Madeleine Sévigny Lanthier : octogénaire et championne du monde

À l’adolescence, Madeleine Sévigny Lanthier nageait si bien qu’elle pouvait se permettre de rêver aux Jeux olympiques. La vie en a décidé autrement. Soixante ans plus tard, la voilà de retour sur la scène internationale… où elle rafle tout l’or sur son passage. Rencontre avec l’une des nageuses octogénaires les plus rapides du monde.

Parfois deux, souvent trois fois par semaine, Madeleine se lève au petit matin, prend son maillot, son bonnet de bain, ses lunettes de natation, et part s’entraîner au Complexe aquatique de Mont-Tremblant.

« J’aime nager, j’aime être dans l’eau », dit simplement celle qui a participé à trois des quatre derniers championnats du monde des maîtres-nageurs de la Fédération internationale de natation (FINA).

C’est justement près du bassin où elle perfectionne sa technique — et où elle a redécouvert le plaisir de nager après une trêve de plusieurs décennies — que nous la rencontrons, attablée avec son époux. « Elle est une sportive dans l’âme, fait valoir André Lanthier. Je suis aussi fier qu’elle, peut-être même un peu plus… »

Rayonner parmi l’élite

Il y a certainement de quoi l’être. Depuis quelques années, la femme de sa vie rayonne parmi l’élite mondiale des maîtres-nageuses. En 2023 et 2024, Madeleine a remporté un total de neuf médailles d’or sur la scène internationale, dans la catégorie des 80 – 84 ans. Combien de records canadiens détient-elle? Une quinzaine, une vingtaine peut-être… elle ne le sait pas précisément, avoue-t-elle bien humblement.

« Je ne suis pas de nature compétitive », poursuit la grand-maman de quatre petits-enfants. Enfin, pas dans le sens de dire « je vais te battre, je vais t’écraser ». Mais elle concède qu’il y a une satisfaction de se mesurer aux autres. « Si j’arrive 2e ou 3e, ce n’est pas grave. C’est sûr que c’est correct si je gagne, mais je vais être fière si je fais un bon temps. »

À Doha, Madeleine Sévigny Lanthier a remporté cinq médailles d’or. Photo : Stéphanie Deschamps

« Ça me replonge dans mes souvenirs »

Lorsqu’elle parle de sa passion pour la natation, Madeleine aborde peu ses prouesses sportives, mais s’étend sur la camaraderie, les liens tissés avec les autres membres de l’équipe, le placotage pendant les entraînements… Le sport pour le sport, non merci. Comme le dit son mari, elle a besoin « de rencontrer du monde, de vivre une vie d’équipe ».

« Seule, je ne pense pas que je nagerais, avoue Madeleine. C’est tellement plus agréable en groupe. On organise toujours des soupers pendant les compétitions. C’est comme un retour à l’enfance. Ça me replonge dans mes souvenirs. »

Elle avait 11 ans lorsqu’elle a été recrutée par une équipe de natation dans le quartier montréalais de Notre-Dame-de-Grâce. « C’est comme ça que j’ai commencé les compétitions, et j’y ai pris goût. Ça changeait la routine. »

Trop forte pour son groupe, elle a intégré à 16 ans le prestigieux Club Sportif MAA (anciennement le Montreal Amateur Athletic Association), ce qui lui a ouvert la porte à des compétitions de plus grande envergure et, ultimement, à l’équipe nationale. C’était une occasion inouïe pour l’adolescente qui rêvait de parcourir le monde. Ainsi, elle a visité Toronto, Washington, Calgary, Vancouver et, grâce à sa participation aux Jeux de l’Empire britannique et aux Jeux panaméricains, le Brésil et l’Australie.

Madeleine Sévigny Lanthier, à l’été de ses 18 ans. Photo: gracieuseté

S’éloigner de la piscine

« Elle aurait pu aller aux Olympiques! », lance André, anticipant notre prochaine question. Son épouse acquiesce timidement, mais ajoute qu’elle était trop jeune en 1960 et trop peu préparée psychologiquement en 1964. « Ce n’était pas nécessairement un but à atteindre; peut-être que parce que dans ma tête, il n’était pas atteignable. Je me souviens d’avoir été sur les blocs en me disant “faut pas que je gagne, faut pas que je gagne”. J’aurais eu besoin de ce qu’ils ont maintenant : un psychologue sportif! »

À la suite du décès de son entraîneur, la nageuse a délaissé la piscine. Puis, au fil des ans, vinrent les études, le mariage, la famille, la carrière, les activités sportives de ses trois filles… Elle a aussi trouvé d’autres sports pour combler son besoin viscéral de dépenser de l’énergie, comme la raquette et le ski, qu’il soit de fond, alpin ou nautique. « La natation ne me manquait pas, dit-elle. Ce n’était pas un sacrifice, c’était juste comme ça. »

Madeleine et son mari, André. Photo: Frédérique Charest

Sauter de nouveau à l’eau

C’est par hasard qu’elle est revenue dans le giron de la natation compétitive. À l’été 2016, sa fille, Josée, rencontre une dame qui souhaite créer une équipe de maîtres-nageurs au Complexe aquatique de Mont-Tremblant, construit récemment. « Elle lui a dit “Ma mère a déjà fait de la compétition, peut-être qu’elle irait avec vous”. » Josée avait visé juste.

