Chez Daddy : un café qui brise l’isolement

De l’autre côté de l’Atlantique, le café Chez Daddy connait du succès dans sa lutte contre l’isolement chez les personnes aînées en misant sur l’inclusion et la création de liens intergénérationnels. Cette étonnante entreprise d’économie sociale pourrait-elle servir d’inspiration ici, au Québec, l’une des sociétés les plus vieillissantes au monde?

Sur la terrasse, une petite foule s’amasse. Françoise, Guy et Catherine écoutent le concert improvisé d’un des leurs, un guitariste amateur au répertoire hétéroclite — Moi, mes souliers de Félix Leclerc, Avanie et Framboise de Boby Lapointe… Les rires fusent. La bonne humeur est contagieuse parmi ces septuagénaires, tous des habitués de Chez Daddy, où de tels moments de convivialité sont la norme. Et pour cause : ce café intergénérationnel ancré en plein cœur du quartier bohème de la Croix-Rousse, à Lyon, la deuxième métropole de la France, a pour mission de créer du lien social.

Une communauté

Il s’agit avant tout d’une communauté. Les opérations de l’établissement sont confiées aux adhérents bénévoles, les Daddies. Ces derniers mettent la main à la pâte pour préparer le café, mais, surtout, pour organiser une soixantaine d’activités allant du yoga au tricot, en passant par la lecture pour enfants. Car si le programme en journée attire surtout des retraités, il s’adresse aussi par moment aux familles et aux jeunes adultes, notamment quand le café devient une guinguette le jeudi soir. Sur près de 4000 adhérents, la majorité a d’ailleurs moins de 60 ans.

Françoise a trouvé au café Chez Daddy du réconfort et du soutien lors de la maladie, puis dans la foulée du décès de son mari il y a quelques années à peine. Photo: Maxime Bilodeau

Françoise, 73 ans, passe plusieurs fois par jour au café pour y piquer un brin de jasette avec d’autres membres de ce qu’elle considère comme sa seconde famille. « Les plus jeunes ont à peine quelques mois tandis que les plus vieux s’approchent de cent ans. Ici, je suis donc à la fois une grand-mère, une mère et une fille! », s’esclaffe-t-elle.

Pour Zoubida, la mi-quarantaine, Chez Daddy est en quelque sorte l’extension du logement de ses parents vieillissants dont elle s’occupe et qui habitent la résidence pour personnes âgées située au-dessus du café. « Ce que j’aime le plus? Qu’on puisse aborder n’importe qui, en toute simplicité et bienveillance », confie-t-elle. Chez Daddy, sachez-le, le tutoiement est d’ailleurs obligatoire.

Zoubida aime l’esprit de communauté qui anime Chez Daddy. Photo: Maxime Bilodeau

Un moment charnière

Chez Daddy a ouvert ses portes en 2020, en pleine pandémie. Comme au Québec, la crise sanitaire a mis en exergue l’isolement dont souffrent les personnes aînées en France. « Chez Daddy est né juste au bon moment, alors que s’ouvrait une réflexion collective sur le vieillissement de la population », explique Philippe Albanel, 35 ans, l’initiateur du concept. Pour ce féru d’entrepreneuriat social, il faut agir en amont afin de briser ce qu’il qualifie de véritable « drame du 21e siècle ».

Les statistiques lui donnent raison. En 2021, un rapport des Petits Frères des Pauvres avançait que 530 000 personnes âgées de 60 ans et plus sont en situation de mort sociale en France. La branche québécoise de ce même organisme estime qu’une personne de plus de 65 ans sur trois souffrira d’isolement en 2030 dans la province, l’une des sociétés les plus vieillissantes au monde. L’Organisation mondiale de la Santé rappelle par ailleurs que le manque de liens sociaux se répercute sur tous les aspects de la santé. « N’avoir personne pour qui compter au quotidien, c’est peut-être ce qu’il y a de pire ».

Au Québec aussi

Même s’il n’y existe pas (encore) d’équivalent de Chez Daddy, les initiatives intergénérationnelles se multiplient au Québec. « Cet engouement se vérifie par une importante augmentation des activités intergénérationnelles offertes dans la province », affirme Fatima Ladjadj, directrice d’Intergénérations Québec, qui œuvre pour le rapprochement entre les générations. Sa plateforme en ligne Résot’âges (intergenerationsquebec.org/resotages), qui répertorie plusieurs de ces expériences, donne un aperçu du phénomène. Sport, culture, loisir : il y en a pour tous les goûts.

« L’offre va bien au-delà d’activités simples, comme des jeux de société ou des repas communautaires », précise cependant l’intervenante. L’organisme à but non lucratif récompense d’ailleurs chaque année des initiatives qui se démarquent à l’issue de la Semaine québécoise intergénérationnelle, vers la fin mai. En 2024, le prix Coup de cœur a été remis à Mon histoire en héritage. Le projet : des adolescents réalisent des entrevues filmées de personnes aînées sur leur récit de vie et leur vision du monde. « On sent une réelle volonté de déconstruire les préjugés liés à l’âge. »

Et ça marche, révèle la Trousse à l’intention des milieux d’action intergénérationnelle élaborée par une équipe de chercheurs du Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, en collaboration avec Intergénérations Québec. Le document fait état de bénéfices nombreux appuyés par des données probantes, tels que l’amélioration de l’estime de soi, de la qualité de vie et du bien-être en général chez les personnes aînées.

Ce projet de recherche-action fournit en outre des conseils et recommandations pour que les initiatives intergénérationnelles soient couronnées de succès. On y présente par exemple une échelle d’engagement intergénérationnel de sept niveaux, un outil pertinent à utiliser pour amorcer une réflexion critique vis-à-vis une telle démarche.

Le vent dans les voiles

Chez Daddy atteint certainement le sommet de cette échelle, celui où « les échanges et le soutien sont continus et intégrés dans les mœurs à l’échelle de la communauté ». Cela n’en a toutefois pas toujours été ainsi, se souvient Philippe Albanel. « Notre jeune équipe a exploré bien des formules avant de trouver la bonne », raconte-t-il. La clé? Simplifier. « L’accès aux activités et aux consommations est gratuit en contrepartie de l’implication bénévole et de dons. » Des partenariats et subventions complètent le montage financier.

L’établissement s’est bien implanté dans la communauté, si bien qu’une deuxième succursale a ouvert ses portes dans un autre quartier lyonnais. D’autres sont à l’étape de la planification, ailleurs dans la région.