Le lipœdème. Vous connaissez ? Jusqu’à tout récemment, Guylaine Guay non plus ne connaissait pas cette maladie chronique héréditaire. Aujourd’hui, elle pourrait en parler pendant des heures. Guidée par son désir d’enfin comprendre ce qui se passe sous sa peau, la comédienne, humoriste, animatrice et autrice s’est lancée dans une enquête qui l’a menée à écrire Corps gras, un essai publié récemment chez Québec Amérique. Elle en a discuté avec Virage. Sans gêne ni tabou.
Souvent confondu à tort avec l’obésité, le lipœdème est caractérisé par des accumulations anormales et douloureuses de graisse dans certaines parties du corps, dont les membres inférieurs. Appelée aussi « maladie des jambes poteaux », elle se déclenche quasi exclusivement chez la femme, et ce, lors de changements hormonaux majeurs, comme la puberté, la grossesse et la ménopause.
Cette condition est si méconnue que « les personnes atteintes ont de la difficulté à obtenir un suivi et des traitements », comme l’explique un document de l’INESSS (l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux).
C’est dans ce contexte que Guylaine utilise sa propre expérience comme tremplin pour partir à la découverte d’un problème de santé potentiellement débilitant, qui pourrait toucher jusqu’à 10% des femmes.
Sa mise à nu lui permet non seulement de parler de la maladie et de ses impacts, mais aussi de confronter la grossophobie ambiante et d’explorer sa propre relation avec son corps – il faut lire ses souvenirs de son passage chez Weight Watchers à neuf ans. Ouf.
Virage : Guylaine, je sais que vous avez l’habitude de vous exprimer publiquement au sujet de la diversité corporelle, mais n’empêche, ça prend du courage pour s’exposer aussi candidement.
Guylaine Guay : Je pense que ça en prend pour parler d’une maladie qui affecte des femmes, qui touche aux hormones et qui implique de la graisse. Trois sujets qui, selon moi, ne sont pas assez mis en lumière. C’est aussi un acte de courage parce qu’on est confronté à des commentaires, parfois très haineux. J’en reçois depuis que je suis sur les réseaux sociaux, mais j’en reçois encore plus depuis la sortie du livre. Des commentaires du genre : bon, une autre victime, ou une autre femme qui se plaint, ou t’as juste à maigrir. Je savais que ça allait arriver, mais je n’allais pas laisser ces commentaires miner le projet. Mon objectif était de parler de la maladie.
Parler de gras et de femmes, ça attire encore le mépris de nos jours?
Oui, ce n’est pas une formule gagnante (rire). La graisse, personne ne veut en parler, mais tout le monde a un mot à dire sur mon corps. Tout le monde sait pourquoi il est gros, comment le faire maigrir, comment je me sens… Il y a de la stigmatisation et des idées préconçues. Beaucoup présument que je ne suis pas en santé et que je ne fais pas les bonnes actions pour l’être.
Les enjeux de santé qui affectent spécifiquement les femmes ont longtemps été négligés, voire ignorés. C’est encore tabou?
Historiquement, la santé des femmes ne me semble pas avoir été une priorité. On commence seulement à parler de ménopause ou d’endométriose. Ce que j’ai trouvé déplorable en faisant mes entrevues, c’est de constater à quel point la souffrance des femmes est banalisée. Comme si, quand on naît, on accepte de souffrir pour les règles, pendant l’accouchement, pendant la ménopause… Ou avec le lipœdème.
Ces femmes que j’ai rencontrées en ont parlé à leur médecin : j’ai mal aux jambes, j’ai pris du poids, même si je m’entraîne beaucoup et que je mange correctement. Mais elles n’ont pas été crues. Pour moi, ce n’est pas digne. Si quelqu’un se présente à vous avec un problème, la moindre des choses est de l’écouter. Moi, je n’accepte pas ça. Ça me choque.
Dans votre livre, vous racontez en avoir parlé franchement avec votre mère, qui a 78 ans aujourd’hui.
