
Composé en majorité de gens à la retraite, un petit groupe de bénévoles de l’Outaouais a lancé les Fonds de bourses BRAVO, un projet novateur pour donner un coup de pouce à de jeunes personnes réfugiées et nouvellement arrivées au Québec. Portrait d’une inspirante initiative intergénérationnelle.
Maiia Petryshyna est adolescente lorsque la Russie mène ses premières agressions en Ukraine, en février 2014. « J’étais très près de la zone affectée à l’est », se souvient-elle aujourd’hui. C’est alors le branle-bas de combat pour trouver une terre d’accueil. En passant par la Pologne, sa famille réussit à poser le pied en sol québécois. Pour Maiia, qui ne parlait pas le français, si ce n’est que « bonjour » et « comment ça va », c’est une nouvelle vie qui commence.
« Pour que je puisse bien apprendre la langue, mes parents m’ont envoyée à l’école secondaire régulière. C’est comme ça que j’ai appris; en écoutant, en répétant, en répondant tant bien que mal… » Ses premiers examens, c’est avec un dictionnaire français-ukrainien ouvert sur le bureau qu’elle les rédige. Malgré les difficultés et les embûches, elle persévère, réussissant à suivre la progression scolaire de ses camarades.
Dix ans après son arrivée, la voilà citoyenne canadienne et bachelière en criminologie de l’Université d’Ottawa. Un parcours mené entièrement dans la langue de Vigneault.

S’engager pour la francisation
C’est pour aider des personnes comme Maiia et mettre en valeur leur parcours remarquable qu’un petit groupe de personnes aînées de l’Outaouais a décidé de s’engager pour la cause de la francisation et de l’éducation des jeunes nouvellement arrivés au pays.
« On a vu que bien des personnes éprouvaient des difficultés dans l’apprentissage de la langue et dans la poursuite de leurs études, raconte au téléphone Jacques Laberge, diplomate retraité. Ces gens se retrouvaient devant des difficultés d’intégration d’ordre social et professionnel très importantes. On s’est dit “qu’est-ce qu’on peut faire pour les accompagner?” »
Déjà en 2016, M. Laberge et d’autres bénévoles avaient lancé un programme de tutorat linguistique. Malgré son succès, le projet a été interrompu en 2020 en raison de la pandémie. Le groupe avait alors 5000 $ en banque. « On a eu l’idée de l’utiliser pour créer un fond de bourses qui aurait pour mission de promouvoir l’apprentissage du français, la persévérance scolaire et la réussite éducative. »
En pleine pandémie, la petite association de bénévoles s’active et contacte différents organismes et institutions de l’Outaouais pour obtenir plus de financement; une tâche compliquée alors que les rencontres en personnes sont essentiellement proscrites. L’objectif de départ est de récolter 25 000 $. « Petit à petit, au gré des rencontres virtuelles, on a réussi à amasser un capital de 46 000 $. C’était au-delà de nos espoirs. Là, on s’est dit “on est en affaires”! ».

Mathieu Lacombe. De gauche à droite : Richard Mayer (tuteur bénévole en français),
Anick Figueredo (enseignante d’histoire), Jacques Laberge (administrateur du Fonds),
les lauréats Josue Mugisha (19 ans, originaire du Rwanda) et Hazem Al Halabi
(21 ans, originaire de Syrie), ainsi que le ministre Lacombe.
Parcours inspirants
C’est ainsi qu’est né le Fonds de Bourses BRAVO. Allant de 750 $ à 2000 $, ces bourses sont offertes à des personnes réfugiées ou nouvellement arrivées allophones âgées de 16 à 35 ans, qui habitent l’Outaouais, qui ont réussi à apprendre le français et qui ont complété ou sont en voie de compléter un programme d’études reconnu au Québec.
En échange, comme l’explique Jacques Laberge, porte-parole du Fonds, les récipiendaires doivent s’engager à aller à la rencontre de jeunes comme eux, dans des classes de francisation ou d’accueil, par exemple, afin de témoigner de leur histoire.
« On peut prêcher la bonne parole et faire des présentations pour encourager ces nouveaux arrivants à persévérer dans l’apprentissage du français et dans les études, mais ils risquent de nous regarder d’un œil circonspect et nous dire “vous ne savez pas ce que c’est d’arriver ici sans repères, sans connaître la langue…”. Nos lauréats ont justement fait ce cheminement. Ça, c’est beaucoup plus inspirant que si nous parlions. »
C’est justement ce rôle de leadership qui plaît à Sunobar Asifi, lauréate d’une bourse de 1500 $ en 2022. « Je veux parler de mon parcours et montrer que c’est possible d’avoir du succès. »
Son récit a justement de quoi inspirer. Elle est née en Afghanistan, peu avant l’invasion américaine, avec une cécité complète. « Là-bas, il n’y a pas d’opportunités d’étudier pour les femmes, encore moins pour celles qui ont un handicap comme moi. »
Lorsqu’elle est arrivée à Gatineau, à 13 ans, elle ne parlait pas français. En fait, elle n’avait jamais été scolarisée. « Je ne savais pas comment soustraire, multiplier… J’ai tout commencé ici, de zéro. J’ai appris à parler le français, lire le braille, utiliser les technologies. »
À l’école primaire, elle a travaillé d’arrache-pied avec une équipe de spécialistes afin de réduire l’écart académique. Ses efforts ont porté leurs fruits. Aujourd’hui, elle parle un français impeccable et étudie en psychologie à l’Université d’Ottawa. Elle donne aussi de nombreuses conférences pour des organismes communautaires et des établissements scolaires.

Une expérience valorisante
« L’idée, ce n’est pas de simplement se fier aux résultats académiques et de récompenser l’excellence, comme le font d’autres bourses, ajoute Jacques Laberge. On veut créer de l’engagement communautaire. C’est notre formule. »
Pour la petite équipe de bénévoles, poursuit-il, « c’est une expérience très gratifiante, très stimulante et très valorisante. Je pense qu’on est utiles à la société parce qu’on adresse un enjeu important… Nous sommes très fiers de notre projet. »
S’il en parle à Virage, ce n’est pas pour se donner une tape dans le dos, mais bien pour faire connaître l’initiative à la grandeur du Québec. « On espère que le projet fera boule de neige. Il y aura peut-être de l’intérêt pour quelque chose du genre dans d’autres régions. Il y a des initiatives qui peuvent être faites à petite échelle, mais qui peuvent avoir de grandes retombées. »
D’ici 2026, le comité du Fonds de Bourses BRAVO prévoit avoir remis un total de 50 bourses, et ainsi, créer autant d’ambassadrices et d’ambassadeurs qui rayonneront dans la communauté.