Grands-parents et petits-enfants, un lien prodigieux

Jadis, lorsque ma mère riait aux éclats en jouant à quatre pattes sur le tapis du salon avec ma fille de 5 ans, ou quand elle écrivait pendant de longues minutes l’historiette décousue que la bambine lui dictait avec conviction, je pensais qu’elle retombait en enfance. J’avais tout faux. Elle était pleinement dans le jeu, avec sa petite-fée-fille, et s’amusait tout autant qu’elle.

Sauf exception, les grandes personnes des 3e et 4e âges ne tombent pas en déraison. Elles ont en partage, avec les créatures du tout premier âge, cette aptitude à être parfaitement disponibles les unes pour les autres, absorbées dans l’instant présent, ouvertes au plaisir sérieux du jeu. Le sens de la fête les a rattrapées.

D’ailleurs, nul besoin de prendre le large, tel Ulysse, pour voyager et découvrir le monde et la vie avec sa petite-marmaille. On peut le faire avec un livre, une image, un jeu, une promenade, une chanson, une histoire inventée, une sieste, un pique-nique sur le tapis du salon, un film des Barbapapa, ensemble dans le silence…

Une connexion émotionnelle démontrée

Si vous pensez que je fais de la poésie, que je rêve en vieux rose, détrompez-vous. Une étude scientifique récente a montré, imagerie par résonance magnétique à l’appui, le portrait neurologique du prodigieux lien transgénérationnel entre grands-parents et petits-enfants.

En présentant à des grands-mères des images de leurs petits-enfants (3 à 12 ans) et d’un de leurs enfants devenu adulte, on découvrit que :

  • Devant les images de leurs petits-enfants, les zones du cerveau impliquées dans l’empathie émotionnelle s’activent : les mamies ne constatent pas la joie ou la détresse de l’enfant, elles la ressentent carrément.
  • Devant les images de leur enfant adulte, ce sont plutôt les zones du cerveau liées à l’empathie cognitive qui dominent : elles cherchent à comprendre ce que leur fils ou fille pense ou éprouve et pourquoi. La charge émotionnelle est moindre.

Cette connexion émotionnelle ravive la capacité d’émerveillement. D’ailleurs, j’appelais ma petite-merveille Alice, mon émerveillante, évoquant ainsi sa qualité à elle et ma propension renouvelée à m’émerveiller depuis que j’étais devenue grand-mère.

Il s’en trouvera pour persister dans l’idée que cette faculté d’enchantement relève d’une sorte de régression infantile. Qu’ils se ravisent. La seule analogie acceptable est celle-ci : les petits-enfants s’enivrent de découvrir le monde; les grands-parents se grisent de le redécouvrir.

Une entière disponibilité

Il y a quelques années, j’avais interviewé des gamins et gamines de 4 à 12 ans, histoire de cerner leur rapport à leurs papis et mamies. Les réponses : mon grand-père s’arrête et me regarde dans les yeux quand je lui parle; ma grand-maman s’intéresse à tout ce que je fais; ma mamie me raconte comment c’était quand elle était petite et j’adore ça; on joue ensemble longtemps; on va à la pêche et on reste ensemble sans parler; avec mon papouche on chante en courant sous la pluie…

Qu’ont en commun ces moments privilégiés ? L’entière disponibilité l’un pour l’autre. Du temps béni où rien d’autre ne compte qu’être ensemble.

Jacques Ferron disait qu’au fond, il n’y a de vif et de vrai que son enfance. Notre petite-marmaille est au cœur de ce vif et de ce vrai qui les façonnent. Nous, séniors, savons maintenant que tout s’y est joué pour nous, que tout est en train de s’y jouer pour eux et elles. Ce savoir démultiplie notre zèle bien-aimant et la qualité de notre présence.

Un lien sans âgisme

Et puis, c’est si bon d’être avec de jeunes êtres humains que l’âgisme n’a pas encore contaminés. Louane, mon arrière-petite-fille de 3 ans, pose le même regard sur les gens, sans égard à leur âge. Ses grands-parents et arrière-grands-parents sont, à ses yeux, des êtres humains parmi les autres qui l’entourent.

Enfin, l’alliance entre grands-parents et petits-enfants est l’exemple le plus éloquent d’amour inconditionnel. Là, il s’épanouit, circule de l’un à l’autre, dégagé de préjugés, de hiérarchie, d’attentes de performance.

Une complicité d’une rare valeur

Certes, il est plus facile de se consacrer joyeusement à l’objet-sujet d’amour en sachant que celui-ci sera rendu à ses parents, une fois le gardiennage terminé. Mais cela n’enlève rien à cette complicité d’une rare valeur, non plus qu’à l’enrichissement que les deux parties, que dis-je, les deux larrons, en retirent.