Dans sa vie, ma mère a vécu beaucoup de violence médicale et de grossophobie. Même si elle n’a jamais eu de diagnostic, c’est évident qu’elle est atteinte de lipœdème, comme les autres femmes de son bord de la famille. Avec ses grossesses, des douleurs lancinantes aux jambes se sont intensifiées. Comme elle était serveuse, elle attribuait ça à son travail debout, mais ça allait au-delà de ça.
J’avais eu vent de certaines anecdotes, mais sans jamais approfondir dans une conversation. Ç’a donc été très touchant de faire cette entrevue avec cette femme que j’ai vue souffrir. Elle m’a dit qu’elle ne le faisait pas pour elle, mais pour que les femmes de vingt ans ne souffrent pas autant qu’elle. C’était beau.
Comme vous dites, le lipœdème est méconnu. Comment l’avez-vous découvert ?
Tout a commencé après ma participation à l’émission Toutoune journée avec Mélissa Bédard et Mélanie Couture. Josianne, une auditrice, m’a écrit, pour me dire qu’elle avait adoré l’émission et que, by the way, mes jambes ressemblaient beaucoup aux siennes. Elle souffrait de lipœdème et pensait qu’on avait besoin de quelqu’un comme moi pour mettre la maladie en lumière. Je me suis dit : c’est bien qu’elle aime l’émission, mais de quoi parle-t-elle ? Elle m’a envoyé des liens que j’ai consultés avec curiosité. Est-ce pour ça que je prends du poids depuis quatre ans, que j’ai de la difficulté à marcher, que j’ai mal aux jambes ? Je me suis reconnue dans tout ce que j’ai lu. Il y a eu un déclic.
J’ai ensuite écrit à Josianne et nous sommes devenues amies par correspondance. J’ai consulté le même phlébologue qu’elle. Au Québec, le lipœdème n’est pas diagnostiqué officiellement. J’ai donc reçu un diagnostic de lipolymphœdème, mais je souffrais réellement de lipœdème. C’est à ce moment que le message de Josianne a pris tout son sens : il fallait mettre la maladie en lumière.
Vous avez effectué une sortie publique assez remarquée.
Oui. J’ai écrit un billet pour le magazine Véro, auquel je collaborais déjà. Il a été lu plus d’un million de fois ! Cela a été une bougie d’allumage. Comme l’écriture est mon métier, j’ai ensuite contacté une éditrice pour parler du projet de livre. Dix jours plus tard, j’avais signé un contrat. J’ai fait un gros travail de recherche, contacté des femmes atteintes, parlé avec des spécialistes en santé, une chirurgienne en Autriche, et des militantes pour la reconnaissance du lipœdème au Canada.
Ce processus vous a-t-il aidée à comprendre votre condition ?
Absolument. J’ai des jambes difformes et des pieds plats. Marcher, c’est devenu compliqué, et ça ne va pas en s’améliorant. La rédaction de ce livre m’a permis de mettre des mots sur la dégénérescence de mon corps et d’éliminer une certaine culpabilité. Heille, ce n’est pas parce que je n’ai pas assez fait ceci ou que j’ai trop fait cela. Non. C’est une maladie. Ça m’a réconfortée de savoir que ce n’est pas ma faute.
Beaucoup de femmes croient qu’elles ne font pas les bonnes choses, qu’elles ne s’entraînent pas assez. Mais ce n’est pas ça. Le lipœdème est héréditaire. C’est le cerveau qui est conditionné à produire de la graisse malade. Ce n’est pas quelque chose qui se perd en faisant plus d’exercice ou en changeant son alimentation. Comme moi, beaucoup de femmes ressentent ce soulagement quand elles comprennent cela.
Après ce soulagement, comment fait-on pour se soigner ?
L’OMS (Organisation mondiale de la Santé) a reconnu le lipœdème en 2019, mais au Québec, il n’y a même pas de code diagnostique. Sans code, pas de statistiques, pas de recherches, pas de guide de pratique pour les professionnels et pas de traitements. On est trente ans en retard sur l’Europe.
