Teindre ou ne pas teindre? Telle est la question que se posent de plus en plus de femmes grisonnantes. La réponse est propre à chacune, mais se pourrait-il qu’elle en dise beaucoup sur notre perception de la féminité et du vieillissement?
« Je pense qu’en ce moment, il y a un phénomène de société entourant la couleur des cheveux des femmes, explique Geneviève Langlois, idéatrice de La révolution grise, une mèche à la fois, un documentaire diffusé sur la plateforme Tou.tv. Depuis la pandémie, elles sont de plus en plus nombreuses à s’afficher avec leurs cheveux naturels, mais la stigmatisation liée à ce choix perdure. »
Geneviève parle en connaissance de cause. Au début de la cinquantaine, elle ressent un « besoin de vivre une transformation ». La comédienne décide alors de mettre un terme au joug de la teinture et d’assumer pour de bon ses mèches grises et blanches : « J’ai fait pousser ma racine d’à peu près deux pouces, puis je suis allée chez le coiffeur pour les faire couper très court. »
Pour elle, cet élan vers l’authenticité est « libérateur », mais somme toute anodin. Après tout, ce n’est qu’une couleur de chevelure. Pourtant, son choix a suscité de nombreux commentaires dans son entourage. Certains étaient encourageants, mais d’autres, carrément blessants. « Il y a tellement eu de réactions négatives, comme “Tu ne travailleras plus” ou “Tu ne pogneras plus” », se rappelle-t-elle. L’une de ses agentes lui a même demandé pourquoi elle avait fait ça, elle qui est une si belle femme… « Ça m’a sonnée, mais ça m’a aussi donné plus de courage. »
L’impact du gris
Visiblement, sa transition dérangeait. Mais pourquoi? Pour tenter d’y répondre, Geneviève a approché la documentariste Léa Pascal (Retour à l’essentiel, Vivre vieux) en lui proposant d’utiliser sa propre histoire de transition comme tremplin pour comprendre l’impact social des cheveux gris.
C’est ainsi qu’est né La révolution grise. Le film d’une cinquantaine de minutes présente plusieurs points de vue éclairants, dont celui de Martine Lagacé, chercheuse à l’Université d’Ottawa. Celle qui se penche notamment sur les stéréotypes et la discrimination sur la base de l’âge voit la teinture comme un élément qui conforte les normes établies. Des normes qui ont encore tendance à valoriser la maturité chez l’homme, mais la jeunesse chez la femme.
« Les femmes s’identifient à d’autres femmes qu’elles voient à l’écran, opine Geneviève Langlois. Quand j’étais jeune, on y voyait peu de femmes aux cheveux gris ou blancs. Celles qu’on voyait, c’étaient des grands-mères, des sorcières, de très vieilles femmes. Les hommes aux cheveux gris, c’étaient des silver fox, des messieurs très sexy… »
Le documentaire s’immisce aussi dans un groupe de discussion pour constater à quel point les préjugés ont la couenne dure, puis donne la parole à une photographe, une directrice de distribution, un concepteur de publicité… Ce qui en ressort, c’est que les médias demeurent majoritairement frileux à l’idée à montrer des têtes blanches au naturel. Malgré le discours ambiant qui prône la diversité et l’inclusion dans toutes les sphères, les signes du vieillissement, comme les rides et les cheveux blancs, demeurent la plupart du temps cachés.
L’argent fait le bonheur?
Cela étant, la donne pourrait changer. Lors de la pandémie, l’accès restreint aux salons de coiffure et la mise sur pause des activités sociales ont favorisé les repousses aux reflets d’argent. Chez certaines femmes, ce « laisser-aller » s’est transformé en une meilleure acceptation de soi. Combien se sont regardées dans le miroir pour se dire qu’une femme peut être belle, confiante et même sexy avec des cheveux blancs? À l’image de comédiennes comme Andie MacDowell, Jodi Foster et Jamie Lee Curtis, qui ont toutes foulé avec éclat (argenté) les tapis rouges. De grands magazines tels que Vogue, Châtelaine, Women’s Health, Clin d’œil et Véro, tout comme des marques de produits de beauté, suivent le pas et publient plus de contenu qui glamourise les tignasses argentées.
