Depuis la pandémie, le nombre de demandes d’aide alimentaire a explosé. Et les aînés ne font pas exception à la règle. Les personnes de 65 ans et plus représentaient 8,7 % des utilisateurs des banques alimentaires canadiennes en 2021. Une proportion qui augmente plus vite que celle des autres groupes d’âge, selon l’organisme qui les chapeaute au pays.
Bénévole depuis dix ans dans une banque alimentaire, Diane Dupont-Cyr se rappelle d’une femme venue cogner à la porte de l’organisme. En l’aidant à transporter son sac, elle remarque qu’elle pleure. « Quand je lui ai demandé ce qui se passait, elle m’a montré du doigt la boîte de barres tendres. Elle m’a expliqué qu’enfin, elle aurait quelque chose à offrir à ses petits-enfants quand ils lui rendraient visite. »
Ce genre d’histoire est plus fréquent qu’avant dans les banques alimentaires du Québec. En effet, l’impact combiné de la pandémie et de l’inflation se fait sentir sur le budget des Québécois. Ainsi, ce sont 600 000 personnes qui reçoivent de l’aide chaque mois à travers le réseau de 1 200 organismes affiliés aux banques alimentaires du Québec. Si l’on voit de plus en plus de travailleurs se tourner vers ce type de ressources, le nombre d’aînés qui n’arrivent plus à remplir leur réfrigérateur est aussi en hausse.
Des statistiques éloquentes
« Actuellement, les bénéficiaires de 65 ans et plus représentent autour de 10 %, détaille Martin Munger, directeur général des banques alimentaires du Québec. Mais globalement, la demande auprès des banques alimentaires a augmenté d’au moins 30 % depuis 2019. Donc, c’est certain qu’en chiffres réels, le nombre d’aînés est en augmentation. »
Ce constat semble se confirmer du côté du Centre de bénévolat – Moisson Laval, alors que pour les huit premiers mois de 2022, 628 personnes de 50 ans et plus ont eu recours à son service de dépannage d’urgence. C’est déjà plus que pour tout 2019.
Même chose chez SOS Dépannage – Moisson Granby. Entre janvier et août, 1 651 personnes de 45 à 64 ans ont eu recours à l’aide alimentaire de dépannage, alors que ce nombre s’élevait à 1 810 pour toute l’année 2021, fait remarquer le directeur général, Patrick St-Denis.
Survivre quand tout augmente
Le problème, c’est que pour plusieurs aînés, les revenus restent les mêmes. Or, leurs dépenses continuent de grimper. Boucler son budget devient de plus en plus difficile, note Diane Dupont-Cyr, présidente du conseil d’administration de Moisson Outaouais.
« On constate cette augmentation non seulement sur le prix des aliments, mais aussi sur celui des loyers avec la crise du logement. On voit donc un nombre croissant de personnes devant des choix difficiles, comme acheter à manger ou payer leurs médicaments. » D’autres n’ont pas la marge de manœuvre pour faire face aux imprévus, comme un électroménager à faire réparer.
Bénévole à l’accueil chez SOS Dépannage – Moisson Granby depuis cinq ans, Marie-Louise Turcotte Audet observe également que l’augmentation du coût de la vie fait mal aux parents tout comme aux personnes qui avancent en âge.
« On voit aussi beaucoup de femmes vivant seules qui ont besoin d’un coup de main. Souvent, elles sont restées au foyer et n’avaient pas de salaire. D’autres avaient un emploi précaire, sans fonds de pension », note la retraitée, qui a déjà travaillé comme intervenante sociale.
Demander de l’aide
Selon Diane Dupont-Cyr, la pandémie a donné le courage à certains de demander l’aide dont ils avaient besoin. « Plusieurs n’osaient pas, que ce soit par pudeur ou tout simplement parce qu’ils ne connaissaient pas les services disponibles », explique la retraitée. Voir des personnes de leur entourage faire appel à différentes ressources pour passer à travers la crise sanitaire en a certainement incité plusieurs à franchir le pas.
« On constate aussi que plusieurs aînés ont des problèmes d’autonomie. Ils n’ont plus de permis de conduire ou ont du mal à se déplacer, ce qui peut être un frein pour recevoir de l’aide », observe pour sa part Julie Fortin, coordonnatrice développement et analyse communautaires chez Moisson Outaouais. Les organismes doivent donc s’assurer de rendre leurs services accessibles, en offrant de la livraison, par exemple.
