C’était il y a presque 50 ans. Diane Dufresne, qui avait abandonné son costume – et sa voix – de chanteuse straight, se produisait ce soir-là à l’auditorium du cégep Ahuntsic, à Montréal. Elle commençait son spectacle de la salle, les spectateurs se demandant d’où venait la voix qui chantait…
Quand j’mettrai les pieds sur scène
Comme un toréro dans l’arène
Quand je ferai mon premier show
Dans mon costume de lumière
J’aurai l’air de marcher sur l’air…
Et là, elle montait sur scène avec une robe comme on n’en voyait jamais, avec une voix comme on n’en entendait jamais. Je le sais, j’étais là, jeune étudiante en arts et lettres submergée d’une émotion que je n’ai pas oubliée.
En juillet prochain, Diane Dufresne montera de nouveau sur scène. Pas seulement pour chanter, mais pour se dévoiler à travers les questions du public. C’est Gilles Vigneault qui lui avait soufflé à l’oreille, il y a quatre ou cinq ans, d’aller à la rencontre des gens. L’idée a fait son nid et quand le festival Coup de cœur francophone l’a invitée à participer à son édition 2021, l’oiseau a pris son envol. Ainsi est né Sur rendez-vous, spectacle piano-voix intimiste. Une initiative d’une sobriété déconcertante pour cette artiste qui incarne la démesure.
Ce spectacle, Diane Dufresne ne l’a présenté qu’un seul soir, le 14 novembre 2021. C’était au Gesù, théâtre mythique dont elle aime les vibrations, « devant des gens masqués assis à tous les deux sièges », se souvient-elle. Mais le moment lui a plu, beaucoup. Elle a attendu que les visages se découvrent pour poursuivre l’expérience, dans une tournée d’une dizaine de villes qui s’amorce en juillet prochain.
« D’une certaine façon, je me laisse entraîner par les restrictions liées à la pandémie en pensant « faisons dégarnis aussi », raconte-t-elle. Pas de piédestal, de projecteurs ni de gros show pour livrer des bouts de ma vie. Avant que le monde raconte des choses sur mon cas, aussi bien le faire moi-même! »
La diva se raconte
L’affiche parle d’un spectacle-causerie, parlons plutôt d’un événement. Diane Dufresne, dont la belle furie s’est exprimée par des extravagances de toutes sortes, arrivera sur scène sagement, s’installera derrière un lutrin. « Ceux qui s’attendent à voir apparaître une diva avec une longue robe à traîne seront surpris », raconte-t-elle.
Accompagnée au piano par Olivier Godin, elle chantera six chansons triées sur le volet, devant un public qui ne se fondra plus dans l’obscurité d’une salle. Attisée par cette lumière, Diane Dufresne, la femme, ouvrira les vannes de sa passion pour la chanson, de son enfance pétrie de musique, de son Paris Rive gauche des années 1960, de sa rencontre avec Clémence puis les autres, Cousineau, Plamondon, dont les noms sont à jamais liés à son répertoire, avant qu’elle ne signe elle-même ses propres textes.
En toute simplicité, elle entend revoir la copie de quelques faits d’armes. Ose des confidences sur son album Tiens-toi ben j’arrive (1972) dont elle pensait qu’il serait le dernier: « Je ne croyais pas que les gens allaient me suivre dans ma folie». Sur Opéra-cirque (1973): « C’est après avoir écouté ces chansons-là que Michel Berger a proposé à Luc Plamondon de faire Starmania ». Sur Magie rose (1984): « Ce n’est pas du stade dont je me souviens, mais de la mer rose qui s’étalait devant moi. » Ces seules évocations font monter en elle les émotions de l’époque, elle dit qu’elles vivent en permanence sous sa peau.
Dans l’aventure Sur rendez-vous, Diane Dufresne ne fera pas que répondre aux questions du public, elle en posera aussi. Mais qu’est-ce qu’elle peut bien avoir envie de savoir… Sa réponse est trop rapide pour ne pas venir du cœur: « Pourquoi ils sont là, et depuis si longtemps ».
Si longtemps…
Diane Dufresne a 78 ans et le mot « vieille » ne la trouble pas. « Même si t’as l’air d’une sorcière quand tu te mets un chapeau pointu sur la tête, la vieillesse apporte un bagage intéressant. Vieillir, pour moi, c’est faire des supplémentaires. Tout ce que je n’ai pas fait dans ma vie parce que j’étais timide, je le fais maintenant. J’ai des envies différentes, c’est une autre forme de désir. »
Elle s’émerveille devant le jour naissant « même si tu constates de l’autre côté que tes bras ont l’air d’avoir 1000 ans ! Mais tu ne peux pas mépriser ton corps qui est une enveloppe qui t’a beaucoup donné, et qui te donne encore ».
Pour celle qui croit que l’immortalité serait une catastrophe, vieillir est cependant une aventure à laquelle sa génération n’était pas préparée.
« Nous sommes des pionniers, des nouveaux vieux. La science nous dit que nos neurones se régénèrent grâce à de nouvelles activités, de nouveaux apprentissages, alors vivons intensément. Chaque jour compte. Si on restait toujours stationné sur ce qui a été, on ne pourrait plus avancer. »
Puis, la conversation a pris fin. La voix de Diane Dufresne, si particulière, s’est éloignée. J’ai alors repensé au moment où elle a mis les pieds sur scène, comme un toréro dans l’arène, quand elle a fait son premier show, dans son costume de lumière, et qu’elle avait vraiment, mais vraiment l’air de marcher sur l’air.
C’était, ma foi, hier
Photo : Jean Charles Labarre