La tendance se répand aussi dans les réseaux sociaux. Sur Instagram par exemple, les mots-clics #greyhair, #goinggrey et autres #greyhairtransition recensent des millions de publications. On y voit des photos de femmes de tous âges — et d’hommes aussi — qui affichent fièrement leurs coiffures grises et blanches. Sur YouTube, on ne compte plus les vidéos qui offrent conseils et astuces pour réussir la transition vers une chevelure naturelle.
50 nuances de gris
Ces vidéos, Hélène n’en a que faire. À 72 ans, celle qui se teint les cheveux depuis une trentaine d’années reconnaît que son rituel capillaire lui a coûté cher au fil des ans et concède que de toute façon, rendu à son âge, ce n’est pas une couleur de cheveux foncée qui va la rajeunir aux yeux de qui que ce soit. Néanmoins, pas question d’amorcer une transition vers son blanc naturel. Pourquoi? « Parce que je me trouve plus belle comme ça. »
Pour d’autres, la coloration n’est pas forcément synonyme de dissimulation. Elles se teignent pour mieux refléter leur personnalité et leurs envies, ou pour faire preuve de fantaisie.
« À chacune pour soi, affirme Geneviève Langlois, insistant sur l’importance du libre choix. Je ne dis pas que la couleur grise est à privilégier. Moi, je le fais pour moi; c’est mon expérience. Si je peux donner du courage à d’autres femmes, ça serait extraordinaire, mais ce n’était pas le but. Le but, c’est d’ouvrir une discussion. Il faut aussi s’épauler entre femmes. »
Elle reconnaît également que son propre cheminement vers l’acceptation de soi — et de son âge — n’est pas terminé. Les rides qui se profilent sur son visage, par exemple, la chicotent encore quand elle fait une séance photo. Vieillir, c’est donc une zone grise; « ni blanc ni noir ».
« On ne sait plus ce que c’est, bien vieillir, dit-elle. Parce que partout autour de moi — moi-même j’y pense, je vais être honnête — il y a de la chirurgie plastique. Notre perception de la vieillesse est transformée avec tout ce qui est disponible. »
Sans juger les choix des unes et des autres, elle constate que l’obsession d’avoir « l’air jeune » persiste, alors que c’est plutôt être en santé et être en forme qui devraient nous occuper. D’où l’importance d’élargir les horizons et d’améliorer la représentativité des 50 ans et plus — surtout celle des femmes — à l’écran. Parfois, pour avoir la confiance d’être soi-même, il faut savoir qu’on ne le fera pas en solitaire.
Seul son coiffeur le sait…
C’est au milieu du siècle dernier que les premières teintures maison ont été commercialisées. C’est l’époque du célèbre slogan Only her hairdresser knows for sure (seul son coiffeur le sait). À défaut de figer le passage du temps, les femmes pouvaient désormais dissimuler ses effets… à l’abri des regards.
« Vous ne pouvez tout simplement pas avoir un air frais et vital si vos cheveux semblent ternes et décolorés, déclare d’une voix grave le narrateur d’une pub Clairol de 1957. Et les mèches grisonnantes ajoutent des années à votre apparence, comme tout le monde peut le constater. »
Le succès de ces produits est instantané, et ne démord pas au fil des décennies. Selon des sondages menés en occident, jusqu’à 80 % des femmes ont déjà coloré leurs cheveux. Des prévisions récentes estiment que la valeur du marché mondial de la coloration capillaire pourrait franchir le cap des 34 G USD d’ici quelques années, propulsée entre autres par la demande croissante liée au vieillissement de la population.
À lire
C’est le livre Une apparition (Robert Laffont) de la journaliste et écrivaine française Sophie Fontanel qui a inspiré Geneviève Langlois dans sa transition. Sous forme de journal romancé, l’autrice raconte son propre choix « d’arrêter les colorations et de regarder pousser ses cheveux blancs », un passage qu’elle compare à une « naissance ».
Photo : Helen Tansey