Marcher dans l’insécurité

Chaque année, une soixantaine de piétons meurent après avoir été percutés par un conducteur de véhicule. Et les aînés sont surreprésentés dans ce bilan. Explications et pistes de solution.

« Personne ne devrait mourir en allant à pied au dépanneur pour acheter du lait », lance Élaine Fournelle, conseillère chez Piétons Québec.

Or, les drames se succèdent sur les chaussées de la province.

Juin 2022: une octogénaire est frappée devant un hôpital à Québec. Novembre 2022: une femme de 66 ans est heurtée sur un trottoir à Granby. Décembre 2022: une sexagénaire est happée en traversant un boulevard de Laval. Janvier 2023: un homme de 76 ans est fauché dans un stationnement de la couronne nord de Montréal.

Quatre accidents. Quatre morts.

« Les personnes de 65 ans et plus constituent près de la moitié des décès chez les piétons [au Québec], déplore Mme Fournelle. C’est énorme par rapport à leur poids démographique. »

Ce constat est inquiétant, selon elle, alors que la population vieillit et que le nombre de voitures sur les routes augmente.

Causes multiples

Le problème, c’est que les aînés sont particulièrement à risque de collision.

Selon les données compilées par Piétons Québec, 45 aînés sont victimes chaque mois d’une collision alors qu’ils marchent. Les séquelles sont généralement plus lourdes chez les gens plus âgés, et le risque de mourir, plus élevé.

« Traverser la rue est plus compliqué qu’il n’y paraît. Il faut non seulement être capable de bien voir les voitures, de les entendre, mais aussi d’évaluer sa vitesse de marche », explique Marie-Soleil Cloutier, professeure et directrice du Laboratoire piétons et espace urbain de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Or, plusieurs aînés ont des problèmes de vision ou d’audition, ou vivent avec des troubles cognitifs, ce qui complexifie cette analyse.

Par peur de chuter, plusieurs gardent les yeux rivés sur la chaussée et ne voient pas les voitures ou le décompte du feu piéton, a-t-elle aussi observé dans ses recherches sur le terrain. Plusieurs surestiment également leur vitesse de croisière et leur capacité à accélérer. « Il faut créer des environnements qui pardonnent, souligne Marie-Soleil Cloutier. Les villes ne doivent pas être pensées uniquement pour ceux qui vont vite, mais pour tout le monde. C’est une question d’équité entre les générations. »

Marcher fait partie des ingrédients pour vieillir en santé, ajoute Élaine Fournelle. Or, quand les lieux ne sont pas favorables aux piétons, cela peut aussi créer de l’isolement chez certains qui n’oseront pas sortir.

Avancer lentement… mais sûrement

Récemment, des organismes comme Piétons Québec, CAA-Québec, Vivre en ville et le Réseau FADOQ ont créé une coalition pour réclamer l’adoption d’une stratégie provinciale de sécurité routière. Ils exigent que le gouvernement tienne compte des usagers les plus vulnérables de la route lorsqu’il élabore des projets d’infrastructures routières.

 Si les choses avancent lentement, c’est que le Québec a été construit dans un mode du tout à l’auto, constate Élaine Fournelle. « Nous sommes encore captifs de cela. On sent toutefois un intérêt de la part des élus et des municipalités quant à ces enjeux. »

Par exemple, Saint-Lambert a revu son noyau villageois à l’échelle des marcheurs. D’autres, comme Laval, Québec et Drummondville, révisent leur plan de déplacements actifs, renchérit Marie-Soleil Cloutier. « De plus en plus de municipalités profitent aussi de travaux de réfection des rues pour […] repenser leurs aménagements en fonction des piétons. »

Faciliter la mobilité

Augmentation du temps alloué aux traversées, ajout de feux piétons, installation de saillies de trottoirs, création de passages pour piétons ou de traverses surélevées : il existe différents moyens de ralentir le flot des voitures et de rendre les déplacements plus sécuritaires, précise aussi Élaine Fournelle.

L’aménagement d’îlots refuges — idéalement ombragés — au centre des rues à voies multiples permet aussi aux aînés de prendre une pause pendant qu’ils traversent la rue. Ajouter du mobilier urbain pour se reposer ainsi que déglacer les trottoirs et les rues peuvent également contribuer à favoriser la mobilité des aînés.

Même si cela ne remplace pas l’aménagement de rues sécuritaires, la technologie peut aussi donner un coup de main aux piétons plus âgés, ajoute Marie-Soleil Cloutier. « À Singapour, par exemple, les aînés sont munis de cartes électroniques qu’ils utilisent pour actionner les feux de circulation. Quand ils sont plus âgés, le temps pour traverser est plus long. »

En France, des bracelets connectés aux feux de circulation, qui vibrent pour prévenir les aînés qu’ils n’auront pas le temps de traverser, sont actuellement testés. Même si ces changements relèvent du politique, les citoyens peuvent tout de même influencer le cours des choses, pense Élaine Fournelle.

« Les aînés qui sont favorables à la marche peuvent demander de meilleurs aménagements à leurs élus. Vous pouvez porter le flambeau non seulement pour vous, mais aussi pour les générations futures. » Ces collisions sont évitables, d’autant plus que plusieurs solutions permettent d’améliorer la sécurité des piétons, insiste-t-elle. D’où l’importance de mettre ces revendications de l’avant. « Il ne faut pas accepter ces accidents comme une fatalité. »