Est-il possible de diminuer l’impact de la douleur chronique en stimulant le cerveau avec des impulsions électriques? La réponse à cette question que se pose une équipe de recherche de l’Université de Sherbrooke a le potentiel d’améliorer la qualité de vie de millions de personnes au pays.
Environ une personne sur quatre souffrira de douleur chronique au cours de sa vie, surtout dans les dernières années de celle-ci. Ginette Ladouceur en sait quelque chose : entre 2011 et 2018, la septuagénaire a souffert des conséquences d’une vilaine chute qui a bouleversé son quotidien. Son diagnostic de sténose spinale lombaire, un rétrécissement qui comprime les nerfs qui passent dans le bas du dos jusqu’aux jambes, l’a contrainte à recevoir des infiltrations de cortisone tous les trois mois et à prendre de la médication de plus en plus forte pour soulager la douleur. En vain.
« Le soulagement était temporaire, sans parler des nombreux effets secondaires. La douleur finissait par revenir », raconte celle qui a fait carrière dans les métiers de l’assurance tout en élevant une famille. Après quelques années, rien ne va plus : en forte perte d’autonomie, Ginette Ladouceur a quitté Montréal pour s’établir à Sherbrooke afin de se rapprocher de sa famille. Son implication dans l’Association québécoise de la douleur chronique l’a alors amenée à entendre parler d’une étude novatrice conduite par le Centre de recherche sur le vieillissement.
« L’équipe de recherche souhaitait évaluer l’efficacité d’un traitement contre la douleur dont je n’avais jamais entendu parler : la stimulation transcrânienne. Comme je n’avais rien à perdre, je me suis portée volontaire », se souvient-elle. Bien lui en prit : après quelques séances, elle a noté une amélioration notable de son niveau d’énergie. Assez pour entreprendre deux programmes d’exercices qui améliorent l’équilibre, offerts par l’organisme à but non lucratif Sercovie. « À la fin, je n’avais plus besoin d’infiltration ni de médication. Un peu de glace le matin me suffisait pour faire mes journées. »
Recircuiter le système nerveux
« La stimulation transcrânienne consiste à stimuler certaines régions du cerveau, dans notre cas celles impliquées dans la planification, le contrôle et l’exécution des mouvements », explique Guillaume Léonard, professeur à l’École de réadaptation de l’Université de Sherbrooke et chercheur au Centre de recherche sur le vieillissement. En combinaison avec d’autres traitements, comme la pratique d’activité physique, cette approche non médicamenteuse a le potentiel de réduire la douleur, de soulager les symptômes dépressifs associés et, donc, d’améliorer la qualité de vie. « Attention : ça ne remplace pas la prise de médicaments comme des analgésiques. L’idée est plutôt de multiplier les options pour mieux s’attaquer au problème. »
Le physiothérapeute de formation a mené l’étude de faisabilité à laquelle a pris part Ginette Ladouceur et plusieurs autres personnes aînées souffrant de douleurs chroniques. Les résultats de ce pilote ont été si encourageants qu’ils ont jeté les bases pour une autre étude panquébécoise au cours de laquelle cette même patientèle reçoit un traitement de stimulation transcrânienne, mais en clinique plutôt qu’en laboratoire cette fois-ci.
Comment ça fonctionne?
L’envoi d’impulsions électriques par l’entremise d’électrodes placées sur le cuir chevelu augmente l’excitabilité des zones du cerveau visées. Dans le cas de la douleur chronique, ce coup de pouce permet de casser un cercle vicieux et d’ainsi reprendre le dessus sur la condition invalidante. « Tout le monde est doté de mécanismes qui, comme des gradateurs, modulent les signaux de douleur, vulgarise le scientifique. La stimulation transcrânienne rebranche en quelque sorte les fils de ce système de freinage lorsqu’il s’est détraqué et ne fonctionne plus comme il se doit. »
Attention : ce faible courant électrique n’a rien à voir avec les tristement célèbres électrochocs de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Il est de fait à peine perceptible, voire pas du tout. « Tu ne sens rien, confirme Ginette Ladouceur. Et le traitement en entier demande moins de temps que d’installer l’appareillage! » De plus, une poignée de séances — cinq dans son cas — suffisent généralement pour remettre les circuits en marche. « Il ne s’agit pas d’un abonnement à vie, indique Guillaume Léonard. D’un point de vue clinique, c’est donc très encourageant. »
Cela dit, la stimulation transcrânienne doit encore faire ses preuves. Dans l’étude de grande envergure encore en cours, les personnes participantes reçoivent tantôt le traitement, tantôt un traitement placebo, c’est-à-dire dépourvu d’action spécifique. Le but : déterminer la réelle efficacité de la stimulation transcrânienne. « Nous entretenons l’espoir de voir cette approche devenir un nouvel outil de traitement pour toutes les personnes qui souffrent de douleurs chroniques », lance-t-il. Cela fait beaucoup de monde; au Canada, près de 8 millions de personnes vivent avec ce problème de santé.