Oserez-vous l’hypnose?

L’hypnose occupe une place grandissante dans la culture populaire, notamment en raison de son utilisation sur scène. Bien que divertissantes et légitimes, ces prestations contribuent néanmoins à renforcer certaines incompréhensions, inquiétudes et fausses idées qui limitent la progression d’une technique qui a pourtant le potentiel d’offrir de nombreux bienfaits pour le corps et l’esprit.

Des mythes tenaces

L’hypnose est utilisée de manière thérapeutique depuis des lustres, mais elle demeure encore méconnue de nos jours. L’un des mythes les plus tenaces : la personne hypnotisée sera sous le contrôle de celle qui l’hypnotise, qui pourra alors en profiter pour lui faire dire, croire ou agir comme bon lui semble.

« On ne pourra jamais imposer à quelqu’un de faire quelque chose contre son gré, assure le Dr David Ogez, psychologue, chercheur et président de la Société Québécoise d’Hypnose (SQH). Les gens restent toujours en contrôle. »

Autre crainte : de rester « piégé » dans l’hypnose et de ne pas pouvoir « en sortir » quand on le souhaite. « Vous avez toujours conscience que vous êtes dans le bureau du thérapeute, poursuit le spécialiste. Si une personne entre en trombe dans la salle, vous sortirez de transe et serez de nouveau “présent”. Il y a toujours un niveau d’alerte. »

En raison de ces fausses perceptions, beaucoup de gens rejettent d’emblée une avenue qui pourrait pourtant leur procurer des bénéfices. « On a donc vraiment un intérêt à démystifier l’hypnose », soutient le Dr Ogez.

L’hypnose, un « phénomène naturel »

Le processus peut varier selon les différentes approches, mais en bref, il s’agit de guider le sujet vers un état de conscience modifiée (ÉCM), c’est-à-dire quelque part entre le sommeil et la pleine conscience.

Cela n’a rien de mystique ni d’ésotérique, mais repose plutôt sur un phénomène naturel, explique le Dr Ogez : « Il nous arrive tous de partir vers un ÉCM, dans un état de rêverie. » Par exemple, en auto, lorsque notre corps conduit normalement, mais que notre esprit semble ailleurs, ou lorsqu’on admire les flammes dansantes d’un feu de camp.

Concrètement, la séance d’hypnose commence par une induction hypnotique, soit le processus menant vers un ÉCM. Cela peut se faire à travers des techniques de relaxation, de visualisation ou de concentration. Dans cet état de transe, « l’attention est concentrée tandis que la conscience périphérique est réduite », comme l’explique l’Association américaine de psychologie (APA). La personne, ainsi dépourvue de sa rationalité habituelle, devient alors plus ouverte aux suggestions.

« Une fois que la personne est dans un état d’absorption à la limite de l’endormissement, on va commencer à faire des suggestions pour l’envoyer dans un imaginaire qui lui convient », explique le Dr Ogez. Prenons l’exemple d’une personne qui souffre d’aérophobie. « Dans son imaginaire, on peut lui faire faire un voyage en avion. Comme elle est dans un état de relaxation, son corps n’est pas en train de vivre une émotion négative liée au vol. »

Bien qu’on puisse sembler passif sous hypnose, on éprouve des sensations et des émotions, on voit des images, on revit des souvenirs. On peut même parler. « Ça permet de perméabiliser la frontière entre le conscient et l’inconscient, explique Sylvain Lefebvre, directeur général de l’École d’hypnose thérapeutique et médicale (EHTM). Ça donne accès à des zones qui sont en nous, mais qu’on ignore. »

La personne qui hypnotise utilise ce bagage intérieur pour nous guider vers certaines modifications sur le plan de la cognition, des perceptions et des comportements, et ce, en fonction des objectifs établis au préalable.

À la fin de la séance (environ 45 minutes), on nous mène vers un retour à l’état de conscience ordinaire.

À quoi sert l’hypnose?

L’idée, c’est d’utiliser ses pensées afin de gérer la détresse émotionnelle, de soulager des symptômes physiques désagréables ou pour aider à changer certains comportements. Le champ des applications est vaste, allant de l’insomnie au stress post-traumatique, en passant par le manque de confiance, les manifestions de l’anxiété, les dépendances, l’éjaculation précoce, la dépression, l’épuisement professionnel, les symptômes du syndrome du côlon irritable, etc.

« Il y a aussi une grande utilisation de l’hypnose dans la gestion de la douleur procédurale; un peu moins au Québec, mais en France et en Belgique, c’est très, très utilisé, fait valoir le Dr Ogez, qui est aussi professeur au Département d’anesthésiologie et de médecine de la douleur de l’Université de Montréal. L’hypnose permet aux médecins qui l’utilisent de diminuer la pharmacologie et de donner des produits sédatifs moins importants. »

Dans le cas de la douleur chronique, il est aussi courant d’enseigner des techniques d’autohypnose.  

Est-ce que ça fonctionne?

