En 1969, Danielle Ouimet marque à jamais l’histoire du cinéma québécois en incarnant le personnage de Valérie. Du jour au lendemain, elle devient célèbre. Mais ce cadeau fut à plusieurs égards empoisonné. Rencontre avec une femme qui a fait du temps son allié le plus précieux.
2 mai 1969, au penthouse d’une tour d’habitation de la rue Saint-Mathieu, à Montréal. La jeune Danielle Ouimet se prépare avec fébrilité à assister à la première de Valérie, qu’elle a tourné à l’automne précédent et dont elle n’a vu que quelques séquences, tout au plus.
Le film est attendu impatiemment car il a filtré que Denis Héroux, le prof d’histoire devenu cinéaste, y déshabille « la petite Québécoise », selon sa propre expression.
Nous sommes à l’aube de Woodstock, Neil Armstrong posera bientôt le pied sur la Lune et Les Belles-sœurs font passer notre langue de la rue à la scène. Un vent de liberté souffle sur le monde.
Danielle Ouimet n’échappe pas à cette euphorie. Jeune femme libérée, ambitieuse, séduite par le milieu du spectacle dès l’âge de 15 ans, elle cire les planchers de la maison familiale pour gagner le 1,50 $ qui lui permet d’aller entendre chanter les Félix, Robert Charlebois, Claude Léveillée, Pierre Létourneau et Jean-Pierre Ferland à la boîte à chansons Saranac. Elle découvre là un univers créatif et marginal dont elle veut à tout prix faire partie.
En ce soir du 2 mai, entourée du tout-Montréal, elle y est presque. Au cinéma Parisien, les lumières tamisées s’éteignent. La salle est plongée dans le noir. Danielle, jeune mannequin-animatrice de 21 ans, se voit sur grand écran pour la première fois. Seins nus. Belle comme le jour. Elle est tour à tour étonnée et choquée par le film. Étonnée parce qu’il y a tout un monde entre les moments de plaisirs qui ont jalonné le tournage et le film qui a des allures plus provocatrices que dans son souvenir.
Mais le pari est gagné : dès sa sortie, on se précipite pour aller voir Valérie. « Les gens achetaient leurs billets trois séances à l’avance et faisaient la file tout le long de la rue Sainte-Catherine pendant des heures, même sous la pluie », se souvient Danielle. Présenté au Festival de Cannes, il s’est même vendu dans 40 pays.
Des préjugés tenaces
Si le film connaît un franc succès, Danielle Ouimet subit les contrecoups d’être la première Québécoise à se déshabiller sur grand écran. L’étiquette de la fille facile, un peu nunuche et sans autre talent que celui de son corps collera à sa magnifique peau durant des années ! Pourtant, Danielle est à des lieues de cette réputation surfaite. Mais les gens du milieu s’entêteront longtemps à la camper dans des rôles superficiels, parfois aidés par une jeune Danielle prise dans le tourbillon du succès.
Aujourd’hui, Woodstock s’évanouit dans les souvenirs, Neil Armstrong n’est plus ni sur la Terre ni sur la Lune et le joual, un mot de plus dans le dictionnaire. Mais Danielle Ouimet exerce toujours une fascination chez ceux qui ont vécu l’époque Valérie. Si bien que lorsqu’elle a suggéré à ARTV de présenter un documentaire sur le 50e anniversaire de ce film-culte, l’idée a été accueillie avec enthousiasme.
Valérie et moi, le documentaire
En 2019, pour les besoins du tournage du documentaire Valérie et moi, qui sera diffusé en décembre, Danielle Ouimet prend de nouveau place dans un cinéma pour visionner son film. La voilà cette fois au Cinéma moderne, boulevard Saint-Laurent à Montréal, pour accueillir 50 invités triés sur le volet qui ont répondu avec empressement, en un chaud mercredi après-midi estival, à l’invitation d’assister à une projection privée du film remasteurisé.
Revoir Valérie la laisse songeuse, divisée entre le plaisir de constater qu’il exerce encore un attrait auprès du public et le poids de la controverse qui, même lourd, ne lui a jamais fait courber l’échine. Car Danielle est une battante.
« Les spectateurs voient l’ingénue aux seins nus alors que moi, je vois le chemin parcouru, soutient Danielle. J’ai dû me battre toute ma vie pour faire oublier que je n’étais pas Valérie, que c’était juste un rôle. Le plus triste pour moi demeure tout le mal que ce film a fait à mes parents. Ils ont été souvent montrés du doigt pour avoir mis au monde, leur disait-on, une dévergondée comme moi ! » Et du même coup, Danielle ajoute, sourire au coin des lèvres, qu’elle empêcherait probablement sa fille de se jeter dans une telle galère.
Pas d’âge précis
Aujourd’hui, Danielle Ouimet voit les années s’additionner, bien sûr, mais celles-ci ne portent pas ombrage à son énergie. Elle fait de la peinture, expose, écrit un 4e livre autobiographique, prononce des conférences entre autres pour le Réseau FADOQ et donne des cours de loisirs récréatifs. Il est plutôt facile de la voir s’éclater dans ces activités qui, de près ou de loin, touchent aux arts, une passion qui l’anime depuis qu’elle est enfant.
Plus difficile de l’imaginer en habit de travail en train d’émonder un arbre, nettoyer sa piscine, laver les 35 fenêtres de sa maison ou ramasser des dizaines de sacs de feuilles l’automne venu. Pourtant, elle adore !
« On vieillit dans les yeux des autres, confie-t-elle. Moi, je n’ai pas d’âge précis.
Il y a aujourd’hui et il y a demain, chaque moment est toujours très occupé ! Je suis curieuse, je continue de défier mon intellect et je n’ai pas de regrets. Sauf celui de constater que si je regarde en avant, le chemin est plus court. Mais ça ne veut pas dire qu’il sera moins rempli ! »
Photo : Bruno Petrozza