« C’est sûr qu’au début, il me manquait un peu de souffle pour faire des longueurs, mais j’étais en forme, poursuit Madeleine. Après quelques semaines, l’endurance est revenue… et le plaisir aussi. »

Avec son groupe, dont elle est la doyenne, elle persévère, améliore ses performances, renoue avec la compétition régionale et nationale. Et puis un jour, la benjamine de la famille, Marie-Hélène, se rend compte que ses résultats respectent les standards des championnats du monde, dont les prochains se dérouleront à Budapest, en 2017. Sur un coup de tête, André lui propose de s’inscrire et d’en profiter pour faire un voyage en amoureux. Ensemble, ils s’envolent. Et Madeleine saute à l’eau. Dans le bassin, elle obtient des résultats au-delà de ses espérances en se classant deuxième au 100 m et troisième au 50 m.

De Fukuoka à Doha

En 2023, la maître-nageuse décide de tenter à nouveau sa chance aux championnats mondiaux, qui se déroulent cette fois-ci à Fukuoka, au Japon, reportés de deux ans en raison de la pandémie. Malgré le coût exorbitant du voyage, elle s’inscrit à quatre épreuves et part à l’autre bout du monde, en compagnie de sa fille, Marie-Hélène. Elle reviendra au pays avec quatre médailles d’or au cou et la tête pleine de souvenirs.

Les championnats du monde suivants étaient programmés quelques mois plus tard, à Doha. Comme Madeleine avait pigé profondément dans ses économies pour aller au Japon, les chances qu’elle puisse s’y rendre pour défendre ses titres étaient quasi nulles. Mais coup de théâtre! Un mystérieux mécène, inspiré par un reportage de Radio-Canada sur ses exploits sportifs, lui propose de payer l’ensemble de son voyage.

Grâce à cette offre inespérée, l’octogénaire s’envole vers la capitale du Qatar avec l’une de ses coéquipières du club de natation. « On a été gâtées, gâtées, gâtées », se rappelle Madeleine, toujours aussi reconnaissante. Le voyage à Doha a été spectaculaire. Tout comme ses performances dans la piscine. La nageuse a récolté une médaille d’or dans chacune des cinq épreuves auxquelles elle s’était inscrite. Un triomphe!

« Disons que j’en profite plus maintenant, confie Madeleine au sujet de sa renaissance sportive. J’en profite plus qu’au moment où j’aurais peut-être pu aller aux Jeux olympiques. Ce ne sont pas des olympiades, c’est sûr que ce n’est pas pareil, mais ce sont quand même des championnats du monde. Je refais un peu le même genre de parcours, je vis le même genre d’expérience. »

Madeleine Sévigny Lanthier a remporté un total de neuf médailles d’or lors des deux derniers championnats du monde des maîtres-nageurs. Photo: Frédérique Charest

Une source d’inspiration

Si Madeleine Sévigny Lanthier partage son récit exceptionnel, c’est surtout dans l’espoir d’inspirer les autres. « Quand je regarde autour de moi, je réalise bien que je suis en bonne forme et que je fais des choses que d’autres personnes de mon âge ne font pas », reconnaît-elle. Mais elle ajoute que l’important n’est pas de gagner des médailles, ni de faire de la compétition, mais de bouger, de repousser ses limites et d’atteindre son plein potentiel.

« Il ne faut pas avoir peur de reprendre un sport qu’on a aimé. Je me dis qu’en faisant de l’exercice, qu’en faisant ce qu’on aime, on peut préserver un minimum de santé, de vitalité, de compétence physique et de liens sociaux. »

Compte-t-elle nager encore longtemps? Aussi longtemps qu’elle le pourra. En exemple, elle évoque une nageuse de Régina qui compétitionne toujours à l’âge de 99 ans, et une autre de Pointe-Claire qui ne cesse d’établir des records à 89 ans.

Les prochains championnats du monde des maîtres-nageurs se tiendront à Singapour, en 2025, encore à l’autre bout du monde. Est-ce que Madeleine y enfilera son maillot? Rien n’est impossible… surtout si un autre mystérieux mécène se manifeste.

En attendant un éventuel deuxième coup de théâtre, la nageuse continuera de se lever au petit matin, parfois deux, souvent trois fois par semaine, pour aller s’entraîner dans cette eau qu’elle aime tant.