Là-bas, il y a de l’expertise et des thérapies, comme la liposuccion assistée par hydrojet. Mais ça coûte de l’argent, ben de l’argent. On parle d’environ 20 000 à 25 000 dollars si on calcule la chirurgie, le voyage, l’hébergement, les médicaments… Et la plupart des femmes auront besoin de plusieurs interventions. Moi, au stade 3, ce sera trois ou quatre chirurgies. Je ne l’ai pas, moi, le 100 000 $. Pour bien des femmes, c’est un fardeau financier qui s’ajoute à la maladie… Une maladie qui en plus réduit la capacité de travailler. C’est un cercle vicieux.
C’est sans compter le stress. Il faut choisir le bon chirurgien qui a la bonne expérience. Mais comment ? Les forums sont pleins de discussions enflammées. Ce n’est pas simple de faire des recherches quand il y a plein d’informations contradictoires qui circulent.
Outre la chirurgie, il y a des traitements conservateurs, comme le drainage lymphatique, les vêtements de compression, la pressothérapie. Comme la maladie n’est pas reconnue, c’est complexe. Par exemple, avec un diagnostic de lipolymphœdème, la RAMQ rembourse 75 % de trois vêtements de compression par année. Même avec ce remboursement, ces vêtements coûtent très cher, voire plusieurs milliers de dollars.
Je peux déjà entendre des voix qui s’élèvent pour dire que tout ça n’est qu’un enjeu d’esthétisme. Vous leur répondez quoi ?
J’ai l’impression que, lorsque des gens ne se sentent pas interpellés par certains sujets, peut-être parce qu’ils ne les affectent pas personnellement, ils ne se donnent pas la peine de bien comprendre.
Donc oui, certaines personnes vont penser que le lipœdème, c’est juste une cellulite. Franchement, à mon âge vénérable de 56 ans, que mes jambes soient difformes m’importe peu. Ce qui compte, c’est de soulager la douleur. Pour certaines femmes, l’esthétique sera plus importante que ça, et je respecte cela.
Mais il faut quand même faire la distinction entre le gras sain et le gras du lipœdème. Les nodules graisseux sont douloureux et contiennent des tissus conjonctifs, des vaisseaux lymphatiques et circulatoires. Les terminaisons nerveuses sont très sollicitées, cela crée de la douleur et peut affecter la mobilité.
Parce que c’est moi qui suis sur la couverture du livre, il y en a qui se diront que c’est à ça que ça ressemble un corps qui a le lipœdème. Mais non, ça ne touche pas seulement les femmes grosses. Je le dis toujours : ça touche des femmes de toutes les morphologies et de tous les âges.
Les ramifications dépassent largement ce à quoi les jambes ont l’air. Ça affecte aussi la santé mentale. Par exemple, il y a des femmes qui finissent par développer des troubles du comportement alimentaire.
Avez-vous de l’espoir pour l’avenir?
Certainement. Je suis de nature optimiste. Beaucoup de femmes se battent. Dans d’autres provinces, certaines se tournent vers les tribunaux. Ici, il y en a qui demandent quand même des remboursements à la RAMQ pour des traitements à l’extérieur.
Je crois que les choses vont bouger, mais il faudra aussi des alliances dans le monde médical. Reconnaître la maladie, c’est la base. Cependant, l’accès au traitement prendra encore des années, les chirurgiens devront se former et aller chercher de l’expertise à l’étranger. Qui aura la motivation pour le faire ? Si mon livre suscite de la curiosité et motive quelqu’un à aider, ce sera déjà un premier pas. Qui sait, il y a peut-être une professionnelle de la santé qui souffre en ce moment de lipœdème et qui voudra devenir une pionnière.
Moi, je voulais faire connaître la maladie et mettre en lumière ce combat. C’est aussi un legs à la prochaine génération. Je suis devenue la grand-mère des petites filles de ma sœur lorsqu’elle est décédée. Je pense aussi à elles.
