Ni ravalée ni hurlée : quand la colère est une alliée

La colère mal exprimée peut nous consumer et nuire à nos relations personnelles et professionnelles. Mais la colère est une alliée lorsqu’elle mène à une meilleure affirmation de soi. Dans son nouveau livre Apprivoiser sa colère (Éditions Eyrolles), la psychologue Sylvie Rousseau propose des clés pour apprendre à la connaître, mais aussi à gérer ses manifestations, à l’accepter et à l’exprimer sereinement.

Virage : Qu’elle soit soudaine, débordante, explosive ou intériorisée, la colère est une émotion puissante et saisissante. Elle a toutefois une mauvaise réputation. Comment peut-elle devenir une alliée ?

Sylvie Rousseau : Une émotion, ce n’est ni bon ni mal, ni positif ni négatif. C’est un message à transmettre. Comme toutes les émotions, la colère a quelque chose à dire. Elle sonne une alarme et m’invite à aller voir à l’intérieur de moi pour savoir si mes besoins ont été ignorés ou si mes droits, mes valeurs ou mes limites ont été transgressés.

Est-ce que mes objectifs ont été contrecarrés ? Est-ce que mon intégrité physique ou psychologique, ou celle de mes proches, a été compromise? La colère me permet de me poser ces questions.

Virage : Vous expliquez dans votre livre que la colère peut faire beaucoup de mal à la vie sociale, conjugale et professionnelle. À quel moment cesse-t-elle d’être une alliée et devient un adversaire?

S. R. : Pour que la colère devienne une alliée, il faut d’abord la reconnaitre. Pour ce faire, le corps envoie plusieurs signaux et avertissements. Par exemple, le cœur bat plus vite, la respiration est plus rapide, la mâchoire est crispée, les poings se serrent.

Lorsqu’on ne reconnait pas ses signaux, ou bien qu’on les refoule sans cesse, la colère va devenir un problème. Cela peut être causé par la façon dont on a été éduqué ou par des difficultés antérieures à faire face à la colère de certaines personnes, par exemple.

Ce que je vois souvent, c’est que les personnes qui ravalent leur colère finissent par exploser. Ces explosions peuvent survenir à la suite d’une petite affaire qui fait déborder le vase. Puis, la personne se dit : « Non, ce n’est pas beau, je ne veux pas être une personne si colérique que ça ». Et elle se remet à refouler. On peut remarquer chez certaines personnes des cycles de colères refoulées suivies de colères explosives. Dans ces cas, la colère devient nuisible puisqu’elle ne joue pas bien son rôle qui est de transmettre une information importante.

À l’inverse, il y a les personnes qui ne ravalent pas leur colère, mais qui s’enflamment, qui explosent à tout bout de champ et qui attaquent les autres avec des paroles blessantes. Là on a affaire à une colère dévastatrice et nuisible, autant pour la personne elle-même que pour les personnes qui l’entourent. C’est l’image de la bouteille de Coca-Cola. Si je la brasse vigoureusement et que j’ouvre le bouchon, ça va faire tout un dégât, éclaboussant les gens autour. Je ne pourrai pas remettre le liquide dans la bouteille. Quelqu’un qui explose a beau dire : « Excuse-moi, mes paroles ont dépassé ma pensée », les mots ont quand même été prononcés.

Virage : Des lecteurs et lectrices se reconnaitront dans ce que vous venez de dire. Ces personnes devront entreprendre quel genre de cheminement pour apprivoiser leur colère?

S. R. : Le cheminement commence par un travail d’introspection. Quelle est ma relation avec ma colère? Il faut en identifier les déclencheurs. Quelles sont les zones dans lesquelles je risque de m’enflammer? Qu’est-ce qui fait que moi, je m’emporte à ce point? Qu’est-ce qui met le feu aux poudres?

Il est aussi important d’identifier ce que je fais pour entretenir cette colère-là. Je remarque souvent cela chez les gens qui me consultent. Ils entretiennent et amplifient leur colère avec leur discours intérieur, en se répétant des phrases comme celles-ci : « Je n’accepterai jamais des affaires de même » ou « Cette personne fait exprès, si elle me cherche, elle va me trouver ». Au départ, leur colère était maitrisée, peut-être à 3 ou 4 sur 10, mais elle augmente à force de mettre de l’huile sur le feu. Cela mène à un risque de débordement.

Comme n’importe quel processus de changement, ce travail d’introspection n’est pas miraculeux, mais petit à petit, il me permet de me responsabiliser face à mes émotions.

Virage : Donc pour apprivoiser sa colère, il faut accepter qu’on en soit responsable?

S. R. : Ce n’est pas la colère le problème, c’est la façon que je l’exprime ou que je la garde enfouie en moi. Est-ce que je me donne le droit de dire tout ce qui me passe par la tête sous prétexte que, par exemple : « C’est comme ça dans ma famille, on n’a pas de filtre »? Sur les réseaux sociaux, ce genre de propos « sans filtre » est courant : « Moi, je dis ma façon de penser, c’est à prendre ou à laisser ». On éclabousse à large échelle.

Je ne peux pas cautionner ça. Je peux être dérangé, heurté ou blessé, mais la colère ne devrait jamais être un prétexte pour faire mal à quelqu’un. Il y a une façon de le dire à l’autre pour que mon message soit entendu. Je le fais d’une façon calme et ferme, mais je ne lance pas des insultes. Ça se peut que l’autre soit dérangé par ma colère, mais mon intention ce n’est pas de faire peur ou mal à l’autre.

Avant l’explosion, il y a des indices qui nous disent qu’un débordement est possible, même si c’est juste une fraction de seconde plus tôt. Pour reprendre la métaphore de la boisson gazeuse,  il faut attendre que nos petites bulles se calment avant d’ouvrir la bouteille. Avant de parler, on va prendre des mesures concrètes pour calmer notre corps et on va voir ce que notre tête est en train de nous raconter.

Virage : Dans votre livre, vous proposez un coffre à outils pour mieux gérer les manifestations de la colère. Pouvez-vous nous en donner un aperçu?

S. R. : Souvent, lorsqu’on est fâché, on l’exprime avec le corps. Par exemple, je marche de long en large dans la pièce en gesticulant. Une façon de jouer un tour à ma colère, c’est de m’asseoir en mettant mes mains sur mes cuisses, paumes vers le haut. Cette position va à l’encontre de ce que je fais habituellement quand je suis fâché. Essayez-le, vous allez voir : c’est surprenant! Je peux aussi passer de l’eau froide sur mes mains, mes avant-bras, même au visage. Le but, c’est de me saisir.

Il y a aussi la technique du time-out. Si je suis sur le point d’exploser, je vais dire à l’autre personne : « Écoute, j’aime mieux qu’on arrête. On va se reprendre plus tard ». Je vais poursuivre la discussion, ce n’est pas une fuite, mais je vais aller me calmer avant. Je peux faire des exercices de détente, de relaxation, de respiration. Je peux aller marcher. Je dois apaiser le corps au moins 20 minutes. Attention : pour que ça fonctionne, je ne dois pas continuer de ressasser ça pendant la pause! Une fois plus calme, je peux identifier le déclencheur et ensuite revenir auprès de l’autre en nommant des besoins, en nommant des valeurs.

Photo : Mohamed_Hassan/Pixabay