L’hypnose n’est pas une panacée, mais plus elle est étudiée, plus les preuves scientifiques de son efficacité s’accumulent. Dans les dernières années, des recherches rigoureuses ont suggéré entre autres bienfaits que cette technique permet de réduire les bouffées de chaleur à la ménopause, d’atténuer les troubles du sommeil et d’améliorer la gestion du stress. D’autres études récentes ont indiqué le fort potentiel de l’hypnose pour soulager l’anxiété et les symptômes de la dépression, surtout lorsqu’elle est conjuguée à d’autres traitements, comme la psychothérapie.

En 2020, une méta-analyse de 42 études contrôlées sur l’utilisation de l’hypnose pour soulager la douleur indiquait que les personnes hypnotisées ressentaient 73 % moins de douleur que les participantes et participants témoins.

« Des recherches en neurosciences effectuées ici, à Montréal, ont montré avec des tests d’imagerie par résonance magnétique que le cerveau réagit quand on fait des suggestions de diminution de douleur », ajoute le Dr Ogez.

L’hypnotisabilité

Est-ce que tout le monde est hypnotisable? Presque, répond le Dr Ogez, mais à divers degrés. Selon lui, de 15 à 20 % de la population aurait un degré élevé d’hypnotisabilité, soit l’aptitude d’entrer en état de transe. Les gens ayant un degré faible se recenseraient dans la même proportion, tandis que les autres se situent quelque part entre les deux. Le spécialiste précise qu’il n’y a pas du tout de restrictions liées à l’âge, ajoutant que des personnes de plus de 80 ans font de l’hypnose avec lui à sa clinique de douleur. Cependant, certains troubles cognitifs ou du langage peuvent rendre le processus beaucoup plus difficile, voire impossible.

Qui peut hypnotiser?

Une simple recherche sur le Web permet de constater l’ampleur de l’offre en matière d’hypnothérapie. Comment s’y retrouver? « L’hypnose, c’est une approche complémentaire aux approches classiques », fait valoir le Dr Ogez. Il insiste donc sur ce point : il vaut mieux consulter une personne professionnelle associée à un ordre, formée à l’utilisation de l’hypnose, et qui travaille dans les limites de son expertise professionnelle.

 « Il y a beaucoup de gens qui s’affichent en tant qu’hypnologues ou hypnothérapeutes, mais qui ne sont pas des professionnels de la santé. Si vous ne cherchez que du coaching ou de la préparation sportive, ça peut être correct, parce qu’il n’y a pas d’aspect psychothérapeutique. Mais si vous avez envie de traiter un problème d’anxiété ou de traumatisme, par exemple, vous allez voir un psychologue. »

Le site Internet de la SQH présente d’ailleurs une liste de dentistes, médecins et psychologues formés pour utiliser l’hypnose dans le cadre de leur discipline. Il est aussi possible de choisir l’hypnose comme critère de recherche dans le répertoire Web de l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ).

Néanmoins, rien n’empêche des personnes qui exercent en naturopathie ou en médecine alternative d’offrir des services d’hypnothérapie. Sylvain Lefebvre n’y voit pas de problème, bien au contraire, si les praticiennes et praticiens ont été adéquatement formés. 

« L’hypnothérapeute possède une structure et des connaissances thérapeutiques et, en même temps, des connaissances et des compétences hypnotiques. Il va amalgamer les deux pour en faire une approche qui est unique », affirme l’infirmier clinicien à la retraite. Il ajoute qu’il n’est pas rare qu’un hypnothérapeute travaille en collaboration avec une ou un professionnel de la santé.

Dans une entente signée en 2015, l’OPQ a convenu que l’hypnothérapie peut être pratiquée et offerte au public par quelqu’un qui n’est pas psychothérapeute. Le document identifie six problématiques de santé mentale pour lesquels la praticienne ou le praticien en hypnose pour offrir ses services, soit la gestion de la douleur, l’insomnie, la dépendance et les habitudes de vie, les phobies, l’anxiété, la dépression ainsi que l’épuisement professionnel.

Dans tous les cas, toujours selon cette entente, l’hypnothérapeute non-psychothérapeute « ne peut traiter ou guérir de telles problématiques ni le prétendre ou le laisser entendre. » Il ne peut non plus vous recommander d’abandonner d’autres traitements médicaux. En revanche, il doit viser à donner à ses clients des « outils pour mieux composer avec les symptômes ou manifestations d’un problème ou d’une maladie », et ce, en tenant compte de leur vulnérabilité. Dans les cas complexes, il doit s’assurer de référer sa clientèle vers des services professionnels reconnus.

Se renseigner

Il est difficile d’apprécier en amont le niveau de compétence d’une ou d’un hypnothérapeute, mais avant de prendre rendez-vous, M. Lefebvre suggère de valider un certain nombre d’informations, dont le nom de l’école de laquelle la personne est diplômée et le nombre d’heures de formation qu’elle a reçues (minimalement 1200 heures, selon lui). Il faut aussi s’assurer qu’elle soit membre d’une association, comme l’Association nationale des naturopathes (ANN) ou le Regroupement des intervenants et thérapeutes en médecine alternative et complémentaire (RITMA). Il suggère aussi de poser des questions sur le déroulement de la séance ainsi que sur son approche thérapeutique et hypnotique. « Si elle ne peut pas répondre sur qui elle s’appuie ou sur son approche, des lumières rouges doivent s’allumer », conclut M. Lefebvre.