut changer. Moi, je préfère avoir une vision qui englobe l’ensemble de l’année. Pourquoi les résolutions ne seraient-elles pas prises le 7 février ou le 14 avril ? Dans le fond, ce n’est pas le moment qui compte. Les principes motivationnels sont toujours vrais. On peut devenir une meilleure personne à tout moment.
Et peu importe la date à laquelle on entame un changement, il est important de réévaluer notre choix et d’ajuster notre démarche, si nécessaire, voire de changer à nouveau, au courant de l’année.
Virage : Il est facile de prendre des résolutions du Nouvel An. Les maintenir, c’est une autre histoire. Forcément, les aléas de la vie feront en sorte que ce ne sera pas toujours simple de conserver les nouvelles habitudes. Comment faire pour entretenir ma motivation au fil des mois ?
J. F. : Il faut bien faire la distinction entre le quoi et le pourquoi. Le quoi n’est pas important. C’est le pourquoi qui est important. Lorsqu’on s’intéresse à la motivation, on se rend compte que les changements comportementaux sont beaucoup plus stables et durables s’ils sont issus du plaisir et du sens que s’ils sont motivés par des récompenses ou des pressions, qu’elles soient internes ou externes.
Essentiellement, si je me dis que je veux me mettre en forme parce que j’ai trouvé une activité qui va me faire plaisir ou que c’est important pour moi de passer du temps avec les gens que j’aime, j’ai plus de chances de réussir que si je me dis que je vais le faire pour me prouver que je suis capable ou parce que l’être cher me force à le faire. Essayer de changer pour faire plaisir aux autres ou se faire accepter a moins de chances de succès. Et s’il y a du succès, il risque d’être de courte durée.
Essentiellement, la qualité de notre pourquoi joue en notre faveur ou en notre défaveur.
Ce qui augmente aussi la qualité des motivations, c’est la satisfaction de certains besoins qui sont innés et universels. Les humains ont besoin de plusieurs vitamines psychologiques, mais les trois plus importantes sont l’autonomie, la compétence et l’appartenance sociale.
L’autonomie, c’est de procéder de manière authentique et autodéterminée. Par exemple, c’est pouvoir dire ce que je pense – exprimer mes idées et mes opinions – et avoir l’impression que je peux être moi-même, endosser mes choix en accord avec mes valeurs et agir en ligne directe avec ce que je veux faire plus tard.
La compétence, c’est la capacité d’agir et de progresser à l’intérieur de certaines règles et limites, comme ma santé ou ma capacité physique.
L’appartenance sociale, c’est d’avoir des gens dans mon entourage qui prennent soin de moi et dont je prends soin.
Est-ce que je suis moi-même ? Est-ce que je me développe ? Est-ce que j’ai des amis ? Bien des choses deviennent plus simples pour les gens lorsqu’ils prennent conscience de ces trois besoins. C’est comme l’Étoile du Nord qui guide leurs actions.
Donc, pour tenir ses bonnes résolutions du Nouvel An, ou tout autre processus de changements comportementaux, la qualité des motivations est importante. Mais ce n’est pas tout.
Virage : À part des motivations de qualité, de quoi ai-je besoin pour réussir mes changements d’habitudes ?
J. F. : Il faut aussi élaborer ce qu’on appelle des « stratégies d’implantation ». Par exemple, si je veux commencer à m’entraîner, il faut que je pense aux méthodes concrètes que je mettrai en application pour m’aider à changer mes habitudes. Je vais donc mettre une alarme pour me lever plus tôt le matin, et ce, peu importe la météo qui est prévue. La veille, je vais mettre mes chaussures à côté de ma porte et mes vêtements de sport à côté de mon lit. Ainsi, je peux ancrer le changement dans ma routine.
C’est donc la combinaison des stratégies d’implantation et des motivations de qualité qui vont propulser mes changements comportementaux.
Je peux vous donner un exemple personnel. J’aime beaucoup le vélo et j’aime le ski de fond. Mais l’automne et le printemps, je ne peux pas vraiment pédaler et il n’y a pas de neige. Alors, j’ai commencé à courir. Mais je déteste courir ! (Rires) Les premiers temps, je ne trouvais pas ça le fun. Pour rendre ça plus agréable, je me suis acheté des écouteurs pour pouvoir entendre de la musique en courant et j’ai conçu un parcours qui me plaît. J’ai aussi élaboré une stratégie d’implantation. Par exemple, quand j’ai la course à mon agenda, j’imagine que mon bureau est en feu et je le quitte comme s’il y avait une alarme d’incendie. En 2023, j’ai couru 220 km. Maintenant, si je n’y vais pas, je sens qu’il me manque cette dose d’oxygène.
J’ai donc réussi à intégrer cette activité à ma routine parce que j’y ai trouvé du plaisir et du sens. En l’absence de ces deux éléments, le changement est difficile. Par exemple, une amie m’a dit un jour qu’elle voulait courir 10 km en moins d’une heure. Je lui ai répondu : « Je te suis ». Honnêtement, je voulais me prouver que j’étais capable de le faire moi aussi. Résultat : c’est le 10 km que j’ai le plus détesté. Pourquoi ? Parce que je le faisais pour une raison qui venait de l’extérieur.
Virage : Lorsqu’on prend des résolutions du Nouvel An, on souhaite atteindre un objectif. Par exemple, vivre sans fumer. Conséquemment, on souhaite aussi, sinon plus, éviter la rechute. Selon vous, la peur de l’échec est-elle une source de motivation efficace ?
J. F. : D’un point de vue technique, je vois la peur de l’échec comme étant la peur du jugement. Ce qui est effrayant, c’est le regard des autres. Je veux éviter qu’on me voie échouer lorsque les efforts investis ne mènent pas au résultat escompté. Comme c’est extrinsèque, ce n’est pas une motivation de qualité. En ce sens, cette crainte peut jouer en notre défaveur.
En même temps, il est impossible de vivre une vie sans échec. Nos réactions à ces revers peuvent être saines ou malsaines. La peur absolue de l’échec, qui fait qu’on va tout faire pour essayer d’éviter de se planter, selon moi, ça joue en notre défaveur. C’est comme se dire : « Ne pense pas à un ours polaire, ne pense pas à un ours polaire… » La première chose qui va nous venir en tête ? Un ours polaire. Ainsi, l’échec devient le couperet qui tombe. Dans cet état d’esprit, l’estime de soi s’effondre. Ça, c’est une réaction malsaine.
Une réaction saine, c’est se dire que ça fait partie de la vie et qu’on peut apprendre de ça. Le fait de se désengager rapidement d’un échec pour se réengager dans l’action, ça, ça va être un prédicteur du maintien du changement comportemental. Si je suis dans un état d’esprit de croissance, je vais pouvoir progresser.
Jacques Forest, professeur au département d’organisation et ressources humaines de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, présentera la conférence Être motivé et le rester le 24 janvier, à 18 h, à l’amphithéâtre du pavillon Sherbrooke de l’UQAM.