En effet, chez Moisson Outaouais comme ailleurs, les denrées sont distribuées dans des dizaines d’organismes locaux, comme des banques alimentaires ou des cuisines collectives.
De l’aide dans le respect
« Les banques alimentaires ont beaucoup changé, ajoute la coordonnatrice. Avant, cela passait beaucoup par les paroisses, qui distribuaient des aliments non périssables, comme des boîtes de conserve. Aujourd’hui, on propose vraiment une variété plus grande, avec des fruits, des légumes frais ou de la viande. »
Ainsi, uniquement chez Moisson Outaouais, 443 767 kg de denrées périssables ont été récupérés dans les épiceries l’an dernier. Ces invendus ont été cuisinés, puis redistribués dans la communauté.
S’il n’est pas évident de demander de l’aide, il faut oser, en contactant l’organisme communautaire le plus proche affilié à la Moisson de notre région. « Quand les gens arrivent, je leur dis souvent qu’ils sont au bon endroit. Ici, on ne porte pas de jugement sur les gens. Toute l’équipe se montre accueillante, bienveillante et respectueuse », affirme Mme Turcotte Audet.
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La solidarité passe par des bénévoles aînés
Ce n’est pas que chez les bénéficiaires qu’on remarque plusieurs cheveux gris. C’est aussi en bonne partie sur les épaules d’aînés que repose l’immense chaîne de solidarité de l’aide alimentaire, et ce, partout au Québec.
Majoritaires dans les équipes, les bénévoles d’expérience constituent un maillon essentiel non seulement pour les banques alimentaires, mais pour leurs nombreux organismes affiliés. Chaque jour, ils sont au rendez-vous pour recevoir des denrées, les trier, s’activer en cuisine pour transformer les aliments périssables, accueillir les personnes et veiller à la distribution.
« Les aînés sont une ressource inestimable. Ils donnent encore plus à la société que pendant leur vie active. Leur apport est essentiel dans la communauté », estime Armand Kayolo, directeur général de Moisson Outaouais.
Un accueil sans jugement
S’il faut être assez en forme pour offrir son temps, l’ouverture d’esprit est également essentielle, surtout pour les bénévoles à l’accueil. « Il faut être assez fort au point de vue émotionnel, puisqu’on est en contact avec des gens en crise, qui vivent de la détresse », explique Pascal Desjardins, responsable des bénévoles à Moisson Laval. Ceux qui s’impliquent ne doivent pas porter de jugement sur les bénéficiaires, ajoute-t-il.
Il faut aussi se montrer sensible aux différentes réalités, poursuit le responsable. « Par exemple, une personne qui vient d’un autre pays ne saura peut-être pas quoi faire avec une conserve de fèves au lard. Il faut lui offrir un autre type de légumineuses, comme des pois chiches, qu’elle saura cuisiner. Les bénévoles qui préparent les paniers sont accompagnés pour mieux comprendre ces différences culturelles. »
« La vitamine de ma semaine »
Tout en faisant taire des ventres et calmer des angoisses, ce bénévolat nourrit ceux qui donnent du temps à la cause. « Pour moi, le fait de me rendre chaque mardi à l’organisme, c’est vraiment la vitamine de ma semaine, résume Marie-Louise Turcotte Audet. Je ne pourrais pas m’en passer. Tant que je serai assez en forme pour le faire, je vais continuer à m’impliquer. » Une façon de se rendre utile et de combattre la faim au quotidien.
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En chiffres
1 200
C’est le nombre d’organismes communautaires à travers le Québec qui reçoivent des denrées de la part du réseau des banques alimentaires du Québec. Il peut s’agir de services de dépannage alimentaire, d’organismes offrant des services aux aînés, etc.
6,3 millions de kg
C’est le volume de produits invendus qui a été récupéré dans 476 supermarchés à travers le Québec en 2020-2021 et redistribué dans la population. Une récupération qui a permis de réduire les émissions de CO2 de l’équivalent de 3 460 tonnes. C’est comme si on avait retiré 1 353 voitures de la route pendant un an.
1 $ = 3 repas
Chaque dollar donné sur le site Les banques alimentaires du Québec permet d’offrir 3 repas, c’est-à-dire 1,5 kg de nourriture récupérée dans les entreprises agroalimentaires et les supermarchés.